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MATÉRIALISME, CRITIQUE

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vue et l’ouïe suivent les voies nerveuses jusqu’aux centres cérébraux supérieurs, a travers des relais. Quand les neurones inférieurs de l’articulation sont atteints, neurones facial, spinal et hypoglosse, il y a paralysie labioglossolaryngée ; la zone périrolandique de l’écorce est aussi intéressée à l’articulation. Très fréquemment l’aphasique est atteint au pied de la troisième circonvolution frontale gauche (centre de Broca). Dans la cécité verbale, le malade comprend les mots parlés, non les mots lus, et son lobe pariétal supérieur gauche est lésé. D’autres ne comprennent plus les mots entendus, et l’on observe du ramollissement à la 1 « et 2° temporales gauches (surdité verbale et centre de Wernicke). Selon Pierre Marie, ces dernières circonvolutions joueraient le rôle principal dans ces trois infirmités.

Comment donc concevoir les relations de la pensée et du cerveau dans le langage ? En réalité intelligence et langage articulé sont chez nous en intime union. C’est en créant une langue que des rapports entre les êtres nommés ont été fixés ; le monde a été symbolisé par des phonèmes mis en connexion, des « conceptschoses et des jugements-lois ». Puis la vie affective et la vie sociale ont scandé les phrases et stabilisé les formules. C’est aussi en réfléchissant sur le langage spontané que l’intelligence a mieux pris conscience d’elle-même. Toute langue est une variation sur ce grand thème humain. Elle exprime tout le psychisme des hommes ; elle exige la mise en fonction de toutes tes activités cérébrales. Un mot n’est rien ; il doit être saisi dans un ensemble, intégré dans une phrase ; or chose capitale, celle-ci se traduit aussi par un système de mouvements virtuels dont les centres peuvent avoir souffert. Alors l’attention à la vie se fait mal, puisque l’organe qui reliait l’individu au réel est atteint : tel cuisinier a oublié son métier ; tel aphasique ne comprend plus le mot nager, parce que celui-ci n’évoque plus de mouvements désormais ; tel autre souffre de confusion mentale, parce qu’il jargonne et a perdu la mécanique des mots organiquement systématisés qui sont la forteresse de la pensée. Le cerveau ne pense pas ; il esquisse une pantomime vers la vie à l’état normal, et en celle-ci la pensée se coule ; c’est pourquoi c’est lui qui est malade dans les infirmités psychiques et non l’âme ; mais celle-ci dépend étroitement de lui. Il arrive donc qu’une émotion vive ramène les souvenirs soi-disant abolis : tel sait marcher pour sauver son enfant ; tel crie alléluia à la chute d’un zeppelin, puis redevient aphasique ; les verbes comme plus associés à des mouvements disparaissent les derniers. Le cerveau monte des mécanismes compliqués qui peuvent se rompre ; l’âme conserve des souvenirs que le cerveau filtre en réactions utiles. Quelle photographie cérébrale pourrait d’ailleurs correspondre à car, mais, puisque, donc ? La pensée dépend du cerveau, comme l’ex.iclitude de l’l : o.-10ge dïpend de sa matière, bois ou cuivre, sans que celle-ci sullise à expliquer l’heure exacte. La pensée est synthèse active, unification de rapports, ce qui échappe à la matière. Peillaube, Les images, 1910, p. 453. Dans l’aphasie de réception et compréhension ou de Wernicke, comme dans celle d’expression ou de Broca, une technique, qui nous épargnait la peine de toujours recommencer, s’effondre, laissant l’esprit dénué, comme un apprenti, en face des mots, de leur sens pratique et de leur syntaxe : c’est le tableau de commande des mouvements qui est brisé.

CI Bergson, Matière et mémoire, p. 173 sq. ; Piéron, Le cerveau et la pensée, p. 243 ; Delacroix, Le langage et la pensée, 1924, p. 476-587 (essentiel) ; J. Grasset, op. laud., p. 143 sq., p. 795 sq. ; Le paralogisme psycho-physique, art. de Bergson, dans Revue de métaphysique et de morale, nov. 1904, p. 893 sq. ; Tournay, dans Dumas,

Traité de psychologie, 1923, 1. 1, p. 196 « Mieux vaut ne viser qu’à l’établissement de localisations très larges. »

4. L’âme humaine est spirituelle.

Jusqu’à présent l’âme a été étudiée dans son action synergique avec son corps, dans le composé humain. Mais elle jouit aussi d’opérations pour lesquelles le corps n’est plus « coprincipe » ; il n’est alors que l’instrument extrinsèque dont les mouvements, au moins virtuels, amorcent des images, tandis que celles-ci sont des supports étrangers aux idées générales mêmes. C’est par cette fonction suprême que l’âme humaine se distingue absolument de l’âme des animaux ; c’est aussi par elle qu’elle garde une nature propre, capable de communier dès ici-bas à l’éternel, et de s’ordonner ainsi vers l’immortalité pour laquelle elle est faite ; nous abordons vraiment le règne humain. Voir art. Ame, t. i, col. 1029. « L’effet doit répondre à la cause. » L. Bûchner, Matière et force, p. 218 : « La fonction est proportionnelle à l’organisation. » K. Vogt, Leçons sur l’homme, 2e édit., p. 12 ; c’est-à-dire que l’on avoue en somme ce principe : l’opération suit l’être et lui est proportionnée. Or l’âme humaine, ajouterons-nous, offre des opérations qui débordent les possibilités de la matière. Donc elle est immatérielle ; possédant des fonctions propres, elle jouit aussi d’une nature— bien à elle d’une vie originale.

a) Nous concevons et nous aimons la justice, l’honneur, la vertu, le droit : l’homme meurt pour que triomphent ces réalités, tellement à ses yeux elles sont précieuses et sacrées. Ce sont elles qui ont donné leur élan à toutes les civilisations. Que notre connaissance débute par l’exercice spontané de l’intelligence sur des faits sociaux où éclatent le mépris ou le respect de ces valeurs, peu importe ! Nous jugeons ces faits ; tout un élan raisonnable, un amour intelligent les domine et les apprécie. Or rien de matériel n’apparaît, ni en ces valeurs, ni en cet amour. Couleur, forme, mesure, poids, parties n’offrent ici aucun sens ; nous sommes en plein monde immatériel, que déjà une intuition spontanée et confuse nous livre, avant les savantes analyses du moraliste. Cf. O. Habert, L’école sociologique et les origines de la morale, 1923, conclusion.

b) L’idée et l’image s’opposent radicalement. L’image, même composite et schématique, est particulière, elle a une forme et une date ; l’idée est générale, elle est abstraite et ne date point comme telle. Aucune sensation n’épuisera jamais la richesse de ma pensée qui a saisi des rapports nécessaires dans le contingent, qui a conçu le triangle et le chêne en général. Nous dépassons toutes les possibilités du corps, particulier et contingent, bien que ces idées aient humblement débuté par des expériences concrètes. J’ai saisi des rapports constitutifs d’une nature ; j’ai deviné l’ordre éternel dans la durée variable et temporelle. Cf. Albert le Grand, De anima, t. III, c. xiv ; Peillaube, Revue de philos., octobre 1911, p. 271 sq.

D’ailleurs que l’on pense sans images, cela ne paraît guère contestable. On parle devant moi d’Aristote et de Kant, des méthodes géométriques et biologiques ; je sais que je comprends ce dont il s’agit, bien que ma pensée reste implicite. N’oublions pas que l’homme jouit d’une mémoire intellectuelle.

c) Un œil directement ne peut se voir. Comment un organe localisé pourrait-il se replier sur lui-même pour épouser tous ses propres contours, être à la fois passif et actif sous le même rapport ? Or, je pense ma pensée et j’ai l’intuition de mon activité et de son centre dynamique dans l’exercice de ma vie humaine : donc par un côté j’échappe à la matière. Cf. Contra dentés, t. II, c. lxvi.

d) L’intelligence, parce qu’elle est immatérielle, seule peut connaître tous les corps ; la matière, qui est