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MATÉRIALISME, CRITIQUE


plus profond que celui de la vis a tergo ou le contact. Un petit chien, qui redoute un dogue, ne le fuit plus quand il en est séparé par une grille : c’est donc que la peur le faisait fuir. On montre de la viande à un chien affamé ! aussitôt, à travers une fente ménagée dans l’estomac, on voit suinter le suc gastrique ; mais en revanche, si on persiste à tenir ce morceau éloigné, la sécrétion s’arrête, apparemment parce que l’espoir a cessé. D’ailleurs toute la thérapeutique psychologique suppose l’action des pensées, des réflexions, même des sensations sur le moral : une matinée de gai printemps aide à une convalescence, comme la bonne humeur.

Cf. Bergson, Données immédiates de la conscience, 1890 ; Matière et mémoire, 1896 ; Couailhac, oj>. laud., p.. Il sq. ; Peillaube, Revue de philosophie, 1° févr. 1903, p. 250 s<}.

5. Impossibilité de l’épiphénoménisme.

Comment les états de conscience — soi-disant inutiles puisqu’inefficaces — auraient-ils pu paraître et se développer par sélection ? Pourtant les fonctions psychiques portent tous les signes d’un progrès vers lequel tendent les vivants pour assurer leur sécurité. « Selon toute apparence, elles servent à faire des sélections ; or qui dit sélection dit action efficace. » W. James, Principes de psychologie, p. 130. Maintenir une image dans la conscience, c’est renforcer un processus nerveux, selon le proverbe : se souvenir d’une pêche savoureuse finit par en donner l’eau à la bouche. Si le plaisir ne renforçait pas l’action, et si la douleur ne l’inhibait pas, pourquoi, par exemple, les brûlures ne nous seraient-elles pas agréables ? pourquoi la respiration ne serait-elle pas accompagnée du sentiment de l’agonie ? Selon les données de l’évolution, il apparaît au contraire, que les êtres supérieurs fabriquent des organes de plus en plus capables de les avertir et de recevoir leur direction consciente.

Littré nous parle de la propriété de la matière de s’organiser et de penser ; mais ceci ressemble étrangement à la vertu dormitive du pavot, à une formule commode pour se tirer d’un mauvais pas. Qui peut concevoir que des particules mobiles — car voilà l’élément unique et fondamental selon le matérialisme — engendrent une joie, un remords, un raisonnement, un système scientifique ? Rapprocher les liens logiques des liens physiques, c’est se contenter d’une métaphore ; et puis c’est déjà supposer un ordre au moins physique, sans condition suffisante appropriée. Le savant berlinois Dubois-Reymond préfère répéter : ignorabimus. « Allez donc, reprend-t-il, refaire un monde réel, comportant une conscience comme la nôtre, avec des corpuscules et des rapports mathématiques l..j> Limites de la connaissance de lanature, 1872 ; lievue scientifique, 1874-1875, p. 343 ; A. Lange, Histoire du matérialisme, 1877, t. ii, p. 156 ; Bossuet, Traité de ta connaissance de Dieu, m. « Les (seules) sécrétions du cerveau sont les matières qu’il émet dans le sang : cholestérine, créatine, xanthine ; voilà les vrais analogues de l’urine et de la bile. » W. James, ibid., p. 171. On saisit la duperie de la formule de Taine. Et puis que d’actes humains dépassent la sphère des simples utilités biologiques I Il y a évidente discontinuité entre celles-ci et l’admiration, le respect, l’amour humain, le dévouement désintéressé ; pourtant ce sont là des faits aussi certains que les nouvements de systole et de diastole du cœur.

Il faut concevoir le cerveau comme un merveilleux organe capable de recevoir des ébranlements du monde extérieur et d’en transmettre ; mais un cerveau qui sente et pense, c’est un mythe. En vérité, c’est trop fort que d’expliquer, parexemple, la découverte de la pile électrique ou des ferments, les accents lyriques de Bossuet, par la simple résultante méca n que de mouvements en un moment et un point déterminés !

Comment un tas de cellules, elles-mêmes las de mole cules, etc, rendront-elles compte de l’unité, de la continuité de la conscience ? Notre caractère, par exemple, n’est-il pas en quelque sorte la condensation de notre histoire et de notre durée ? La pure matière du savant dépend, pour ses états, de mouvements antérieurs ; mais ces états n’ont pas d’histoire où leur durée ait pu s’enrouler, ils n’ont que des trajectoires, résultat d’autres trajectoires. Le temps mathématique ne mord point sur eux ; et pourtant le temps réel mord sur notre durée. On peut rêver, à la manière des Einsteiniens, d’un homme qui recevrait maintenant la vision des faits du temps de César, mais il ne serait pas pour cela son contemporain : sa durée à lui marque inévitablement son vieillissement. Comment expliquer que nous vieillissions pourtant, s’il n’y a qu’à substituei des albuminoïdes, toujours à notre portée, à des urates rejetés par la vie ? Bergson, L’évolution créatrice, p. 10.

Si l’on traite les vivants de machines, il faut ajouter que celles-ci — fait bien singulier — créent leur propre forme et la réparent, puis la transmettent. Leurs organes compliqués s’appliquent à tirer parti des impressions venues du dehors. Conçoit-on un œil qui résulterait des chocs de la lumière sur les atomes de certaines cellules ? Conçoit-on, par là, la synthèse d’organes qu’est déjà un infusoire et sa continuité avec ses ancêtres ? En une certaine mesure les vivants sont doués de plasticité, ils s’adaptent. Or des variations brusques ne laissent la vie possible que si elles aident à l’accomplissement de la fonction, si elles restent en continuité avec l’état antérieur. Supposons-les insensibles au contraire, quel est le bon génie qui les additionnera pour les faire converger ? Ibid., p. 74. Les rapports certains entre les divers organes dans la série animale peuvent-ils résulter de myriades de hasards heureux ? Telle la fécondation chez les phanérogames, comme chez les animaux, qui débute par la fusion de deux demi-noyaux.

L’âme dans le moi humain.

L’expérience intérieure

nous impose aussi bien de dire : je mange, je digère, je sommeille, que : je sens, je pense ou je décide. Cependant c’est au sujet doué d’unité, d’activité, de continuité que nous rapportons spécialement la sensation et la pensée. En avons-nous le droit ? Certains phénoménistes ne voient que la série des états de conscience sans sujet permanent dont ils seraient les accidents.

1. L’âme est une substance.

Ici pas d’imagination d’un dessous, d’un noyau immuable autour duquel se joueraient les accidents. La substance est la nature individuelle qui se manifeste par ses propriétés, ses états et ses opérations, qui perdure bien qu’elle change constamment, car ses états l’affectent très réellement. Rappelons encore que l’âme humaine appelle présentement un corps avec lequel elle agisse de concert.

Hume (1711-1776) est le père du phénoménisme moderne, o L’esprit est une sorte de théâtre où différentes perceptions passent et repassent… Le fondement de notre croyance à l’identité personnelle est dans cette liaison, ce passage facile de nos idées produit par les lois d’association, contiguïté, ressemblance et causalité… Comme la mémoire produit la continuité de la succession…, elle paraît la source de notre identité personnelle. » De la nature humaine, vi, 6. Selon, son disciple S. Mill : « Le concept d’un subslratum n’est qu’une des formes sous lesquelles cette connexion peut se présenter à l’imagination. » Logique, t. i, p. 63. Et Taine : « Rien de réel dans le moi, sauf la file de ses événements… Un flux et un faisceau de