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MATÉRIALISME, CRITIQUE


Fatales ; il en est tout autrement des états de conscience ; souvent entre eux, s’intercalent des hésitations et des choix. Si je me suis blessé, j’évite désormais tel mouvement maladroit. Saint Ignace d’Antioche se réjouit, à rencontre des païens, d’être broyé par la dent des lions, au Coliséc. On peut mourir par suite d’avarice.

Leurs métamorphoses s’opposent. Les états physiques offrent toujours les mêmes conséquents élémentaires, par exemple, dans la digestion, l’assimilation. Au contraire, que reste-t-il d’une habitude même corrigée ? Dans la jalousie, comment retrouver l’amour et la joie qui l’ont cependant conditionnée ?

Les uns sont connus par l’intermédiaire des sens, dont certains instruments accroissent la portée et la précision, ils peuvent être observés par plusieurs personnes à la fois ; tandis que les autres sont connus directement par celui-là seul qui les éprouve. Le médecin entend le sifflement du poumon, mais c’est le malade qui ressent son malaise.

Seuls les états mentaux peuvent persister et durer, tels, un caractère, une habitude, une impression profonde une fois éprouvée, des souvenirs anciens ; alors que les états physiques sont sujets au perpétuel écoulement. Mais surtout, ils se voient, deviennent clairs pour eux-mêmes dans une multiplicité parfaitement ramenée " à l’unité de la conscience et du vouloir. Pour conserver l’honneur, rester fidèle au devoir (états psychiques), les hommes sacrifient, par la mort préférée, toute la file des phénomènes corporels. Mais à quoi bon insister ? Au fond, nul ne peut contester ces faits manifestes.

Une théorie physiologique et périphérique prématurée des émotions a aussi pu servir aux épiphénoménistes. La joie ne serait que la conscience cérébrale d’une certaine légèreté de la vie due à une active circulation sanguine, par exemple, et la tristesse cette même conscience de notre pâleur et de notre dépression physique. Mais non, l’élément psychique, ici, cause l’état somatique et persiste pour faire avec lui partie intégrante des émotions. Le frisson exprimera ainsi la peur ou l’admiration : cela dépend des pensées. L’état nerveux persiste, alors que l’effroi a cessé. D’ailleurs il convient de distinguer les émotions sensibles des spirituelles. Cf. Lange, Les émotions, trad. Dumas, 1907 ; Sollier, Mécanisme des émotions, 1905 ; Dumas, Traité de psychologie, t. i, 1923.

2. Le psychique n’est pas une fonction pure et simple du cerveau. — Fonction signifie en physiologie l’état d’un organe en activité ; or l’organe étant matériel ne peut offrir qu’un changement de forme ou de place : dans la sécrétion d’une glande, la contraction d’un muscle, le courant nerveux ; donc la conscience reviendrait à une configuration, à un déplacement spatial.

Cependant on aurait beau faire la sommation des vibrations corticales, on serait loin de retrouver comme synthèse la conscience, elle est d’un tout autre ordre. Elle n’est pas dérivée, elle est première ; car elle, le monde matériel lui-même, serait pour nous comme s’il n’était pas ; elle offre des caractères essentiels qui font antithèse avec ceux de la matière. Bien que liée aux fonctions organiques, elle reste autre. Pour éprouver la multiplicité locale du contact, du poids, de la configuration, de la couleur, du son, de la saveur et des odeurs, elle est unie à des organes, multiples en parties, mais par elle unifiés. C’est pourquoi toute connaissance sensible offre un caractère mixte ; mais ce qui proprement s’exprime dans la conscience est qualité pure.’’. Le psychique n’est pas du mouvement transformé.-Cette métamorphose mythologique du physique en psychique contredirait évidemment les principes précités de conservation de l’énergie, etc.

D’ailleurs telle lecture, tel paysage, telle audition provoqueront les réactions les plus opposées sur les divers cerveaux humains ; tandis que des mouvements engendrent d’autres mouvements très déterminés. On mesure un mouvement, on peut savoir où il commence et finit ; au contraire les états mentaux sont fluides, sans contours nets, se fondent les uns dans les autres, jamais on ne peut songer à les juxtaposer. Quand débute, au juste, un amour naissant ? Dans la mélancolie du souvenir, comme dans une délibération, tous les états se compénètrent, déterminent le ton de l’ensemble et sont à leur tour colorés par celui-ci. Toujours les mouvements n’offrent, au contraire, que juxtaposition, composition, localisation. On ne peut mesurer la sensation que par ses concomitants physiologiques. Ceux-ci croissent, comme dans l’effort qui met en jeu de plus en plus de muscles, dans le son qui paraît emplir le crâne, dans le volume de voix, etc. Parler de douleur même qui croisse, d’effort plus grand, revient à une sorte de métaphore dans laquelle le psychique est désigné par l’intermédiaire du physique. Par ailleurs ne disons-nous pas une âme profonde, un esprit vaste ? Oui, mais ce sont là des comparaisons abrégées. Une grande douleur colore de sa tonalité affective nos pensées, nos espoirs, sans fin ; mais comme la vue nous a accoutumés, aux contours nets, aux dictinctions tranchées, nous sommes inclinés à l’imaginer croissant en quantité, alors que l’émotion change, dans une tonalité constante, par le fait qu’elle empreint plus d’états d’âme et se trouve modifiée par eux à son tour. Même le nombre arithmétique, au sens où nous l’appliquons à la nature physique, doit être banni de la conscience. Ce livre repose sur cette table, posée sur ce plancher ; deux hommes poussent cette charrette : voilà la matière aux délimitations nettes. Mais, dans la conscience, tout est dans tout ; puisque le moi donne sa tonalité à tous ses événements, qui à leur tour, s’influencent entre eux et modifient le moi lui même. La matière et le mouvement sont discontinus ; la conscience, elle, offre le modèle de la contilnuité : comment donc prétendre qu’elle est du mouvement transformé ?

4. Le psychique n’est pas un parasite inefficace. — Qui pourra jamais croire que l’idéal de Raphaël ne guidait pas son pinceau, que la délibération des Alliés, en 1918, pour organiser un commandement unique, ne servit en rien à la nomination de Foch ? Voilà cependant où en vient le matérialisme. Par crainte de rupture dans le déterminisme physique, par horreur de ce qu’il estimerait un miracle, il préfère nier des faits manifestes.

Dans l’hypothèse de l’existence subjective des qualités secondaires, la couleur comme telle, par exemple, resterait un état parasite, à l’égard des vibrations de l’éther ; mais, malgré tout, cette couleur peut être cause de joie ou de tristesse, d’admiration ou d’horreur, comme telle symphonie, parce qu’elle conserve encore une réalité psychologique.

La conscience épiphénomène revient, elle, à poser une réalité irréelle ! Elle est sans cause, parce que le mouvement n’a pu se dépenser à l’engendrer, puisque le courant nerveux n’est pas dévié quand surgit la sensation ou l’image. Elle n’est pas cause à son tour, puisque par hypothèse même, elle demeure incapable de rien produire et ne modifie aucun mouvement. Sortie du néant, elle y retourne 1… Et cependant, chose curieuse, elle succède régulièrement à certains états physiologiques, comme la sensation de chaleur, de froid, de poids, de peur. De nouveau ceux-ci la suivent ; on boit pour se désaltérer, on travaille pour gagner sa vie, se faire une ; iluation honorable, etc. Il y a évidemment un rapport étroit qui les relie,