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MATÉRIALISME, CRITIQUE


encore de la finalité du besoin qui trie, choisit, oriente, p. 365 ; fort bient mais si nous retrouvons en ses créations de l’ordre, des lois, n’aurons-nous pas le droit de conclure à la suprématie de la qualité sur la quantité, de l’esprit sur la matière ? « C’est l’attrait d’un idéal qui meut les forces de l’univers, toutes psychiques en leur fond. » l’arotli, p. 195, 494.

Expliquer l’œil, Pasteur et saint Vincent de Paul par des mouvements qui s’entrechoquèrent par hasard heureusement, c’est obéir à une théorie préconçue : tel est le mécanisme.

La qualité donne à la quantité l’unité et la direction qui lui manquent ; elle est invisible, elle échappe à la mesure, elle ne fait qu’un seul sujet avec la quantité, à laquelle elle n’ajoute rien. Des journaliers bêchent une vigne, ils n’exercent que des énergies physiques dues à la respiration et à l’assimilation ; leur volonté se contente de les diriger. Corps et âme sont consubstanliellement unis et non pas soudés ; au pied de la lettre, l’âme n’agit pas sur le corps, ou inversement, car ils ne font qu’un sujet et non pas deux êtres accolés. « Comme la pensée est qualité pure, les modifications qu’elle subit (dans les phases de la décision) sont qualitatives, celles qu’elle transmet le sont également. Dans le mouvement, elle laisse intacte la quantité et change la direction. Elle n’aborde pas l’être par sa surface extérieure ; elle le saisit par ce qu’il a de plus profond : c’est à leur source qu’elle s’empare de ses forces… Cet empire de la pensée sur la force, la conscience l’atteste, son témoignage est irécusable. »

M. Couailhac, S. J., La liberté et la conservation de l’énergie, 1896, p. 236, 237 ; De Munnynck, O. P., La conservation de l’énergie et la liberté morale ; Bergson, L’évolution créatrice, p. 37, 83, 74 ; Driesch, La philosophie de l’organisme, 1922.

Si l’on voulait pousser plus avant l’étude métaphysique des êtres matériels, il faudrait reprendre les théories aristotéliciennes de la matière et de la forme, de la puissance et de l’acte. La matière est déterminée par la forme pour constituer un sujet avec des propriétés spécifiques ; celui-ci est singularisé dans son espèce par la disposition de ses éléments physiques, sa quantité. A aucun moment les phénomènes ne surgissent du néant pour s’y perdre encore sans lien, comme des météores évanescents. Dans les changements accidentels, la substance fait la continuité entre les états successifs ; dans les changements de nature, la matière prime ou nue (ou celle-ci déjà déterminée, selon d’autres) servirait de lien entre les deux espèces dues à la succession des formes substantielles. Cf. Tonquédec, Revue de phil., 1921, 22, 23 ; Voisine, ibid., 1922, p. 586 sq. Ce n’est pas l’imagination qui doit interpréter ces formules, mais l’intelligence, qui, à des faits donnés, cherche une raison suffisante.

II. DUALITÉ DE L’AME ET DU CORPS DANS L’HOMME.

— 1° La théorie épiphénoménisle. — Selon le matérialisme contemporain, l’évolution aurait fini par engendrer la conscience psychologique, la pensée, Dieu même, qui ne serait qu’un pur idéal ; comme si l’évolution était une cause, un facteur, une force proportionnée à ce résultat, alors qu’elle est seulement une loi qui exprime comment certains êtres se seraient transformés. Qui plus est, la conscience accompagnerait le mouvement, mais ne jouirait d’aucune efficacité !


Reconnaissons d’abord un certain parallélisme entre le système nerveux et la conscience. Tous deux sont cause d’unité, de liaison. Une sensation exige une réaction active de l’un et l’autre.. Il y a action et réaction des centres nerveux entre eux, comme de l’imagination, de la mémoire, de l’affectivité, etc. En certains cas, les centres inférieurs ( « polygone » de

J. Grasset) se rendent indépendants des centres supérieurs, comme certains actes s’accomplissent lors du contrôle de la conscience, tels les actes de certains névrosés. Les neurones sont pourvus de fibres afférentes et efférenles ; n’est-ce pas une image de la conscience à la fois passive et active ? Le courant nerveux est plus lent à mesure qu’on se rapproche de l’écorce grise ; ainsi la réponse con dente met-elle plus de temps à s’élaborer que l’inconsciente. Plus le système nerveux est compliqué, plus riche est la conscience dans l’échelle des êtres. En privant de certains centres les animaux, on voit corrélativement baisser leur vie psychologique. Cette vie gagne chez l’enfant avec le revêtement progressif des centres inférieurs par le cerveau terminal. Allons-nous donc conclure que la conscience n’est que l’image, le double, l’état p rasite du système nerveux ?

Rappelons de nouveau que l’âme vivante et capable de sentir et de vouloir se contente d’orienter les énergies physico-chimiques, sans jamais y ajouter. Selon le principe d’inertie, tout mouvement est précédé d’un autre mouvement, son antécédent régulier, sa cause (partielle, oui). Les phénomènes biochimiques du cerveau ne se métamorphosent pas en sensations pour dépenser leur énergie physique. Une vibration cérébrale a toujours comme condition et comme conséquent un autre mouvement. La quantité d’énergie dépensée se retrouve, sauf déperdition de chaleur, dans l’effet, qui est cause à son tour. Ainsi le veut le principe de conservation de l’énergie. C’est-àdire, au fond, que ce qui se retrouve sous forme de quantité, est accompagné de son doublet qualitatif, sensation, image, etc. Le principe de continuité fonctionnelle nous invite donc à écarter comme invraisemblable une rupture de cette continuité physiologique par la conscience et le vouloir.

Évidemment on peut ne pas regarder ces principes comme absolument démontrés ; mais cependant nous courrions gros risque à fonder notre spiritualisme sur leur négation. Nous devons reconnaître d’abord que parler d’action du physique sur le moral et inversement rappelle vraiment trop la juxtaposition de l’âme et du corps, selon Descartes ; ce n’est vrai qu’au point de vue de la grosse analyse et de la métaphysique vulgaire. Physique et moral s’unifient en réalité dans le même sujet substantiel, comme la quantité et la qualité. Dans les états sensibles, sensations, images, souvenirs, désirs, physique et moral agissent synergiquement, comme les fonctions du composé humain ; ce n’est que dans les états spirituels, pensées intellectuelles et morales, que le mental joue son rôle à part ; encore est —il toujours plus ou moins accompagné d’images sensibles, et par conséquent d’états somatiques. Mais les matérialistes qui ignorent à la fois ces concessions et ces distinctions, prétendent ne retenir que la réduction du psychique au physique.

Pour répondre à leur théorie, il convient donc d’établir quelques conclusions.

1. Le psychique est distinct du physique.

Le système nerveux n’offre qu’une analogie grossière avec la conscience : celle-ci se développe dans le temps et l’autre dans l’espace ; ils diffèrent comme étendue et non étendue. Une coupure, la digestion, l’innervation. , autant de faits localisés et mesurables : ainsi on trace le graphique d’un pouls fiévreux, on situe une céphalée où la tête paraît comme emprisonnée sous un casque. Mais la douleur, a fortiori l’appréciation de celle-ci et de ses causes, n’offrent en elles-mêmes, ni couleur, ni forme ronde ou carrée. Seuls leurs côtés organiques, et notre manie invétérée de tout considérer du point de vue des objets juxtaposé dans l’espace, pourraient nous faire illusion.

Les états corporels s’enchaînent selon des lois