Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 10.1.djvu/156

Cette page n’a pas encore été corrigée
297
298
MATÉRIALISME, CRITIQUE


chez les hypnotisés qui croient être libres, alors qu’ils fissent sous l’influence d’une suggestion. Les réactions, puis les réflexes et les réponses adaptées provenant de l’irritabilité, enfin l’apparente finalité chez les vivants sont dus à la sélection naturelle. Essai de psychologie générale, 2e édit.. 1891, p. 171 sq. Citons encore le physiologiste Jules Soury (1842-1915), pour lequel la diversité des êtres revient à une différence d’architecture atomique. Bréviaire du matérialisme, 1881 : la conscience serait un simple épiphénomène, Système nerveux central, t. ii, 1899, p. 1798. Patriote fervent. « clérical > même, il voyait dans le culte catholique notre milieu déterministe naturel, où nos i vouloirs » trouvent leur équilibre synchronique. Le médecin.1. Pîoger ramène toutes nos connaissances à des transformations de sensations, et celles-ci à des vibrations intra-cellulaires qui paraissent tendre vers l’harmonie. La Vie et la Pensée, 1893.

En accord avec l’américain Jacques Lœb, son émule, le biologiste Félix Le Dantec (1869-1917) tente de pousser à fond la mécanique des atomes. Tout d’abord, il nous rappelle qu’en toute étude la biologie donne le dernier mot, puisque l’intelligence relève de l’organisme cérébral. Science et Conscience, 1908, p. 6. Aucun finalisme n’est recevable, puisque même les faits organiques sont soumis à la mesure et « sont susceptibles d’une narration mathématique ». Ibid. La vie sur terre a succédé au règne inorganique, donc elle en vient par transformation, autrement il y aurait miracle. Crise du transformisme, 1908, p. 21. Il ramène les organismes compliqués aux lois des vivants inférieurs qui sont d’ordre physico-chimique. Il n’y a qu’une chimie pour les corps bruts comme pour les vivants. Encyclopédie Larousse, avril 1898, p. 358. (Ceci est fort équivoque, comme on le montrera plus loin : la finalité de l’âme dirige les mouvements vitaux sans troubler leur quantité atomique et énergétique, la même en chimie physique et biologique.) La matière a la propriété de penser ; celle-ci d’ailleurs est seulement témoin des mouvements, sans jamais les influencer (É piphénoménisme). Tout se passerait exactement de même dans la nature si cette propriété était absente. Traité de biologie, 1902, p. 475. « Nous sommes tous des pantins soumis au déterminisme. » Les Limites du connaissable, 1904, p. 84. Notre personnalité n’est autre chose que la somme des consciences élémentaires des atomes. Ni bien, ni mal, ni responsabilité morales, mais seulement des habitudes mécaniques héritées des aïeux, habitudes accompagnées de paix ou de remords, selon qu’elles sont en synchronisme avec le milieu social. L’assimilation chez les vivants résulterait des mouvements rythmiques de ceux-ci qui s’imposeraient aux aliments digérés. Mais comment vivre avec des conceptions aussi désolantes ? La foi religieuse viendrait donc les contredire chez tous les hommes ou à peu près. Le Dantec lui-même, hors du laboratoire, nous rapporte Elisabeth Leseur, se montrait fort sensible à la beauté des choses, à la délicatesse des sentiments et même à la grandeur des pensées chrétiennes. Dans ce Breton, constructeur de cosmogonies(D. Parodi, op. cit., p. 54, cl Yves Delage, Année biologique, 1902, p. lvii), il y a toute une mystique naturaliste qui adore les jeux têtus des atomes et des nombres, comme s’il contemplait l’océan de l’être !

En Sorbonne, Et. Rabaud explique les vivants comme des ensembles de faits en équilibre instable, par suite de leurs échanges de mouvements mécaniques avec le milieu. Éléments de biologie générale, 1920. Marcel Boll ne voit partout que des types spéciaux de mouvements rythmés qui assimilent progressivement leur milieu à ce rythme : ainsi tel cristal, tel végétal façonnent les éléments de l’cau-mère

ou le carbone et les nitrates à leur ronde atomique La science et l’esprit positif chez les penseurs contemporains, 1921, p. 129.

Cf. surtout Albert Lange, Histoire du matérialisme, 2 vol., trad. fr., 1877-7 !) ; P. Janet, Le matérialisme contemporain en Allemagne, 1864.

III. Appréciation critique du matérialisme. — Le caractère souvent peu saisissable et mouvant du matérialisme est la meilleure preuve de son impuissance à rejoindre le donné, à s’ajuster avec nos expériences. Il finit par voir dans les corpuscules élémen taires des sortes de virtualités en puissance qui attendent leurs conditions d’existence pour faire apparaître la vie, la sensation et la pensée : ce qui est proprement le monisme.

L’atome géométrique, tout « intellectualisé », de Descartes est manifestement un concept abstrait, incapable, par exemple, de rendre compte des faits de résistance, d’impénétrabilité, de masse atomique, etc.

Ramener les forces au pur mouvement local est commode pour l’imagination et l’application des mathématiques au donné ; mais c’est un pur procédé.

Identifier la matière et la force reste peu clair, puisque la matière s’offre d’abord comme étendue, multiplicité, indifférence, et la force, au contraire, comme une source d’unité et de distinction spécifique.

A plus forte raison, il est choquant de faire de la pensée une vibration, ou bien son produit, ou bien encore son accompagnement inconnaissable et sans réelle efficacité dans notre monde.

Pour échapper à ces inextricables difficultés, le positivisme croit pouvoir se limiter au domaine de l’observable et faire appel ensuite aux intuitions du cœur, aux réactions spontanées de la personnalité complète, en présence de la beauté, en relation avec la famille et la cité : à sa manière, il nous dit donc combien le matérialisme est court de vues et combien il mutile les êtres humains !

Laissant certaines considérations pour la critique du monisme, voici le plan que nous suivrons : 1. L’être matériel offre dans son unité une dualité d’éléments. 2. L’âme et le corps dans l’homme se présentent comme deux réalités distinctes bien qu’intimement unies.

I. dualité de L’Être matériel. — 1° Caractère artificiel du déterminisme mécanique. — Il nous propose une métaphysique faussement parée des dépouilles de la science, en vue de fournir à l’esprit une explication claire, capable d’unifier toutes nos connaissances ; il ramène les variations de la nature, chaleur, combinaisons, vie, conscience, à des variations de quantité, au glissement d’un point le long d’une ligne, constaté par le baromètre, le manomètre, etc. Toute pensée spiritualiste représenterait une foi d’apeurés en face des brutalités du système matérialiste.

Il est juste de chercher le biais par où les faits sensibles peuvent être mesurés et calculés ; mais on nous dupe avec un procédé, qui, loin d’épuiser le réel, n’en livre qu’un aspect. Considérés d’un certain point de vue, les phénomènes paraissent des métamorphoses du mouvement, des engrenages sans fin. Mais, en vérité, chaque mouvement est dirigé, discipliné, obéit aux lois de chaque être, atome, corps, vivant végétal et animal, etc., à leur particulière individualité : quantité et qualité caractérisent les êtres matériels. Les vivants, par exemple, se dépensent à élever des énergies à un certain potentiel, comme le jardinier qui porterait de l’eau au réservoir qui alimente son moteur, mais en les coordonnant selon leurs besoins. La feuille, comme le muscle, assimile à cet effet du carbone, mais chacun à sa manière. L’âme humaine, principe de vie, n’ajoute rien aux quantités d’énergie, mais se contente de les diriger du dedans, parce qu’elle ne fait qu’un sujet substantiel avec son corps.