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MATERIALISME, HISTOIRE


Jamais rencontrée, une force sans matière serait sans point d’appui. Chacune d’elles n’a donc pu engendrer l’autre ; d’ailleurs la création, la sortie du néant reste inintelligible : Dieu est inutile et l’âme aussi. Les combinaisons diverses de cette matière-force, en quantités constantes, mais variables en leur arrangement, groupent les complexes-objets et les complexes-sujets. En nous, dualité : les seconds doublent les premiers, selon des séries régulières parallèles. Tout provient du jeu primordial, dans la nébuleuse primitive, des activités physiques et chimiques. La terre en est un fragment dont le géologue retrace l’histoire. Comment est né le plus élémentaire protoplasme ? Ce ne peut être que d’un rapprochement enfin réussj entre les particules de matière-force ; autrement, il faudrait revenir à la création qui ferait une brèche dans la continuité du déterminisme. Même origine pour la sensation. Puis par des transformations lentes et progressives, seraient apparues les diverses espèces végétales et animales. Les hommes sont en continuité avec elles. L’homme tertiaire, que l’on ne saurait manquer de découvrir, fournira les chaînons entre l’animal et nos préhistoriques. Comme le muscle se contracte et la glande secrète, ainsi le cerveau pense. Non point que l’on puisse voir ou mesurer la pensée, qui n’est pas un corps, mais une fonction où s’intègrent et s’ordonnent en unité les activités cérébrales. La preuve en est que la délicatesse de la structure du cerveau, ses multiples circonvolutions et sa richesse en phosphore sont les conditions de la supériorité de notre pensée humaine. Le moi n’est que l’harmonie de cet ensemble de fonctions ; aussi change-t-il avec l’âge, le sexe, le climat, la nourriture, etc. La liberté est une illusion comme le moi permanent et l’âme : nous sommes le théâtre du déterminisme bio-psychique. Le bien à promouvoir, en utilisant ce déterminisme même, comme le navigateur utilise le principe d’Archimède, c’est l’harmonie des intérêts. A la mort, l’assemblage bio-psychique fait retour au milieu physico-chimique. — Il est manifeste que cette vaste hypothèse est une construction faite dans le but secret de donner satisfaction au besoin de continuité de l’esprit scientiste, beaucoup plus que pour se soumettre aux faits : ironie des choses I ce système obéit donc à un idéalisme inconscient I

Un autre médecin Czoble (1819-1873) approfondit ces théories en y mêlant je ne sais quel romantisme naturaliste qu’il admirait fort chez le poète Hôlderlin. Dans les phases successives de sa pensée éclatent peu à peu les cadres rigides de la matière et du mouvement. Limites et origine de la connaissance humaine, 1865. Manifestement il devine peu à peu qu’il y a plus dans la synthèse active, qu’est la conscience psychologique, que la somme des éléments, surtout chimiques et géométriques. Il regarde le matérialisme comme une méthode, un instrument de travail pour mettre les faits en connexion ; mais ce n’est là qu’un point de vue commode et non la révélation du fond des choses. Le spiritualisme lui paraît causé par « le mécontentement que nous inspire le déterminisme des phénomènes » ; il est donc une faiblesse morale. Au contraire, le partisan du naturalisme accepte de continuer l’univers et de joyeusement si insérer (nielzschéisme avant la lettre). La méthode mathématique nous enseigne à procéder avec clarté ; or les éléments psychiques, dont l’ensemble est appelé âme, ne peuvent se ramener aux atomes en mouvements. Il l’avait cru d’abord, en songeant que toutes nos sensations, desquelles dérivent les autres connaissances, exigent des contacts et se présentent comme « volumineuses », ainsi donc il n’y aurait pas de différence essentielle entre les mouvements rétiniens dans la vision et leur cheminement jusqu’à ceux du cerveau terminal.

Nouvel exposé du sensualisme, 1855. Mais comment passer du mouvement spatial à l’unité de la sensation ? … Il admet donc désormais que, de toute éternité, des groupes d’atomes en vibration furent liés à des sensations : le progrès les rapproche et les met en marche chez l’homme vers l’accord et l’unité dans la civilisation (monisme).

During, dans son Cours de philosophie, développe et applique aux sciences morales et politiques les conséquences du déterminisme matérialiste.

David Frédéric Strauss, — qui, en sa Vie de Jésus (1835), invoquait le besoin de la foi de se contempler en des récits mythiques, passe au monisme d’inspiration darwinienne, en 1872, dans son livre : L’ancienne et la nouvelle foi. En bon Allemand, il nous apprend que la nouvelle religion consiste à reconnaître notre dépendance à l’égard des forces de la nature et à faire corps avec le rythme universel des choses atteint par les sciences. Nietzche se moqua de cette adoration de la science.

Citons encore "Virchow, Burmeister, Lôwenthal, et aussi les italiens Herzen et Mantegazza ; pour ce dernier, pensées, émotions, arts, révolutions « ne sont que des transformations de la chaleur solaire ». En Angleterre, Thomas Huxley (1825-1895) et John Tyndall (1820-1893) se rattachent surtout à l’évolutionnisme.

Voici d’après celui-ci un clair exposé du parallélisme mouvement-sensation. « La formation d’un cristal, d’une plante ou d’un animal est, aux yeux des savants, un simple problème mécanique qui ne diffère des problèmes mécaniques ordinaires que par la petitesse des masses et la complexité des procédés… Tout acte de conscience, sensation, pensée ou émotion, correspond à un état moléculaire défini du cerveau… de telle sorte qu’étant donné le cerveau, on pourrait en déduire la pensée ou le sentiment correspondant et inversement… Ils se produisent ensemble mais nous ne savons pas pourquoi. » Leur lien reste un mystère ; il est empirique. Nous aurions beau connaître en détail les mouvements des cellules cérébrales, nous ignorerions encore pourquoi ces faits si différents sont simultanés. Revue des cours scientifiques, 1868-69, p. 14 et 15. Il est vraiment trop commode de s’en tenir à ce double fait, sans rechercher sa raison d’être : cet astucieux positivisme escamote le problème sous prétexte qu’il serait insoluble.

En France, Claude Bernard (1813-1878) fut fort préoccupé de libérer la biologie du joug de l’animisme et du vitalisme en vue de montrer sa continuité avec les sciences physico-chimiques ; toute certitude, en l’espèce, se fonde sur le plus rigoureux déterminisme que romprait l’âme ou le principe vital. L’irritabilité des êtres organiques et leur coordination fonctionnelle ne sont pas sans analogies dans le monde inorganique. Certains, ajoute Dastre, son disciple (La Vie et la Mort, 1903, p. 238), croient à des rudiments de conscience qui, dans les minéraux attendent une architecture appropriée pour devenir des sensations avec une organisation : c’est là une hypothèse en harmonie avec l’idée de continuité demandée par l’évolution. Claude Bernard regarde cependant nos conceptions métaphysiques de la vie comme d’invincibles besoins de l’esprit que l’on aurait tort de mépriser. Mais, d’abord, il convient de distinguer et de séparer physiologie expérimentale et philosophie ; ensuite de bien marquer l’équation humaine, émotionnelle, qui caractérise les certitudes de la seconde. « L’idée directrice » est un besoin de notre esprit quand il veut penser la vie. Leçons sur les phénomènes de la vie, 2e édit., 1885, p. 54, 396 ; Revue scientifique, 1877, t. ii, p. 337, 513. — Charles Richet écrit, lui, que l’âme est une fonction du cerveau et la liberté une illusion, bien signalée