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MARONITE (ÉGLISE), LES MARONITES ET LE MONOTHÉLISME

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le salaire qui te revient, et va-t-cn en paix. Je veux donner à ton compagnon autant qu’à toi (Mattli., xx, 14). — — Cette autre parole : Personne ne connaît le Père, si ce n’est le Fils et celui à qui le Fils a voulu le révéler (Matth., xi, 27)… Ces paroles montrent bien qu’il n’y a qu’une seule volonté par rapport aux choses indiquées (fol. 21 v°-31).

Il est évident que l’auteur de cette profession de foi n’avait pas connaissance de la doctrine du VI" concile. Pour lui, le Christ est un homme parfait comme Dieu est parfait ; les deux natures divine et humaine sont trop étroitement unies en lui pour qu’on puisse .s’imaginer le moindre désaccord entre elles. Aussi la base de l’argumentation est-elle toujours l’impossibilité absolue d’une opposition entre les deux volontés, sans envisager particulièrement la question d’une puissance volitive humaine dans le Christ. Le dogme des deux volontés physiques du Sauveur se trouve à l’état implicite, comme il avait été chez d’autres chalcédoniens avant les querelles monothélites. On n’entend pas nier l’existence de la faculté de vouloir humaine, puisque le Christ possède toute notre nature, hors le péché. Ce que l’on nie, c’est la possibilité d’un conflit qui opposerait en Jésus-Christ une volonté humaine à une volonté divine, car si les deux volontés « se trouvent conformes l’une à l’autre, on aboutit à une seule volonté’» ; en d’autres termes, les deux volontés sont tellement unies qu’on ne saurait relever entre elles aucune distinction extérieure. Les quelques exemples tirés de l’Évangile (pour étranges que paraissent quelques-uns) font encore ressortir la pensée des maronites. Le Christ agit en Dieu comme il agit en homme. Il exprime sa volonté lorsqu’il accomplit une action divine ; il l’exprime également quand il fait une action humaine. Ainsi, la guérison du lépreux provient, de la volonté divine tandis que l’octroi du salaire est l’œuvre de la volonté humaine. Mais celle-ci se trouve en parfaite harmonie avec la volonté divine au point que le Christ ne possède qu’une volonté dans le sens de la chose voulue. Somme toute, ce passage du Livre de la direction nous rappelle le récit de Tell-Mahré : maronites et melkites avaient été unis dans la même confession religieuse ; ils se divisèrent sur la question des deux volontés, les maronites l’ayant comprise dans le sens de deux volontés adverses.

Un troisième texte est emprunté à l’ouvrage connu sous le nom de Dix chapitres, composé au xi » siècle par un évêque maronite, Thomas de Kaphartab. C’est un ouvrage inédit, écrit en arabe. Nous citerons l’exemplaire conservé, sous le n. 203, au fonds syriaque de la Bibliothèque nationale de Paris, exécuté en 1781 (= 1470 de J.-C). Généralement, on invoque cet ouvrage à l’appui de l’opinion qui croit au monothélisme de l’Église maronite. Il est certain que la lecture de quelques passages conduirait à pareille conclusion les esprits peu avertis de la question. Il faut le lire tout entier pour pouvoir se faire là-dessus un jugement exact.

Les Dix chapitres furent adressés en 1089 à Jean IV, patriarche melkite d’Antioche. En voici le thème général : Jésus-Christ est Dieu parfait, homme parfait. Il nous est semblable en toutes choses, hors le péché. Il a une seule volonté, parce qu’il ne peut y avoir en lui deux volontés opposées l’une à l’autre, en d’autres termes, deux volontés dont l’une divine — celle du Père — et l’autre humaine en contradiction avec elle. C’est qu’en effet le Sauveur n’a pas la volonté d’une nature souillée par le péché comme celle d’Adam déchu. La nature humaine du Christ est pure de toute souillure originelle.

Enfin, il nous suffirait, pour montrer encore la continuité de la même pensée, de renvoyer à la recommandation adressée par l’évêque au nouveau prêtre,

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telle qu’elle figurait dans les anciens rituels d’ordination. Voir, par exemple, un pontifical écrit en 1507 et conservé parmi les mss. de la Vaticane, Vat. syr., 48, fol. 63.

Voilà la doctrine de l’Église maronite. On n’a jamais nié la volonté physique de la nature humaine du Christ. C’est l’idée d’une antithèse entre les deux volontés de l’Homme-Dieu qu’on ne veut pas admettre. L’expression de cette idée est confuse, plus ou moins mal venue, il est vrai ; mais il faut en chercher la cause dans l’ignorance des définitions conciliaires de 680-681. Même au xie siècle, les maronites ignoraient tout du VIe concile. C’est encore Thomas de Kaphartab qui nous l’apprend : « Jamais, dit-il, les conciles n’ont parlé de deux volontés. » Op. cit., fol. 88 v° ; cf. aussi fol. 96 v°, 97 r°. Les maronites en étaient tellement convaincus qu’ils se regardaient comme unis par la foi aux « Francs », c’est-à-dire aux Latins et se trouvant ainsi en parfait accord avec l’orthodoxie. Voir le même Thomas de Kaphartab, op. cit., fol. 86 v°, 100 r°. C’est bien pourquoi, ils accueillirent à bras ouverts les premiers croisés qui arrivèrent au Liban en 1099, et leur rendirent de précieux services. Guillaume de Tyr, Hisloria, t. XXII, c. viii, P. L., t. cci, col. 855-856 ; Lammens, La Syrie, t. i, p. 212. Puis, ayant appris d’eux la doctrine du VIe concile, ils s’empressèrent de confesser explicitement le dogme des deux volontés. Tel qu’il était expliqué par les Pères, ce dogme s’accordait fort bien avec l’idée que les maronites s’étaient faite de l’Incarnation. Voilà ce qu’on appelle la conversion des maronites, racontée par le célèbre historien des Croisades, Guillaume de Tyr !

Mais comment interpréter, diront les tenants de la thèse contraire, les documents qui témoignent tout court du monothélisme maronite ?

Pour répondre à cette objection, il faut classer les textes en deux catégories : les textes de provenance maronite et les ouvrages des différents auteurs qui ont parlé des maronites.

Pris séparément, nous le reconnaissons volontiers, certains textes maronites, liturgiques ou autres, pourraient être cités en faveur du monothélisme. Mais la critique n’admet pas la citation de textes isolés : elle en exige l’étude comparée avant de tirer les conclusions finales. Or, si on envisageait, dans leur ensemble, les textes proprement maronites, les éclairant les uns par les autres, si même on les rapprochait d’autres documents et qu’on les replaçât dans leur cadre historique, on aboutirait à cette conclusion : le monothélisme condamné par le VI » concile n’était pas celui des maronites, ces derniers ayant voulu proclamer seulement l’union morale des deux volontés dans le Christ. Les expressions peu calculées et inexactes ne sauraient être comprises autrement par quiconque aura bien examiné et confronté les divers documents relatifs à cette question. D’ailleurs, une expression mal venue, ou même une erreur positive dans un ms. ne suffirait point, à elle seule, pour taxer d’hérésie une communauté ou une Église qui en ferait usage. La faute devrait être rejetée sur le copiste, attribuée à une négligence de sa part, à son ignorance, ou imputée au modèle dont il aura fait une reproduction servile. En Occident, comme en Orient, les mss. étaient exécutés sans le contrôle de l’autorité et l’écrivain seul y engageait sa responsabilité. L’erreur pouvait s’y glisser d’autant plus facilement que les scribes cherchaient parfois à utiliser ou à accommoder à l’usage de leurs Églises respectives les livres ecclésiastiques d’autres communautés. Voir, par exemple, trois copies manuscrites du Nomocanon d’Ibn-Al-’Assal, copte monophysite, adaptées aux besoins de l’Église maronite et dont l’une exécutée