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MASSORE


les deux sens (donc les deux orthographes ; », y compris un manuscrit de la Bibliothèque de l’Université de Halle que Hupfeld eût pu consulter. Ginsburg, p. 968971.

III. Valeur théologique du texte massokétique. — Un fait qui montre bien en quelle estime et autorité les Juifs des siècles post-exiliques tenaient le texte de leurs Livres sacrés, c’est celui des quinze passages de la Loi où les Septante, selon le Talmud et les Midraschim, modifièrent l’hébreu original, par l’effet d’une « grâce octroyée à chacun d’eux » pour ampliation du sens doctrinal de ces passages : Gen., i, 1 ; i, 26 ; ii, 3 ; v, 2 ; xi, 7 ; xviii, 12 ; xlix, 6 ; Ex., iv, 20 ; xii, 40 ; xxiv, 5 et 11 ; Num., xvi, 15 ; Deut., iv, 9 ; xiv, 7 ; xvii, 3etLev., xi, 6. Bab. Megilla, 9 a ; Jer., Megilla, i, 9 ; Midrasch Mechiltha, 15 b. Ainsi, pour amener les premiers mots de la Genèse à exprimer clairement la création ex nihilo par la traduction courante : ’Ev àpyîj, èrcoîrcrôv 6 Qzbç tov oùpocvov…, alors que l’hébreu supposerait plutôt : ôxe St) ^p^aro ôGsôç 7To19jaai… « Quand Dieu commença de créer… », il ne fallut pas moins qu’un acte nouveau d’inspiration divine qui fit lire au traducteur : ’Elôhîm bârâ’berê’Sîth… « Au commencement, Dieu créa… »

Et cette estime et autorité ne diminua certes pas quand la version grecque des Septante fut bientôt discréditée dans la Synagogue, à ce point d’y être comparée au « veau d’or substitué au vrai Dieu ». Sopherim, i, 7, C’est durant la période qui court de l’attribution aux Septante d’une autorité divine jusqu’au temps où leur œuvre fut rejetée en tant qu’interprétation tout à fait inadéquate du texte original, que celui-ci fut graduellement fixé avec référence constante aux traditions ancestrales. Un peu moins d’un siècle avant notre ère, des établissements d’instruction avaient été ouverts, académies ou simples écoles, où tout enfant devait à partir de l’âge de cinq ans apprendre à lire la Bible soigneusement écrite. Ketuboth, viii, 11 ; Abolh, v, 21 ; Pesachim, 12 a ; Josèphe, Cont. Ap., i, 12. Le texte sacré était lu également dans les synagogues. Cont. Ap., ii, 17 ; Megilla, iv, 2 et 4 ; cf. Act., xv, 21. Et il importait extrêmement à la foi savante ou populaire que d’une école ou d’une synagogue à l’autre ce texte fût uniforme. En ce temps où l’inspiration et la révélation divines n’avaient pas encore passé du cercle de l’Église juive à celui de l’Église chrétienne, les sopherim, en réalité guides spirituels des communautés, re viseurs, éditeurs et, au degré que nous avons marqué, véritables conservateurs des Écritures canoniques, devaient encore jouir d’une autorité et d’un don d’assistance divine dus à leur condition de coopérateurs à l’œuvre des grands inspirés d’Israël. L’Évangile, du reste, sut leur reconnaître ces charismes : les scribes n’ont-ils pas « siégé (ÈKâOicjav, sederunt) dans la chaire de Moïse » ; et n’a-t-il pas fallu « garder et faire tout ce qu’ils disaient » ? Matth., xxiii, 2-3. Le texte hébreu qu’ils ont établi reste donc le texte seul authentiquement inspiré, et il subsiste en cette qualité comme source première en date de l’enseignement religieux traditionnel, comme lieu théologique où puiser, sous le bénéfice du même don d’assistance transféré à l’Église nouvelle, la substance de cet enseignement.

Et la consécration officielle des textes grec et latin des versions immédiates Septante et Vulgate, par l’autorité conciliaire ou pontificale, n’est faite pour diminuer en rien ce privilège du texte hébreu massorétique d’être et de rester toujours l’expression substantielle directe de l’inspiration et de la réélation juives, depuis les origines jusqu’au moment où s’éteignirent pour jamais en Israël ces deux lumières. Bien que les docteurs de la Synagogue aient interprété

le texte canonique suivant une méthode et des traditions propres à obli’érer souvent le sens littéral en faveur d’une exégèse allégorique, homilétique et au surplus artificielle, ce texte n’en est pas moins demeuré des siècles durant constamment identique à lui-même, en face de ses premières traductions, immédiates ou dérivées, altérées de très bonne heure en dépit de l’usage qu’en firent les Pères et docteurs de l’Église chrétienne selon les nécessités de leur enseignement, dogmatique et pastoral. Altérée cette Koivyj hellénique (les Septante avant l’édition d’Origène), que saint Jérôme représentait un peu dédaigneusement aux deux Goths chrétiens, Sunnia et I-’rithila, comme une « vieille édition corrompue au hasard des temps et des lieux suivant l’arbitraire des transcripteurs ». Altérée l’ancienne vulgate latine, version de cette Koivyj, où le même Père trouve à déplorer tant de choses, vel a viliosis inlerprelibus maie édita, vel a prœsumptoribus imperitis emendata perversius, vel a librariis dormilantibus addila aut mutata… Prsef. in quai. Evangelia, P. h., t. xxix, col. 527. En vain le saint docteur voulut-il d’abord corriger cette vieille latine d’après le texte des Hexaples d’Origène, Præf. in lib. Psalm., t. xxix, col. 117-120 ; In lib. Job, ibid., col. 61, 62 ; devant les altérations sans cesse renaissantes, renascentes spinas, il lui fallut enfin songer à traduire le texte hébreu lui-même, où il avait pleine conscience de trouver la vraie tradition en face de ce qu’il jugeait, quelque peu hyperboliquement, être mensonger. Epist., xlix, 4, ad Pammachium, t. xxii, col. 512 : Lege eumdem Greecum et Latinum ; et veterem editiomm noslræ translationi compara : et liquido pervidebis quantum distet inler verilatem et mendacium ! Le texte dont il s’est servi pour sa version se trouvant avoir été à peu près identique à celui de la Massore, il suit naturellement que l’hébreu traditionnel de nos Bibles bénéficie largement du sentiment favorable à la vulgate hiéronymienne exprimé dans le décret qui a déclaré celle-ci « authentique », et que dans les passages où il concorde parfaitement avec elle, il participe à son autorité. C’est, du reste, le sentiment du cardinal Franzelin, De divina Traditione et Scriptura, -Borne, 2e édit., 1875, p. 567 : Licet nullo explicitoEcclesiie decreto declarata sit authentia textus hebraici in veteri Testamento, … de eatamen certe constat non solum critice et historiée sed de authentia quoad rei summam etiam dogmatice. Ipsa enim authentia editionis vulgatæ quee dogmatice declarata est, supponit aulhentiam textus hebraici… saltem ut in omnibus exemplaribus simul sumplis in Ecclesia Dei adhuc exstat et dignosci potest.

Le sentiment commun des théologiens catholiques est que le décret conciliaire n’oblige à suivre la Vulgate que dans les passages concernant la foi et les mœurs, et que cette version peut bien contenir même des erreurs de traduction dans des détails qui ne sont point du domaine doctrinal ou moral formant ce qu’on appelle la substance des Livres saints. Si l’authenticité de la Vulgate doit donc être interprétée comme supposant et entraînant la conformité substantielle avec le texte original, et celle-là seulement, ce dernier texte peut alors garder dans les passages divergents une supériorité naturelle sur sa version et ne devoir point lui être sacrifié, attendu que, pour la critique, l’original doit être en principe préféré à la version. C’est ce principe qui a fait souvent corriger le texte latin de la Vulgate, depuis le xiie siècle, d’après l’hébreu aussi bien que d’après le grec. C’est lui également qui portait Léon XIII à prôner l’utilité de recourir à la langue originale, inspectio preecedentis linguse, si le latin de la Vulgate offrait quelque part un sens équivoque, une expression moins correcte, la trace, en un mot, d’une faiblesse, ou même d’une faute de