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MASSORE


catif d’excellence. Plus encore, lùh en vint à être estimé l’équivalent hébraïque de l’exclamation grecque lût, toO (hélas !). Midrasch liabba sur Gen., xuii, 14. — Toute cette question est étudiée longuement et minutieusement dans Ginsburg, Introduction, p. 369-399.

L’égal souci d’épargner au nom divin tout semblant de profanation devait conduire les sopherim à prévenir l’application au vrai Dieu de noms d’idoles, au risque — parfois réalisé — de rendre difficiles certaines identifications nécessaires à l’intelligence du texte, et d’amener d’apparentes contradictions entre passages parallèles. On sait que le mot ba’al n’est dans son sens premier qu’un appellatif : « maître » ou « seigneur », appliqué à la divinité aussi bien que’él, ’elôhim, et, en fait, appliqué à Iahvé même soit dans la prière ou le simple discours, Os., ii, 16, 17, soit par composition dans les noms propres de personnages fervents adorateurs de Iahvé et zélés défenseurs de son culte, tels : Jerubba’al (Gédéon), Jud., vi, 32 ; vii, 1 ; Ischba*al, fils de Saiil, I Par., viii, 33 ; ix, 39 ; Ba’aljâh, héros de David, I Par., xii, 5, celui-ci de signification ouvertement jahviste, : « Iahvé est (son) baal », etc. Inquiets pour l’orthodoxie de voir appliquer à Dieu un appellatif aussi discrédité que celui-là par l’emploi courant qu’en faisaient encore les nations païennes pour désigner leurs idoles, les scribes postexilicns le changèrent en maint endroit en celui de bôschet, ou beschel, « honte » : Jerubbeschet, II Reg., xi, 21, que les Septante, la version syriaque et la Vulgate lurent encore Jerubbaal ; Ischbôschet, II Reg., ii, 8-15, etc. Ginsburg, p. 400-404. On sait aussi que melek est un autre titre de Jahvé, seul vrai « roi » d’Israël : Num., xxiii, 21 ; Deut., xxxin ; 5 ; Jer., xxxin, 22 ; Ps., v, 3 ; x, 16 ; xxix, 10, etc., mais titre aussi des odieuses idoles des nations voisines, comme le montrent encore les Septante (ap/cov) dans les passages Lev., xviii, 21 ; xx, 2-5. Pour empêcher que la divinité du « roi » d’Israël ne fut atteinte et compromise même en pensée par une identification toujours possible chez les Juifs avec la hideuse image du « roi-idole », les mêmes scribes introduisirent la lecture môlek, ou milkôm, dans ces passages et dans plusieurs autres tels que : III Reg., xi, 5, 7, 33 ; IV Reg., xxiii, 10, 13 ; Jer., xxxii, 35, etc., d’où nous sont venus les faux noms propres de divinités chananéennes Moloch et Milcon. Ginsburg, p. 459-461.

Comme nous l’avons marqué, la Massore avoue par ailleurs une vingtaine de corrections opérées dans le texte. La véritable leçon primitive indiquée expressément à la marge des manuscrits (Br. Mus., Orient., 1379, 268 b ; 2349, 108 a ; 2365, 138 b) nous révèle par comparaison qu’elles eurent pour but dans l’intention des correcteurs, de sauvegarder, ici, la transcendance de Iahvé en supprimant un anthropomorphisme : II Reg., xvi, 12 ; Ez., viii, 17 ; Zach., ii, 12 ; Job, vii, 20 ; Lam., iii, 20 ; là, sa sainteté contre toute offensante attribution : Num., xi, 15 ; Job, xxxiii, 3 ; ailleurs, sa suprême dignité et majesté contre toute atteinte d’irrespect : Gen., xviii, 22 ; I Reg., iii, 13 ; Jer., ii, 11 ; Os., iv, 7 ; Mal., i, 13 ; Ps., xvi, 20 ; son immortalité : Hab., i, 12 ; ou encore le crédit religieux d’Israël (à l’opposé de Juda) qui ne devait pas être, malgré l’histoire, suspecté de polythéisme : II Reg., xx, 1 sq., ou de personnes telles que la mère de Moïse : Num., xii, 12, et peut-on ajouter, Moïse lui-même, dans Jud., xviii, 30, où le « noun suspendu » sur le nom de Môscheh (Moïse) pour contraindre à la lecture Menasscheh (Manassé) lavait de tout soupçon d’idolâtrie la postérité du grand législateur dans son petit-fils Jonathan, prêtre de Micah.puis des Danites. Ginsburg, p. 347-363. Sans restituer les leçons originelles, la

Massore du Codex babylonicus de Saint-Pétersbourg ajoute les deux passages : Mal., i, 12 et III, 9, où le fait d’une malédiction contre la divinité est dérivé sur autrui ou oblitéré par subterfuge grammatical. Dans son commentaire sur II Reg., xii, 14, Raschi signale aussi comme « une altération due à la révérence pour la gloire de Dieu « semblable dérivation d’un blasphème imputé à David sur « les ennemis de Iahvé ». Ailleurs, Ps., x, 3 ; III Reg., xxi, 10, 13, l’atténuation se réalise par l’emploi de l’euphémisme bien connu : « bénir » pour « maudire » ou « blasphémer » : la double leçon est même restée dans le psaume ; et, pour III Reg., c’est le targum et la version syriaque qui trahissent le pieux subterfuge. Cf. aussi : Job, i, 5, 11 ; ii, 5, 9.

Les massorètes, en fidèles réalisateurs des traditions de leurs prédécesseurs les sopherim, ne se sont pas fait faute non plus d’altérer le texte, là où ces traditions l’exigeaient, par le moyen des voyelles. Fut-il jamais plus dangereux anthropomorphisme que celui-ci : « voir » (jre’eh) ou « contempler la jace de Iahvé » ? Bien que les psaumes xi, 7 (Vulg., x : vidit ; Septante : sîSev) et xvii, 15 (Psautier hébraïque : videbo), cf., aussi, Is., xxxviii, 11 (Vulg., videbo) — aient le mot synonyme dans la forme active, qui a simplement pour objet la divine présence en tant que manifestée dans le sanctuaire, le psaume xlii, 3, porte, au mépris de la grammaire, massorétiquement et fort prudemment, le passif « être vu » (jêrâ’eh), « paraître devant Dieu » ; alors que plusieurs manuscrits, le targum et le syriaque ont aussi l’actif. Cf. au surplus, Ex., xxiii, 15, 17 ; xxxvi, 20, 23 ; Deut., xvi, 16 ; xxxi, 11 ; Is., i, 12, etc. Ginsburg, p. 457-459.

Aux temps machabéens, lors de la profanation du temple de Jérusalem par Antiochus Épiphane, I Mach., i, 41-64, et de l’usurpation du souverain pontificat par Alcime, vii, 1-22, Onias (IV) fils du grand prêtre légitime dépossédé, Onias III, avait bâti en Egypte, à Léontopolis, ville de la préfecture d’Héliopolis, un temple à Iahvé doté par le roi Ptolémée Philadelphe lui-même, et cela sinon à la grande joie des Juifs palestiniens, du moins avec leur tolérante sympathie. Josèphe, Antiq., xii, 9, 7 ; xiii, 3, 1-3 ; Bel. jud., i, 1, 1 ; viii, 10, 2 et 3 ; Cont. Apion., il, 5 ; II Mach., i, 1 sq. ; 18, ii, 16-18. Ceux d’Egypte, et ils étaient nombreux, purent ainsi deux siècles durant, 140 avant J.-C. -71 après J.-C, adorer Iahvé de la manière prescrite par les rites mosaïques. Un texte d’Isaïe, xix, 18-25, semblait prédire et autoriser cet établissement extraordinaire parmi « cinq villes égyptiennes » dont « l’une serait appelée » en conséquence, et tout comme Jérusalem elle-même, « cité de la justice ». Cf. Is., i, 16. C’est, du moins, la leçon supposée par le grec des Septante : 7toXiç àaeSéx (= héb. : haççedeq), que l’interprète d’Isaïe n’a pas voulu traduire, obéissant déjà sans doute au scrupule de mettre en parallèle les deux temples, celui de la métropole, seul orthodoxe, et celui de Léontopolis, bientôt suspect de schisme. Un premier sopher introduisit l’altération, apparemment suggérée par l’idée du voisinage d’Héliopolis : haheres, « du soleil », leçon d’une quinzaine de manuscrits, de Symmaque (t)Xîou), de la Vulgate civitas solis, de la version arabe de Saadia et des plus anciennes traditions, Menachoth, 110 a. (Peut-être l’altération fut-elle plutôt, abstraction faite de la vocalisation massorétique : hah(a)r(a)s « du lion » = Léontopolis.) Un autre sopher prétendit lire à son tour : haheres, « de la destruction » ; c’est notre leçon massorétique, celle aussi d’Aquila, de Théodotion, de la version syriaque, et le seul terme qui, au jugement du scribe, pût désormais convenir à cette cité d’opprobre en face du temple hiérosolymitain restauré et rendu au culte de Iahvé. Le targum des Prophètes, embarrassé, adopta