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rites ont enfin recueilli religieusement toutes ces notations, et en ont constitué des recueils spéciaux dont les chapitres déjà massorétiques du traité des Sopherim. dans le Talnuid, avaient été comme les avant-coureurs ; puis, qu’ils les répartirent et disposèrent connue autant d’avertissements, ou, pour employer le terme consacré, comme une « haie » protectrice (Aboth, iii, 20), autour du texte reçu, afin d’écarter de celui-ci tout danger d’accommodation ou de correction de la part des copistes professionnels, empêchés ainsi d’altérer le texte, ou d’y introduire encore des leçons différentes, ayant survécu dans les manuscrits ou supposées par les anciennes versions.

C’est en cela que résida le meilleur de l’esprit massorétique. Garder au texte biblique toute sa pureté censée originelle, pour le moins autant qu’assurer à la postérité tous les éléments jugés nécessaires à son interprétation, fut le but suprême de la Massore. Et il faut reconnaître qu’ « elle ne pouvait mieux garantir la conservation du texte sacré que par le moyen de la méthode singulière » qu’elle employa et qui se résume toute en ces deux mots : « compter, compiler ». « Plus naturelle eût été assurément une transcription exacte ; mais le résultat eût été beaucoup plus aléatoire, car toute copie nouvelle devenait inévitablement une nouvelle source de fautes. » Pas un codex-type qui n’ait eu encore, en effet, et malgré la Massore de ses marges, ses leçons particulières dans le texte, et dans la massore elle-même ses variations, suivant les diverses écoles de massorètes et les conceptions personnelles des copistes. « Les conditions de la tradition ( toujours donc incertaine en quelque point) du texte hébraïque ne changèrent qu’avec l’invention de l’imprimerie. Seule la composition typographique surveillée pouvait émettre et assurer en nombre des exemplaires de la Bible en édition vraiment stéréotype. » Ehrentreu, L’ntersuchungen ùber die Massora, ihre geschichlliche Enlwicklung und ihren Geisl. Hanovre, 1925, p. 152. Aussi les Juifs saluèrent-ils avec enthousiasme la prestigieuse invention qui leur permit soudain de multiplier et de répandre au gré de leur désir la parole de Dieu dans sa pureté native ; et leurs premiers typographes appliqués à cette œuvre eurent-ils conscience de collaborer à une « œuvre sainte ». Brann, Geschichte der Juden und ihrer Litteratur, Breslau, 1899, p. 266 ; Ginsburg, p. 779-780. Nous sommes parfaitement assurés — disaient en épigraphe les imprimeurs de l’édition princeps des Prophètes, de Soncino, 1485-1486 — qu’il n’est point de codex écrit avec la plume aussi correct que le présent exemplaire imprimé. Nous avons certainement parmi nous plus d’un manuscrit excellent et soigné… mais ceux-là même n’ont pas évité les fautes et les bévues, car ce serait miracle en vérité de trouver un livre exempt de méprises. » Ginsburg, p. 804-805. Encore soupçonnaient-ils bien quelques « confusions de lettres ».

II. Intégrité du texte massouétique.

Les variantes actuelles de la.Massore, dans le texte ou dans les marges, variantes souvent rapportées d’autres manuscrits, ou même expressément autorisées de radiées types connus et jouissant d’une grande considération dans les écoles de scribes reviseurs et pooetuateurs (nakdànim) successeurs des massorètes, n’ont en général d’importance réelle que relativement à l’orthographe des mots ou à l’équilibration plus naturelle et plus logique du sens de quelque phrase. Mais en est-il de même des leçons imposées par les sopherim depuis les temps antérieurs à l’ère chrétienne, comme aussi des divergences parfois considérables qui régnaient à la même époque reculée dans les recensions du texte hébreu des Prophètes

et des Hagiographes, ainsi que l’atteste la version grecque des Septante ? Ces leçons et ces divergences n’auraient-elles pas atteint la substance doctrinale des Livres saints ? Ne faut-il pas parler de modifications volontaires du texte, non signalées certes par une massore, mais inspirées aux Juifs par des raisons théologiques en face de dissidents usant des mêmes Écritures, tels que les chrétiens ?

La foi juive des derniers temps de l’autonomie machabéenne peut se résumer pour l’essentiel dans les articles suivants :. Il n’est qu’un seul Dieu de l’univers, un seul El, ou Elohim. Iaiivé est son nom ineffable. Il est transcendant et saint. Moïse est son prophète et Israël est son peuple. Les autres dieux des nations ne sont au prix de lui que honte et que néant. A Jérusalem est son temple unique, et uniquement agréable. L’homme est sa créature, et l’âme humaine est immortelle… Or, sopherim et massorètes ont, en réalité, louché à chacun de ces articles en retouchant le texte biblique ; mais ce fut, au contraire de ce qu’on pourrait attendre ou imaginer, uniquement pour les affermir en les sauvegardant contre toute hardiesse de rédaction ou toute interprétation du texte qui leur paraissait dangereux ou erronée. L’altération procéda surtout par voie de correctifs et d’atténuations en s’inspirant ouvertement de ce principe. La Massore, qui donne en divers manuscrits la leçon originelle remplacée par l’actuelle, autorise et justifie presque toujours l’altération en la portant au compte non seulement des sopherim en général, mais encore, en rapportant l’opinion de certaines écoles, d’Esdras lui-même, ras. du British Muséum, Orient. 1397 ; Orient. 2349, ou encore « des scribes Esdras et Néhémie ». Or., 1425. Le Midrasch Tanchuma, 83 a, l’attribue même aux membres de la Grande Synagogue.

On peut signaler ici en premier lieu — indépendamment de l’usage immémorial chez les Juifs de taire le nom divin par le moyen d’un qerc perpétuel de lecture qui faisait prononcer Adonai (ou même l.lohim) le nom de Iahvé en toute occurrence — le souci de remplacer systématiquement dans les textes le tétragramme ineffable par l’appellatif Elohim : comp. II Beg., v, 17-25 à I Par., xiv, 8-17 ; yi, 9-17 à I Par., xiii, 12-xiv, 1 ; Ps., xiv, 2-7 à Ps., lui, 3-6, etc., ou de le dénaturer en quelque sorte dans les noms propres théophores et dans l’invitatoire des psaumes, Alléluia (holâlû jûh « louez Iahvé). Peu s’en est fallu qu’ainsi nous fussions réduits à ignorer toujours la véritable prononciation du nom divin. Son abréviation essentielle Iahv, ou Iah, en fait pleinement équivalente à Iahvé dans les discours, fut souvent transformée par les scribes, au commencement du nom propre théophore, en lehô, ou dans le plus simple et plus précautionné lô ; à la fin du nom, en lâch, lequel, jugé encore trop peu oblitératif s’allongeait en Iahû, ou se réduisait à I vocalisé î ou aï, si bien que parfois il en venait à s’évanouir complètement (Schéma’jâh, I Par., ix, 16, devenu Schammûu’, dans Neh., xi, 17). Le respect, la révérence exagérée du nom divin l’emportait si fort sur le respect du texte, que Vhalâlû jâh, au nom divin primitivement séparable, la bonne leçon assurément et de signification liturgique voulue, fut réduit par le moyen d’un procédé grammatical à n’être plus qu’une simple interjection musicale, Pesachim, 1 17 « , et finalement non traduite — tel un nom propre — par les Septante et la Vulgate. D’autres expressions dont faisait partie intégrante ce même nom de lâh, et où il parut nécessaire d’atténuer quelque métaphore jugée trop hardie ont subi çà et là la même oblitération : Ex., xvii, 16 ; Jos., xv, 28 ; Jcr., ii, 31 ; Ps., c.xviii, 5 ; Cant., vin, 6 : elle y fut réalisée par une sorte de désécration du nom divin traité alors comme simple qualifi-