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MASSILLON


ses opinions gallicanes que ses tendances jansénistes ». Massillon, sa prédication, p. 381. Avec non moins de conviction que Bossuet, il défendait les idées renfermées dans la Déclaration de 1682 et dans le Discours sur l’unité. Il écrit au cardinal de Bissy, successeur de Bossuet : « Le fond de votre doctrine sur les bornes des deux puissances, leur souveraineté, leur indépendance dans l’exercice de leurs fonctions, m’a paru la véritable doctrine de l’Église. » Lettre du 7 décembre 1734. Et dans l’oraison funèbre de Louis XIV : « Rome est forcée de désavouer par un monument public le droit des gens violé et l’outrage fait à une couronne de qui elle tient sa splendeur et la vaste étendue de son patrimoine. » Ces idées nous choquent aujourd’hui, mais elles étaient couramment admises en France à cette époque et Rome ne les avait pas encore condamnées.

Toute sa vie au contraire, il lutta contre le jansénisme. Jeune professeur au collège de Pézenas, il résiste à l’évêque d’Agde qui s’opposait au Formulaire, il entretient de bonnes relations avec les jésuites et les cordeliers de cette résidence. Si, vers 1700, il subit un peu l’influence de M. de Noailles, celui-ci ne tarde pas à lui reprocher son peu de zèle et lui préfère le P. de la Rue pour l’oraison de son frère le maréchal. De 1712 à 1742, à Paris comme à Clermont, il se voue à l’œuvre de la pacification « II prend le parti qui n’était point parti, celui de l’Église. » Lettre du 28 février 1728.

Avant la condamnation du jansénisme par Clément XI, dans la bulle Unigenitus, 1713, il s’était employé avec autant de zèle que de sagesse à ramener M. de Noailles à la vérité. Avec Louis XIV et Mme de Maintenon, il avait proposé un projet d’acceptation pour déterminer l’archevêque à signer la bulle ; ses démarches étant restées vaines, le Régent le pria en 1718 de reprendre les négociations. Massillon présenta au cardinal un nouveau précis théologique rédigé avec l’abbé— Couët, l’évêque de Rayonne et le F. de La Tour. En même temps le Régent, voulant profiter de la présence de trente évêques à Paris pour hâter la solution, ces prélats d’accord avec Massillon demandèrent aux appelants de signer le projet et obtinrent 97 signatures ; Massillon put ainsi persuader à M. de Noailles que la rédaction était acceptée de l’épiscopat ; le cardinal finit par adhérer en 1720. Les jansénistes se vengent en lançant le pamphlet : les plaintes de la vérité contre ceux qui ont fait fortune à Clermont ; ils le calomnient violemment à cause de sa participation au sacre de Dubois, nommé archevêque de Cambrai, à qui, semble-t-il maintenant, on ne peut vraiment reprocher que son ambition démesurée. Voir L. de Laborie, Correspondant, 25 janvier 1902, p. 343.

A Clermont, Massillon est fréquemment l’objet des attaques des Nouvelles jansénistes ; en vain, Soanen, évêque de Senez, enfermé à la Chaise-Dieu, excite l’agitation dans son diocèse, il ne lui répond que par des bontés, l’engageant à se soumettre, l’invitant dans sa maison de campagne de Beauregard.

Sans se troubler de ces difficultés perpétuellement renaissantes, il travaille à la pacification, à l’administration de son vaste diocèse qui avait, en plus du diocèse de Clermont actuel, celui de Moulins, et qui comptait 33 chapitres, 29 abbayes, 284 prieurés, 758 paroisses divisées en 15 archiprêtrés. Arrivé le 12 février 1721, il annonce dès le 9 avril sa visite pastorale qu’il achève en huit ans, défend les intérêts de tous, temporels aussi bien que spirituels ; dans une peste qui désolait la ville de Thiers, il mérite d’être appelé par les habitants : Defensor civitatis ; il demande l’illustre P. Bridaine pour donner des missions dans son diocèse, etc.

Chaque année, il réunit ses prêtres dans un synode après lequel, il fait donner une retraite. Il compose

pour eux ses Discours synodaux, ses Mandements, ses Conférences dans lesquels, il se montre plus pratique et non moins éloquent que dans ses sermons prononcés à la Cour ; il est difficile de trouver langage plus persuasif, piété plus grande, compétence plus parfaite. L’évêque y complète l’enseignement donné par le directeur de Saint-Magloire ; tous les devoirs de la vie sacerdotale y sont rappelés : sanctification personnelle, charité mutuelle, zèle pour tous, en particulier pour les pauvres, les enfants dont il disait : « Regardons-les avec une espèce de culte, comme des temples purs où résident la gloire et la majesté de Dieu. » Année 1730.

Durant les dernières années de sa vie, tout en revoyant ses sermons qu’il ne voulait cependant pas imprimer, il composait les Paraphrases morales des psaumes, dans lesquelles, sans doute, il ne faut point chercher l’érudition d’un Bellarmin ; elles sont les pures et simples effusions d’un chrétien qui s’élève vers son adorable Maître, qui bénit ses perfections, célèbre son ineffable bonté, redoute sa justice, se confie dans sa souveraine clémence. Dans ces pages trop peu connues et qui, sans pouvoir être considérées comme des mémoires, révèlent cependant l’âme de leur auteur, Massillon laisse voir la sublimité de ses sentiments : tantôt, il s’élève de la vue des créatures à la magnificence du Créateur, à la charité de Jésus-Christ, psaume viii ; tantôt il célèbre les délices d’un cœur qui, livré d’abord au monde, s’en désabuse et revient à Dieu ; tantôt c’est la prière d’une âme juste et innocente en proie à la calomnie ; tantôt la tristesse l’envahit à la vue de l’incrédulité croissante. Après sa mort on a retrouvé ces pages inachevées, une trentaine de psaumes seulement sont étudiés. C’est une des plus belles parties de l’héritage du grand évêque, un des chefs-d’œuvre de la littérature chrétienne qui peut fournir des sujets de méditations aux âmes des justes comme à celles des pécheurs.

Au commenceemnt de l’année 1742, Massillon avait annoncé qu’il voulait commencer sa troisième visite pastorale ; mais après le synode et la retraite, il fut obligé, aux premiers jours de septembre, de se retirer à Beauregard où il mourut le 19 laissant pour « héritiers universels les pauvres du grand Hôtel-Dieu de cette ville de Clermont ». Il pouvait dire : « Mon diocèse que j’ai trouvé plein de trouble en y entrant, est aujourd’hui le plus paisible du royaume. »

On ne connaît habituellement de Massillon que le grand orateur ; l’évêque, l’homme sont au-dessus encore. Malgré la guerre acharnée que lui ont faite les jansénistes, malgré les insinuations malveillantes de Sainte-Beuve, que lui-même reconnaît être sans preuves, sa mémoire est sans tache. Le jugement de Brunetière est très juste : « Massillon est l’un des meilleurs, des plus aimables et des plus vertueux en même temps dont se puisse honorer l’histoire de notre littérature et l’épiscopat français. » Nouvelles éludes critiques, IIe série, p. 117.

Œuvres. — En 1705 parurent à Trévoux’cinq petits volumes contre la publication desquels Massillon protesta ; ils avaient pour titre Sermons sur les évangiles de Carême et sur divers sujets de morale ; en 1744-1745, son neveu, le P. Joseph Massillon, donna une première édition dont celles de Renouard et Didot perfectionnèrent la correction typographique ; les autres éditions témoignent de beaucoup d’insouciance à publier les œuvres d’un écrivain qui avait tant soigné le texte ; Mgr Blampignon corrigea le Petit Carême sur le manuscrit de 1718, profita des perfectionnements apportés à l’édition de 1745 par Renouard et Didot, recueillit avec attention les pièces —éparses dans des publications rares ou des feuilles périodiques et ajouta des notes très précieuses ; il ne parvint pas à retrouver les manuscrits ; son édition est la meilleure : Œuvres complètes de Massillon, 3 vol. in-4°, Bar-le-Duc, 1865.