Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 10.1.djvu/138

Cette page n’a pas encore été corrigée
261
2
MASSILLON

C2

lesquels il se propose avant tout, comme Hourdaluue du reste, l’instruction et l’édification de ses auditeurs sans mettre assez en relief la personnalité de son héros : ainsi dans ceux de saint Louis, de saint Thomas, il expose seulement les qualités d’âme sans faire valoir l’influence extérieure. On lui reproche de manquer de mouvement et de vie ; Sainte-Beuve fait observer qu’il entend mieux la morale que l’histoire, et que, dans ces grands sujets, il ne sait pas assez prendre son parti. Lundi du 3 octobre 1853.

Massillon eut l’honneur d’être choisi pour prononcer l’oraison funèbre de plusieurs personnages célèbres : le 21 juin 1709, à Saint-André-des-Arts, celle du prince de Conty, neveu du grand Coudé, qui avait hérité d’une part de son génie militaire, où passe comme un éclair du génie de Bossuet ; à la Sainte-Chapelle, celle du Dauphin, mort le 14 août 1711, dont, ne pouvant mieux faire, il loua la bonté : la critique admira les considérations morales et les éloges de Montausier et de Bossuet ; celle surtout dans la même chapelle de Louis XIV, où la vue de tantde grandeurs anéanties lui inspira en commençant ce mot sublime : « Dieu seul est grand » ; celle enfin, en 1723 à Saint-Denis, lorsqu’il était évêque de Clermont, de la princesse palatine épouse de Monsieur, frère du roi, mère du Régent dont il loue la sincérité dans la foi, la sollicitude devant les désordres de son fils. Ses oraisons funèbres ne sont pas comme celles de Bossuet de sublimes pages d’histoire où l’éloquence grave comme sur des tables de bronze la vie des héros, mais avant tout des études morales pleines d’applications pratiques, riches de précieuses observations et écrites avec beaucoup de finesse.

Dans les deux sermons de vêture et les deux de profession religieuse que nous avons, dont les destinataires sont à peu près inconnues et qui ont été certainement répétés plusieurs fois, Massillon s’attache à faire voir les consolations de la vie religieuse, les tentations qu’on peut y rencontrer, les devoirs qu’imposent les trois vœux, l’alliance de justice, de sagesse, de miséricorde, que la vierge chrétienne contracte avec Jésus-Christ. La morale chrétienne y occupe aussi une grande place ; il sait, à l’occasion de la cérémonie touchante à laquelle ils assistent, rappeler leurs devoirs aux parents et amis.

Massillon, écarté de la chaire royale depuis 1704, devait y remonter en 1718, mais sous Louis XV, aux Tuileries, pour un Petit Carême seulement. Le Régent qui l’avait appelé au conseil de conscience le fit nommer évêque de Clermont en 1717 ; avant que d’être sacré (il ne le fut que le 21 décembre 1718), Massillon prononça dix sermons de 25 minutes environ pour l’instruction du jeune roi et des personnes de la cour. Il sut y parler en prêtre et rappeler à chacun son devoir avec une dignité et un tact parfaits. Le Petit-Carême est un admirable petit cours convenant au temps, aux lieux, aux personnes, le développement des idées de Fénelon dans le Télémaque, un code abrégé des devoirs des princes. Le précepteur du roi en demanda une copie pour le faire apprendre par cœur à Louis XV, copie retrouvée par Blampignon qui s’en servit pour corriger les éditions précédentes.

Le Petil-Carème fut accueilli par les applaudissements de tous, il devint le livre de chevet des personnes de la cour et de la ville qui se piquaient de goût ; Voltaire en faisait très grand cas, d’Alembert y voyait le chef-d’œuvre de la chaire. La critique moderne est un peu plus sévère et, tout en reconnaissant que cette prédication est « chrétienne et évangélique », lui reproche une trop grande absence du dogme. Brunetlère, Nouvelles études critiques, série II, p. 9 sq.

si Massillon dans la chaire n’a pas la concision, la sublimité de Bossuet et de Bourdaloue, il possède l’élégance, le nombre, l’harmonie qui le rapprochent de Fénelon et de Racine. Pour le fond des pensées, il

puise dans un cœur profondément épris de justice, des idées sur la sociologie, sur la politique où sont défendus les droits sacrés de la morale chrétienne. II est asurément le plus grand moraliste du xviii c siècle, presque le seul grand, car Vauvenargues et Joubert ne sauraient lui être comparés ; par sa profonde connaissance du cœur humain, il rendait ses leçons plus prenantes et faisait rougir les grands de leur conduite.

III. L’évêque, l’homme. — Sacré le 21 décembre 1718, dans la chapelle des Tuileries, Massillon fut reçu à l’Académie deux mois après, prit possession de son siège le 29 mai 1719, mais n’y résida qu’à partir de février 1721. Entre deux, il revint à Paris, à la demande du Régent, pour s’occuper des affaires de l’Église de France troublée par les querelles jansénistes.

Bien qu’il fut sévère en morale, plus sévère malgré les apparences contraires que Bourdaloue, Massillon ne put jamais être sérieusement accusé de jansénisme. On a incriminé, il est vrai, quelques expressions de son sermon sur les Dispositions à la communion : « Au sortir du tribunal, la communion vous tient lieu de pénitence. Vous allez de plein pied du crime à l’autel… C’est un azyme pur ; il faut être exempt de levain pour en manger… Ces personnes du monde que les circonstances d’une solennité déterminent à s’approcher de l’Eucharistie, ont-elles quitté le vieux levain en se présentant à l’autel. » 2° réflexion. Ou bien encore : « Si la communion ne fait pas naître Jésus-Christ dans nos cœurs, elle l’y fait mourir ; si elle ne nous rend point participants de son esprit et de ses grâces, elle est pour nous l’arrêt de notre condamnation… Je parle de cette foi respectueuse qui est saisie d’une horreur de religion à la seule présence du sanctuaire. » Mais cette rigueur s’explique trop bien par les habitudes de l’auditoire, par les abus très réels qu’il faisait de la sainte eucharistie. La conclusion du prédicateur est parfaitement orthodoxe : « Vous ne voulez pas m’en exclure, dit-il à Dieu, vous voulez m’en rendre digne ; vous ne voulez pas que je m’en retire, mais vous voulez que je m’y prépare. » De même, si dans la conférence sur la’Commun/on, on trouve quelques expressions un peu vives : « Avoir faim de la chair de Jésus-Christ, c’est trouver tout insipide, hors cette nourriture céleste », elles s’expliquent par les sentiments des jeunes clercs qui regardaient le sacerdoce comme un honneur non comme un apostolat.

Au contraire, la doctrine de Massillon est tout à fait antijanséniste : « Si, malgré tous les soins que Dieu a de notre salut, nous périssons ; c’est toujours la faute de notre volonté et non pas le défaut de sa grâce. » Sur le délai de la conversion, I" partie. « C’est Lui (Jésus-Christ) que nous honorons en elle (Marie)… c’est sa puissance que nous réclamons en réclamant celle de sa sainte Mère, et elle et nous, nous ne sommes ce que nous sommes que par Lui. » Sur la fête de l’Assomption, IIe partie. Dans l’oraison funèbre de M. de Villeroy, il fait l’éloge de Rome « où l’autorité de l’empire et du sacerdoce se trouve réunie dans la même personne ».

Un seul texte pourrait rappeler les idées jansénistes, au moins en ce qui regarde la cour de Rome « Dé toutes les merveilles que vous admirez, écrit-il à l’abbé de Louvois en mission à Rome, je n’envie que la consolation que vous avez de pouvoir aller prier sur le tombeau des saints Apôtres et d’y respirer les restes d’esprit que leurs cendres inspirent ; j’aimerais mieux les aller puiser là qu’au Vatican. » Lettre du 2 janvier 1701. Pauthe est d’avis que « cette lettre avec ses réflexions téméraires et ses sous-entendus peu révérencieux traduit plutôt chez Massillon