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    1. MARTYRE##


MARTYRE, VALEUR APOLOGÉTIQUE

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flamme courir sur son corps, elle cric à trois reprises : « Seigneur, aidez-moi, je me suis réfugiée près de vous. » Leclercq, t. i, p. 71 : et saint Saturnin supplie pendant la torture : « Pour l’amour de ton nom, donne-moi, ô mon Dieu ! la force de souffrir. »

2. Ce courage des martyrs devant la mort ne provient nullement d’un mépris déréglé et coupable pour la vie présente. Chez eux rien du pessimisme absolu du stoïcien OU du bouddhiste. Leur mépris des biens qui passent se fonde sur leur foi à l’existence de Dieu, à la divinité de Jésus, à l’immortalité de l’âme, à l’éternité. Ainsi saint Ignace écrivant aux Romains : « Le monde et ses royaumes ne me sont rien..Mieux vaut pour moi mourir pour Jésus-Christ que régner sur toute la terre. Je cherche celui qui est mort pour-nous. Je veux celui qui est ressuscité pour nous. Ma délivrance est proche. De grâce, mes frères, ne me privez pas de la vie, ne me condamnez pas à mort. Je veux être à Dieu, ne me livrez pas au monde, ne m’attirez pas avec la matière. » Leclercq, t. i. p. 54. De même quand le préfet demande à Apollonius : « Tu veux donc mourir ? » Celui-ci répond : « Mon désir est de vivre dans le Clifist, mais je n’ai pas sujet de craindre la mort à cause de mon attachement à la vie. Il n’y a rien de plus désirable, que la vie éternelle source d’immortalité pour l’âme qui a mené une vie honnête. » Ibid., 1. 1, p. 117. Saint Pione, cloué sur un poteau, déclare : « J’ai voulu mourir, afin quetout le peuple comprît qu’il y aune résurrection après la mort. » T. ii, p. 86. Saint Flavien, avant de mourir, disait aux païens : « Même quand on nous tue, nous vivons, nous ne sommes pas vaincus, mais vainqueurs de la mort, et vous-mêmes, si vous voulez savoir la vérité, soyez chrétiens. »

3. Chez les chrétiens, nul orgueil, mais au contraire l’humilité la plus sincère. La doctrine pour laquelle ils meurent, ce n’est pas une doctrine dont ils s’attribuent orgueilleusement la paternité. Ce n’est ni par la vigueur de leur intelligence, ni par un labeur prolongé qu’ils en ont reconnu et admis la vérité, mais en vertu d’une illumination surnaturelle, à laquelle leurs mérites personnels n’ont aucune part : « Et toi, qui es-tu ? » demande le préfet à Évelpiste. — « Je suis esclave de César, répond le martyr, mais chrétien, j’ai reçu du Christ la liberté, par ses bienfaits ; par sa grâce j’ai la même espérance que ceux-ci. » Leclercq, t. i, p. 87.

A. Les martyrs gardent une attitude digne et calme ; rien chez eux de l’exaltation causée par le fanatisme. Traduits au tribunal, ils défendent leur foi avec intrépidité, avec enthousiasme même, mais aucun signe ne prouve que leurs facultés supérieures, raison et volonté, aient cessé d’agir. Bien plus, leurs réponses aux juges révèlent une parfaite liberté d’esprit. Toujours claires, fermes, précises, pleines de bon sens et d’à-propos, elles dénotent une parfaite possession d’eux-mêmes.

5. Pas de témérité : les martyrs, d’ordinaire, ne s’offrent point d’eux-mêmes à la mort. Aucune exaltation chez l’ensemble, un devoir rigoureux exécuté avec courage sans excès. La prudence fondée sur l’humilité pour ne pas s’exposer à la tentation, et sur la charité pour ne pas provoquer les persécuteurs à commettre un crime. Quelle différence avec le montanisme qui de Phrygie passa en Occident et séduisit le puissant esprit de Tertullien ! Sombre, toujours tendu, le montanisme veut qu’on aille au-devant du martyre. Il condamne, comme un acte de défiance envers le Saint-Esprit, tout effort pour se dérober aux persécuteurs. Fuir devant eux est, pour lui, presque plus coupable encore que d’apostasier, Tertullien, De fuga. Pour les fanatiques, le montanisme devient, selon la juste expression de Renan, Marc-Aurèle,

p. 243, « une fièvre impossible à dominer ». Au contraire dans l’Église, tout reste sain et pondéré. D’où les règles suivantes : a) Ne pas se dénoncer soimême aux ennemis de la foi. » Nous ne louons pas ceux qui vont d’eux-mêmes s’offrir. L’Evangile n’enseigne rien de pareil. » Martyrium Polycarpi, c. iv. « Chacun doit être prêt à confesser sa foi, mais personne ne doit courir au-devant du martyre, » dit saint Cyprien. Cf. Canons 9 et 10 de saint Pierre d’Alexandrie, P. G., t. xviii, col. 188. — b) Ne pas irriter les païens par des outrages à leur culte : —. Il n’est pas permis d’insulter, de soutlleter les statues des dieux. Origène, Contra Celsum, VIII, .’58. : Si un chrétien abrisé des idoles et a été tué sur le fait, il ne sera pas compté au nombre des martyrs, » dit le concile d’Elvire, canon 60. Tertullien blâmera avec indignation ceux qui ont acheté à prix d’argent la tolérance du persécuteur, mais l’Église sera moins sévère et Pierre d’Alexandrie (can. 12) louera ceux qui ont employé ce moyen pour éviter le danger de l’apostasie et se sont montrés plus attachés à Jésus-Christ qu’à leur argent.

L’Eglise conseillait la fuite pendant la persécution, invoquant contre les montanistes le texte de Matth., x, 25. La retraite volontaire accompagnée de la confiscation des biens est appelée par Cyprien, De lapsis, ’8, le second degré du martyre.

(i. Préparation. — Les chrétiens se préparent humblement au martyre : « Puisque une nouvelle persécution est proche et que de fréquentes révélations l’annoncent, soyons prêts et armés pour le combat. Ne laissons pas nus et sans défenses ceux que nous encourageons à la lutte, nourrissons-les par la protection du corps et du sang de Jésus-Christ ; rassasiés de la nourriture divine, qu’ils trouvent dans l’eucharistie leur sauvegarde, leur rempart contre les ennemis. »

Quand l’heure de la torture ou de la mort a sonné, les martyrs y marchent avec intrépidité, mais aussi avec cette humilité profonde qui les garde de toute vaine présomption. Il était pourtant facile de céder à l’orgueil en un pareil moment ! que l’on songe à ce contact.mystérieux qui s’établit dans tout supplice public, entre le patient et le spectateur. Celui-ci ne ménage point ses éloges lorsque le condamné demeure héroïque au milieu des tourments. N’y a-t-il pas alors une singulière ivresse à se voir exposé comme un sanglant trophée à l’admiration enthousiaste des foules’? Et ne faut-il pas une vertu éminente pour ne pas s’attribuer tout le prix de la victoire ? Cependant, les martyrs affirment bien haut que, seule, la grâce divine leur donne la force de supporter la torture, et tout le temps du supplice, joignant l’exemple à la parole, ils ne cessent de prier avec une ardeur inlassable. Qu’il suffise de citer ici les martyrs de Lyon qui, après avoir confessé leur foi avec intrépidité et subi la torture à plusieurs reprises, non seulement ne permettaient pas qu’on les appelât martyrs, mais au milieu d’un flot de larmes, conjuraient les frères d’offrir à leur intention de continuelles prières pour qu’ils fissent une bonne fin. Aussi Renan, bon juge en matière d’humilité, ne peut-il s’empêcher d’y voir « l’idéal du martyre, avec aussi peu d’orgueil que possible de la part du martyr ». Marc-Aurèle, p. 340.

7. La douceur des martyrs.

La douceur des martyrs stupéfiait les païens, habitués à voir mourir la haine au cœur ; or, cette douceur se manifestait dans les conditions les plus opposées à son développement ; car rien ne favorise la colère comme l’injustice qu’on subit, et il n’y a pas d’injustice plus révoltante que d’être condamné à mort quand on se sait innocent. Les martyrs se justifient, avec humilité et fierté, de tous les reproches qu’on leur adresse au tribunal. Et cependant, malgré cette parfaite conscience de l’injustice de