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MARTYRE, VALEUR A POLOC KTI < M E


compris, un jour que des mains cruelles déchiraient le corps d’un chrétien, el que le bourreau travail de sanglants sillons sur ses membres lacérés, .l’entendais les conversations des assistants. Les uns disaient : « Il y a quelque chose, je ne sais quoi, de grand à ne point céder à ta douleur, à supporter les angoisses. > D’autres ajoutaient : Je pense qu’il a des enfants, une épouse est assise à son lover. Et cependant ni l’amour paternel, ni l’amour conjugal n’ébranle sa volonté. Il y a quelque chose à étudier, un courage qu’il faut scruter jusqu’au fond. On doit faire cas d’une croyance pour laquelle un homme soutire et accepte de mourir. » Voilà pourquoi derrière la faux qui brisait tant de vies, les chrétiens repoussaient plus nombreux, ce qui justifiait le mot célèbre de Tertullien. Apol., 50 : Plures e/ficimur quolies melimur a imbis, semen est sanguis christ ianorum. Et le principe reste toujours le même, témoin ce païen de Cochin chine, qui, au moment le plus terrible de la persécution, se présente chez le missionnaire en demandant le baptême : « Pourquoi veux-tu te convertir ? Parce que j’ai vu mourir des chrétiens et que je veux mourir comme eux. J’en ai vu précipiter dans les fleuves et dans les puits, j’en ai vu brûler vifs et percer de lance. Eh bien, tous mouraient avec un contentement qui me surprenait, récitant des prières ou s’encourageant les uns les autres. Il n’y a que les chrétiens qui meurent ainsi, et voilà pourquoi j’ai voulu me convertir. » Annales de la Prop. de la foi, janvier 18.S0, p. 33.

Ce témoignage des martyrs est essentiellement le même que celui rendu par la vie chrétienne.. Il a le même sens, il a la même portée que celui qu’ont rendu tous les saints et tous ceux qui, à un degré quelconque, dominant les péripéties, les passions et les misères de l’existence terrestre, se sont éclairés à la Vérité éternelle et alimentés à l’éternelle Bonté. Il n’en diffère que par les circonstances extérieures. D’un côté comme de l’autre, il y a le renoncement, le sacrifice par lequel s’accomplit la renaissance spirituelle, il y a la mort enfin par laquelle tous nous devons passer..Mais, tandis que les uns l’acceptent quand les fatalités naturelles la leur imposent et qu’elle est inévitable, de telle sorte que leur acceptation, si manifeste et si édifiante qu’elle puisse devenir, reste comme le secret de Dieu, les autres l’acceptent quand ils seraient à même de l’éviter. Ce sacrifice prend dès lors un caractère tragique qui en accentue et qui en marque fortement la signification ! C’est ce qui fait sa valeur spéciale de prosélytisme et de propagation. Il brille avec l’éclat et la souveraineté de l’éclair. On ne peut pas ne pas le remarquer. Il ne peut laisser indifférent : il louche les cœurs ou les endurcit.

Car la liberté de la foi subsiste. Les martyrs ont beau se dresser devant nous avec leur témoignage de loi, il n’y a ni démonstration stricte, ni moyen mécanique qui puisse faire, par sa propre vertu, que leur foi devienne la nôtre. (Test une grâce de lumière et de force, une atmosphère chaude et lumineuse qui nous oriente vers l’Auteur et le Consommateur de la foi.

3° Vraie notion — C’est pourquoi le devoir du théologien est de préciser les caractères et les conditions de ce témoignage et de montrer chez les martyrs leur manière surhumaine de souffrir et de mourir.

Comme dit.AI. Dubois dans la Revue du Clergé tramais, art. Le témoiynuye des martyrs, 15 mars 1907, p. 20 : Il suffti de mettre en relief la supériorité morale de nos martyrs comparée à ceux des religions non chrétiennes i et Al. Rivière dans la Hernie pratique d’apologétique, ait. Autour de la question du martyre, 15 août 1007, p. 011 : i. Il y a dans le cas de nos martyrs quelque chose d’extraordinaire qui mérite objectivement de retenir l’attention, quelque chose de distinctif qui les met au-dessus des autres et qui sollicite

par conséquent une explication différente : c’est le fail d’une incontestable supériorité morale et, pour tout dire, de leur héroïsme surhumain. » M. Didiot, Logique surnaturelle objective, p. 226, s’exprime avec précision : — La force démonstrative du martyre n’est donc qu’accidentellement dans le nombre, elle consiste formellement dans l’intention, la valeur morale, la pa-j lience héroïque des suppliciés. >

D’ailleurs P. Allard, dans son bel article, Martyre, Dictionnaire apol. de la foi catli., t. iii, col. 334-335, corrige son point de vue primitif et distingue deux aspects du témoignage des martyrs : l’aspect historique par lequel les martyrs attestent la réalité des faits évangéliques et l’aspect doctrinal selon lequel les martyrs attestent la vérité de la foi chrétienne, el sont testes fidei christianse, comme dit saint Thomas, II a —II a>, q. cxxiv, a. —I.

Il est évident qu’avec cette distinction, la doctrine devient irréprochable, sauf peut-être quand on prolonge l’aspect historique jusqu’à saint Irénéc, c’est-à-dire à la troisième génération chrétienne..Mais une fois cette distinction accordée, et elle devait l’être forcément, pourquoi ne pas faire rentrer le premier cas dans le second comme un cas particulier rentre dans le cas général ? et nous revenons tout simplement à la doctrine de saint Thomas d’Aquin : tous les martyrs sont des témoins de la foi chrétienne, ils affirment avec courage leurs convictions religieuses, mais ce témoignage devient particulièrement convainquant quand ils meurent pour attester des faits qu’ils ont vus. A ces derniers, et à eux seuls, s’applique la parole citée de Pascal, comme d’ailleurs la parole de Xotrc-Seigneur, Act., i. S.. Si les autres martyrs continuent à porter le même nom. c’est qu’ils témoignent, eux aussi, d’une doctrine, non d’un fait, ou du moins du lait dans la mesure où il est compris dans la doctrine pour laquelle ils meurent.

-1° Divers éléments à considérer. Le Père de Poulpiquet, L’objet intégral de l’apologétique, Paris, 1012, détermine avec une précision remarquable la valeur du motif de crédibilité tiré du témoignage des martyrs, p. 154 : « Les martyrs réalisent, à un degré éminent, les vertus les plus rares et les plus difficiles, dans les circonstances les moins favorables à leur développement. » Il applique à cette question l’analyse de la vertu de force faite par saint Thomas d’Aquin dans sa Somme théologique, et montre que la force qui doit soumettre à l’emprise de la raison et du vouloir les deux passions de crainte et d’audace, qu’un péril éminent de mort fait naître en nous, doit nous maintenir dans un juste équilibre et nous préserver des exagérations contraires. Or les martyrs ont su se défendre contre ces deux ennemis les plus redoutables : l’absence de peur, l’intnriiditas ou indifférence devant le danger, et l’excès d’audace ou la témérité.

1. Pas d’insensibilité devant la mort. Les martyrs ont connu la crainte, comme le lait remarquer dom Leclercq, Les martyrs, t. i, p. I. Ce n’était pas sans une secrète appréhension que beaucoup envisageaient les heures d’atroces souffrances qui ouvraient le Paradis. Plusieurs témoignages montrent naïvement le rang que tenait dans les âmes, même bien trempées, la préoccupation de la souffrance physique. Le Blant, Les persécuteurs et les martyrs, c. ix, p. loi’, , 107, cite cette vision de saint I-’Iavien : > Il me sembla que j’interrogeais notre évêque, Cyprien, le premier qui eût été immolé avant nous pour le Christ, .le lui demandais si le coup de la mort causait une grande douleur..Appelé au martyre, je m’inquiétais de savoir ce que j’aurais à endurer. Il me répondit : Lorsque l’âme est toute dans le ciel, la chair qui soutire n’est plus la noire, le corps reste insensible quand l’espril est m Dieu. Lorsque sainte Vgathonicé sent la