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</noinclude. Il MARONITE (ÉGLISE), LES MARONITES ET LE MONOTETÉLISME 12

et cette indication figure dans sa chronique, reproduite par Michel le Syrien lui-même.

Toutes ces raisons démontrent que le texte de Tell-Mahré, conservé dans la chronique de Michel le Syrien, a subi, à cet endroit, des retouches et des interpolations. Par conséquent, suivant le récit de Barhebrœus, il reste acquis qu’à la conférence de Mabboug il ne fut point question de monothéiisme.

Il est vrai, Théophane et quelques autres chronographes après lui, comme Georges Hamartolos et Cédrénus, P. G., t. ex, col. 836 et t. cxxi, col. 805, donnent de ces négociations de Mabboug (Hiérapolis) un récit tout différent ; mais ils contiennent trop d’inexactitudes et d’anachronisines pour qu’on puisse y ajouter foi. Cf. Hefele-Leclercq, Histoire des conciles, t. iii, p. 337-338 ; Duchesne, loc. cit., p. 397, n. 2.

Les textes de Théophane et des autres chrono i graphes seraient-ils de moins mauvaise apparence, il n’en resterait pas moins que le témoignage d’un patriarche, tel qu’est Denys de Tell-Mahré, concernant un fait relatif a son Église, serait d’un tout autre poids que celui d’un simple chroniqueur, et, à plus forte raison, d’un chroniqueur étranger.

2. — A la conférence contradictoire tenue, en 659, devant le calife Moawiah, à Damas (voir ci-dessus, col. 7), il ne fut point question des énergies et des volontés du Christ. Or, si les maronites avaient tant soit peu admis ou professé le monothéiisme, il eût été facile aux jacobites de prendre l’avantage sur eux, l’unité physique des volontés conduisant, par une conséquence logique, à l’unité des natures. Aussi les adversaires des maronites ne manqueront-ils pas de faire valoir cette conclusion, lorsque, plus tard, la discussion monothélite sera soulevée en Syrie. Voir Tell-Mahré, dans Michel le Syrien, texte, t. iv, p. 459460 ; trad., t. ii, p. 494 ; cf. aussi Germain de Constantinople (715-730), De heeresibus et synodis dans P. G., t. xcviii, col. 81.

3. — Un interrogatoire subi, au VIe concile œcuménique, par un certain Constantin, prêtre d’Apamée de la Syrie seconde, renforce encore nos conclusions. Texte dans Mansi, op. cit., t. xi, col. 618-619. — Il appert de ce long interrogatoire que le prêtre d’Apamée, tout en parlant en son propre nom, cherchait à trouver un terrain de conciliation pour réunir les divers groupes qui divisaient l’Église. Il admettait volontiers qu’avant sa mort le Christ avait bien possédé deux volontés, mais qu’il perdit sur la croix, avec sa chair et son sang, la volonté humaine. Ce dernier point, le prêtre Constantin dut l’apprendre de Macaire, patriarche d’Antioche, qui en résidence dans quelque monastère de Constantinople, ne mit jamais les pieds en Syrie. Quoi qu’il en soit, un fait doit être retenu, c’est que le prêtre Constantin ne se réclame pas, pour son monothéiisme, des chefs religieux de la région d’Apamée, centre de l’activité des moines maronites, mais de l’autorité de Macaire.

Au demeurant, si les Pères du concile avaient eu vent d’une prédication monothélite en Syrie, ils n’auraient point négligé de lui demander quelques explications à ce sujet. Pareil silence sur une question qui agitait l’Église et l’empire est hautement significatif.

4. — Les conciles assemblés au cours du vu » siècle pour la question monothélite ne font aucune allusion à l’existence d’une telle doctrine en Syrie. Comment expliquer l’attitude des Pères, si, vraiment, il se trou vait dans cette région quelques partisans de la nouvelle doctrine ? Cette attitude serait d’autant moins compréhensible que l’épiscopat n’entendait faire grâce à aucun fauteur de schisme ou d’hérésie, témoin l’incident provoqué, à la xvie session du VIe concile, par Georges, patriarche de Constantinople. Ce dernier,

ayant demandé à l’assemblée de passer sous silence, dans les anathèmes, les noms de ses prédécesseurs, Sergius, Pyrrhus, Paul et Pierre, fut mis en minorité et le concile les condamna nominativement.

5. — Enfin, nous avons, dans les Annales de Denys de Tell-Mahré, un passage qui, précisément, nous dit comment et à quelle époque la question monothélite pénétra en Syrie : « Quoique nous ayons déjà parlé, dit-il, de l’hérésie de Maximus (Maxime le Confesseur) et de la manière dont Constantinus (Constantin Pogonat ) l’introduisit dans les Églises des Romains, après qu’elle avait été écartée par son père Constant, nous devons maintenant faire connaître le schisme qui survint parmi eux (les chalcédoniens) en cette année 1038 (= 727 de J.-C), à propos de cette hérésie et de l’expression qui as été crucifié. Dans les pays des Romains, cette opinion régnait depuis le temps de Constant[inus], mais dans les régions de Syrie, elle n’était pas admise. Elle y fut semée maintenant par les prisonniers et les captifs que les troupes de Taiyayé (Arabes) amenaient et faisaient habiter en Syrie. Sans doute à cause de l’estime de l’empire des Romains, ceux qui se laissèrent pervertir par cette opinion (le dyothélisme) et l’acceptèrent furent surtout les citadins et leurs évêques, et les chefs. L’un de ceux-ci était Sergius, fils de Mançour, qui opprimait beaucoup les fidèles qui étaient à Damas et à Émèse, et non seulement leur fit effacer du Trisagion l’expression ô a~oi.upo)Qzlç, (qui as été crucifié), mais entraîna aussi plusieurs des nôtres à son hérésie. Cette hérésie pervertit aussi les sièges de Jérusalem, d’Antioche, d’Édesse et d’autres villes, que les chalcédoniens occupaient depuis l’époque de l’empereur Héraclius. » Dans la Chronique de Michel le Syrien, texte, t. iv, p. 457-458 ; trad., t. ii, p. 492-493.

L’importance de ce témoignage n’échappe à personne, l’auteur de ces annales ayant été mêlé de très près aux affaires religieuses de la Syrie, à une époque assez rapprochée des événements. En effet, Denys, né dans la seconde moitié du vin 8 siècle à Tell-Mahré, village situé sur le Balikh (un affluent de I’Euphrate), non loin de Callinice, fit ses études au couvent de Kennesré, qui était un centre de culture intellectuelle, à quelques kilomètres d’Alep. Puis, élevé en 818 à la dignité patriarcale, il gouverna l’Église jacobite jusqu’à sa mort, survenue le 22 août 845. Cf. J.-B. Chabot, Chronique de Denys de Tell-Mahré, Paris, 1895, p. ix-xxviii ; Rubens Duval, La littérature syriaque, Paris, 1907, p. 388-389. On ne peut donc mettre en doute son autorité pour des choses qu’il n’avait pas d’intérêt à exagérer ou à atténuer.

L’ensemble de ces documents nous mène à cette conclusion : au vu 6 siècle, la question monothélite n’était pas encore soulevée en Syrie. Submergée de tous côtés par les invasions arabes, coupée de communications avec le reste de la chrétienté, cette région demeurait étrangère aux discussions christologiques de Byzance. On y était resté tel qu’avant l’invasion arabe : chalcédonien ou jacobite, sans s’occuper le moins du monde du monothéiisme ou du dyothélisme. C’est en 727 que la controverse dyothélite y fut portée par les prisonniers des Arabes. Cf. Darian, op. cit., p. 133-143.

Voilà les faits. Il reste à voir comment cette discussion fut comprise et accueillie par les maronites. C’est encore le patriarche Denys de Tell-Mahré qui va nous renseigner. Au passage que nous venons de citer il ajoute : « Les moines de Beth Maron (maronites) et l’évêque de ce couvent, et quelques autres n’acceptèrent point, cette opinion (les deux volontés), mais la plupart des citadins et leurs évêques l’acceptèrent. Combien d’anathèmes (furent portés), combien de rixes eurent lieu jusqu’à présent, on ne peut l’énu-