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9 MARONITE (ÉGLISE), LES MARONITES ET LE MONOTHÉLISME 10

certains textes anciens. Dé/ense de la nation maronite, ms. Val. syr. 396, fol. 25-27. Récemment, un archevêque maronite, Mgr Joseph Darian († 1920), a repris l’idée du monothélisme moral des maronites et lui a consacré un travail, écrit en arabe, sous ce titre : La substance des preuves évidentes concernant la situation du peuple maronite, du commencement du V jusqu’au début du xiii’siècle [Le Caire, 1912).

La théorie énoncée par N’aironus et Douaïhi, développée ensuite par Mgr Darian, ne manque pas de fondement. Mais pour bien l’exposer, il faut tenir compte de tous les aspects du problème. Il est nécessaire, notamment, de mettre en relief les circonstnaces de temps et de lieu, au milieu desquelles l’Église maronite s’est formée, a pris conscience d’elle-même et a conduit sa destinée. En négligeant ces circonstances, en effet, ou en les sous-estimant, on s’expose à ne rien comprendre à l’histoire des maronites, et surtout à connaître bien mal leur pensée religieuse. Nous allons tâcher de préciser ici les points essentiels de cette question si débattue, en évitant de nous laisser entraîner aux détails inutiles.

Tout d’abord, on pourrait dire que la discussion concernant l’existence de deux volontés dans le Christ n’arriva pas en Syrie avant l’an 727, plus d’un siècle, par conséquent, après l’apparition du monothélisme en pays byzantin, puisque les premiers germes de cette doctrine se manifestent dès 616, lors des négociations de Sergius, patriarche de Constantinople, avec Théodore, évêque de Pharan. S. Maximi conf essor is disputât io cum Pyrrho, P. G., t. xci, col. 289, 332 ; cf. S. Vailhé, Sophrone le sophiste et Sophrone le patriarche, dans la Revue de l’Orient chrétien, 1903, t. viii, p. 37 sq.

Et voici les raisons sur lesquelles nous nous fon- » dons. — 1. — On n’ignore pas la situation de la Syrie dans les premières années du vii° siècle. Elle était devenue un théâtre de guerres et de troubles de toutes sortes. Au dehors, les attaques des Perses ; au dedans, les rapines et les tueries. Le patriarche lui-même, Anastase II, ne fut point épargné, et sa mort laissa le siège officiel d’Orient inoccupé. Cf. Duchesne, L’Église au vie siècle, Paris, 1925, p. 370373. Il ne restait plus qu’un seul patriarche d’Antioche, celui des jacobites. C’était alors Athanase le Chamelier. Les Perses le couvraient d’une certaine protection, les jacobites n’ayant pas cause commune avec Constantinople. Les campagnes de 622-628, couronnées par la victoire d’Héraclius sur Chrosroès, changèrent la situation : l’autorité byzantine fut rétablie. Barhebrœus nous raconte comment, à la suite de cette victoire décisive, Héraclius, sans parler le moins du monde d’une ou de deux volontés dans le Christ, essaya à Édesse et à Mabboug de faire accepter par les monophysites le concile de Chalcédoine. Voir ci-dessus, col. 6. Le récit de Barhebrœus est relaté, avec quelques divergences, il est vrai, dans la Chronique de Michel le Syrien. Cependant, les deux chroniqueurs ont la même source d’information, les annales du patriarche Denys de Tell-Mahré. Voici le récit tel qu’il est rapporté par Michel : « L’empereur (Héraclius) s’en étant allé à Mabboug (Hiérapolis), le patriarche Mar Athanasius alla le trouver avec douze évêques… ils restèrent près de lui à discuter pendant douze jours. Il leur demanda un libellé de leur croyance et ils lui donnèrent celui qui est écrit plus haut. Après l’avoir lii, il loua leur croyance et leur demanda de lui donner la communion et d’accepter l’écrit qu’il avait fait et qui confessait deux natures unies dans le Christ, une volonté et une opération selon Cyrille. (Il s’agit de YEcthèse). Quand ils virent qu’il était d’accord avec Nestorius et Léon, ils ne l’acceptèrent pas, et Héraclius s’irrita. Il écrivit par

tout son empire qu’on devait couper le nez et les oreilles et piller la maison de quiconque n’adhérait pas au concile de Chalcédoine. Cette persécution dura longtemps, et beaucoup de moines adhérèrent au synode. Les moines de Beth Maron (maronites), de Mabboug, d’Émôsc et des pays du sud laissèrent paraître leur malice : un grand nombre d’entre eux acceptèrent le synode et s’emparèrent de la plupart des églises et des monastères. Héraclius ne permettait pas aux orthodoxes (les jacobites) de se présenter devant lui et n’accueillait pas leurs plaintes au sujet du vol de leurs églises… » Chronique, édit. Chabot, texte, t. iv, p. 403-410 ; traduct., t. ii, p. 412.

Le P. Vailhé tire de ce passage, entre autres, la conclusion suivante : « Nous voyons poindre dans les propositions faites par Héraclius au patriarche jacobite, Athanase, les idées fondamentales du monothélisme. Et ces idées, nous savons aujourd’hui que, d’accord avec Sergius, patriarche de Constantinople, Héraclius travailla à les répandre parmi ses sujets à partir de l’année 616, afin de gagner à lui les Églises séparées des arméniens, des jacobites et des coptes, bref toutes les fractions du parti monophysite. Dès lors, quiconque était pour les idées religieuses de l’empereur Héraclius embrassait par le fait même l’hérésie monothélite, tout en maintenant la doctrine de Chalcédoine. Et comme les moines du monastère Saint-Maron sont désignés nommément parmi les adhérents du souverain byzantin, ils sont aussi, par le fait même, comptés au nombre des monothélites » L’Église maronite, du v » au IXe siècle, dans les Échos d’Orient, 1906, t. ix, p. 261.

Le passage sur lequel s’appuie le P. Vailhé conduirait bien à une telle conclusion. Mais le même récit tel qu’il est donné par Barhebrœus ne l’autorise pas. Voir plus haut, col. 6, le texte de Barhebrœus. Or, nous croyons la leçon de ce dernier plus exacte que celle de Michel le Syrien.

En effet, a) le texte de Michel le Syrien renferme des inexactitudes en opposition évidente avec les données historiques certaines que nous possédons sur YEcthèse et les moines de Beth-Maron. L’entrevue de l’empereur et du patriarche Athanase († 631) eut lieu, entre 629 et 631, bien avant la publication de YEcthèse. Composée en 636, celle-ci ne fut promulguée qu’en 638. Cf. Mansi, Concil., t. xr, col. 9. Sur la date de la mort du patriarche Athanase, voir Barhebrœus, Chronicon ecclesiasticum, t. i, col. 275276 ; Chronique de Michel le Syrien, texte, t. iv, p. 414 ; traduction, t. ii, p. 419. Quant aux moines de Beth-Maron, ils avaient toujours défendu la doctrine chalcédonienne. Ce ne fut donc pas à la suite de l’entrevue de Mabboug, comme le ferait croire le texte de Michel le Syrien, qu’ils acceptèrent le concile de 451. Ce texte est si peu conforme à la vérité que le P. Vailhé lui-même ajoute à cet endroit une remarque fort juste « Ceci ne doit pas s’entendre, dit-il, des moines maronites, qui recevaient le concile de Chalcédoine, ainsi que nous l’avons vii, mais de quelques couvents jacobites. » L’Église maronite, du v au IXe siècle, loc. cit., p. 261, n. 1.

b) Le même texte — d’accord sur ce point avec le récit de Barhebrœus — fait décréter par Héraclius « qu’on devait couper le nez et les oreilles et piller la maison de quiconque n’adhérait pas au concile de Chalcédoine » . Pourquoi, dans ce décret adressé à tous ses sujets, l’empereur n’a-t-il plus imposé, comme il venait d’enjoindre au patriarche Athanase et à ses évêques de l’accepter, la formule d’une volonté et d’une énergie dans le Christ ?

c) Tell-Mahré, nous le verrons plus loin, affirme que la question monothélite arriva en Syrie l’an 727,