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MARTYRE, NOTION THEOLOGIOUE


raisonne saint Augustin, Sermonsurl’Épiphanie, Serm.,

ceci. xxiii. 3, P. /… t. xxxix, col. 1664. Saint Bernard (Sermon sur la fête des saints Innocents) rapproche trois sortes de martyrs et montre dans celui de saint Etienne l’acte et la volonté : dans celui de l’apôtre saint Jean, la volonté seule, dans celui des Innocents, l’acte seul sans la volonté : « Oui, dit-il, Etienne est un martyr aux yeux même des hommes, puisque nous voyons éclater en même temps et son sacrifice et sa volonté généreuse ; Jean le fut aux yeux des anges, puisque ces substances spirituelles ont pu contempler à découvert les secrètes aspirations de son âme. Mais voici vos martyrs à vous, ô mon Dieu, puisque c’est votre grâce seule qui leur a donné cette glorieuse prérogative, dont ni l’ange, ni l’homme ne peuvent découvrir la cause ni le mérite. »

Si certaines femmes sont honorées comme martyres après s’être donné la mort pour échapper au déshonneur, saint Augustin admet que l’Église n’a dû autoriser ce culte que sur des témoignages certains de la volonté divine. De civ. Dei, I, xxvi, P. L., t. xli, col. 39.

Si le martyre est un acte de vertu, n’est-il pas louable de s’y offrir spontanément, et comment expliquer que l’Église ait vu dans cette démarche une présomption et un danger ?

Saint Thomas répond que certains préceptes de la loi divine ne nous imposent que la « disposition d’âme » d’accomplir tel ou tel acte au moment opportun. Il faut être prêt à souffrir les injustes persécutions dont nous .serons l’objet. In IYum Sent., dist. XLIX, q. v, a. 3, quæst. 2, ad lum ; Quodl. iv, 20. Mais il n’est pas permis de donner aux autres l’occasion d’agir avec injustice, ce serait un péché de complicité.

2° Le martyre est un acte élicite de la vertu de force, car c’est la vertu de force qui affermit l’homme dans le bien et lui permet de résister aux dangers, spécialement à la mort. Le martyr s’attache d’une manière inébranlable au bien puisque le péril imminent de la mort ne peut lui faire abandonner la vérité et la justice.

Il se rapporte à la foi comme à la fin qu’on se propose d’une manière inébranlable. On distingue en effet dans un acte de force, la fin de cette vertu, c’est-à-dire le bien auquel on demeure fortement attaché et l’essence de cette vertu, c’est-à-dire la fermeté même qui fait que rien ne peut nous séparer de ce bien.

Le martyre est un acte impéré par la charité ; c’est elle qui lui donne sa valeur méritoire : « Quand bien même je livrerais mon corps pour qu’il fût livré aux flammes, si je n’avais pas la charité, cela ne me servirait de rien. » I Cor., xiii, 3. C’est ainsi que le martyre manifeste la charité aussi bien que la force : « Il ne saurait y avoir de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime. » Joa., xv, 13.

La patience est louée spécialement chez les martyrs, car la patience à souffrir est l’acte principal de la force, dont l’acte secondaire consiste à attaquer.

3° Le martyre est un acte de la plus haute perfection. Il ne le serait pas si on considérait seulement la vertu de force dont il émane, car le martyre, considéré comme l’acceptation obligée de la mort, n’est pas le plus parfait des actes des vertus (souffrir la mort n’est une chose louable que par le but ou le bien qu’on se propose). Mais il le devient si on considère le motif premier qui le détermine, la charité, lien de la perfection », Coloss., iii, 14 ; il manifeste le plus haut degré, de charité en sacrifiant le plus grand des biens, la vie, et en acceptant le plus redouté des maux, la mort, accompagnée de supplices, dont l’aspect suffit pour réprimer les instincts les plus impétueux chez les animaux eux-mêmes., S. Aug., Liber LXXXII1 quæst., q..xxxvi, P. L., t. xi., col. 25.

Si le martyre est un acte si parfait, il devrait être une matière de conseil et non de précepte, et cependant il est dit : « Nous devons, nous aussi, donner notre vie pour nos frères. » IJoa., iii, l(i. Saint Thomas note justement que tout acte de perfection, objet de conseil dans l’ordinaire de la vie, peut devenir, en certains cas, objet de précepte, lorsqu’il est nécessaire au salut ; ainsi une personne mariée peut être astreinte à la continence en cas de maladie ou d’absence île son conjoint. Cf. Augustin, De adulterinis conjugiis. II, xix, P. L., t. xl, col. 485. Le martyre est un acte de perfection qui, dans certains cas, devient obligatoire pour le salut : il est d’autre cas, où sans être obligatoire, il s’est imposé à des saints par zèle de la foi ou charité fraternelle ;

Il ne faut pas objecter que l’obéissance est supérieure aux victimes, entant que l’immolation de l’âme à Dieu par l’obéissance est supérieure au sacrifice du corps par le martyre, car le martyre est la forme la plus élevée de l’obéissance, c’est l’obéissance jusqu’à la mort à l’exemple du Christ. Philip., ii, 8.

Si le martyre est considéré seulement comme acte de la vertu de force, d’autres actes seront plus parfaits que lui, comme l’enseignement et l’administration qui sont ordonnés au bien de plusieurs, car « le bien de la multitude est supérieur au bien de l’individu », Éthique, t. I, ii, 8 : mais si le martyie est considéré dans sa fin, il est le plus parfait des actes ; ce qui permet à saint Augustin de dire : « Personne n’oserait, je pense, faire passer la virginité avant le martyre. « Lib.de sanctavirginitate, xi.v ; Enarr. in Psalm., LXVii, P. L., t. xl, col. 423 ; t. xxxvi, col. 812 sq.

4° Le martyre, dans la rigoureuse acception du mot. suppose qu’on souffre la mort pour le Christ, a. 4 ; cf. In IVum Sent., dist. XLIX, q. v, a. 3, quæst. 2. En effet martyr signifie témoin de la foi chrétienne, qui nous enseigne à mépriser les choses visibles pour les biens invisibles. II Cor., iv, 17. Le martyr témoigne sa foi en montrant en action son mépris pour tous les biens présents, et son invincible amour pour tous les biens invisibles de l’avenir. Or il ne montrera d’une manière efficace qu’il méprise absolument tous les biens de la terre que lorsqu’il aura donné sa vie. car pour la conserver, les hommes se résignent à garder tous les autres biens, et à supporter les pires douleurs, ainsi que dit Satan dans le livre de Job, ii, 4 ; Vie pour vie ; l’homme donnera tout ce qu’il possède pour conserver son âme », c’est-à-dire sa vie. Aussi l’Église n’appelle-t-elle martyrs que — ceux qui sont morts pour le Christ et réserve le titre de confesseurs à ceux qui ont subi l’exil, la prison, la perte des biens, la torture même pour confesser leur foi.

Ce sera un martyre « par analogie » qui sera attribué à la sainte Vierge dans le sermon De assumptione, attribué à saint Jérôme (Epist., ix, ad Paul, et Eustoch. ) : « Je dirai sans crainte de me tromper que la Mère de Dieu lut en même temps vierge et martyre, quoiqu’elle n’ait pas terminé sa vie par une morl violente. » C’est le même sens analogique qui permet à saint Grégoire ele dire : « Bien que nous ne soyons plus exposés aux persécutions, nous pouvons encore trouver dans la paix le mérite du martyre’, car si nous ne courbons pas la tête sous le glaive des bourreaux, nous portons le glaive spirituel dans notre âme. afin d’en retrancher les désirs charnels, n Homil. in Evang., m, 4, P. L., t. lxxvi, col. 1(189.

On pourrait objecter que des vierges, c< mine sainte Agnès et sainte Lucie, ont généreusement sacrifié leur vie plutôt que de perdre leur intégrité, dès lors on semblerait en droit de conclure qu’une femme mérite davantage le titre de martyre lorsque, pour la défense de la foi, elle perd ce bien de la virginité qu’elle estime supérieur a la vie. Saint Thomas