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MARTIN IV

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importante de « garde du sceau » du roi (on disait, par abus, « chancelier » ) En 1261, Urbain IV, qui a pu être autrefois son condisciple, le fait cardinal-piètre du titre de Sainte-Cécile. C’est en cette qualité que Simon vient plusieurs fois en France, comme légat du Saint-Siège ; la plus importante de ces missions est celle de 1251, où se conclut le traité définitif qui donnait à Charles d’Anjou la couronne de Sicile. Après quoi le légat fut autorisé à prêcher en France la croisade pontificale contre les derniers des Hohenstaufen. Au cours des légations suivantes, Simon eut à juger divers procès où était impliquée l’Université de Paris ; il pacifia les écoles parisiennes, confirma leurs privilèges, renouvela et modifia leurs statuts. Sous Grégoire XI et. ses successeurs, il demeure un des cardinaux les plus en vue de la cour pontificale.

A la mort de Nicolas III, après une vacance de six mois, Simon de Brion fut élu à Viterbe le 22 février 1281. Son élection qu’il ne désirait certainement pas lui-même fut le résultat des intrigues de Charles d’Anjou, désireux de voir monter sur le trône pontifical un pape français, prenant le contre-pied de la politique antiangevine de Nicolas III. Au fait, Simon, devenu Martin IV, ne sera guère qu’un instrument aux mains de l’ambitieux roi de Sicile. Il commence par lui rendre de manière indirecte la charge de sénateur de Rome dont Nicolas III l’avait contraint de se dépouiller en 1278. Sur le transfert de la dignité sénatoriale à Martin IV, qui la délègue à Charles, voir Potthast, Regesta, n. 21 744 et 21 745. Ainsi Charles redevenait le seul maître effectif à Rome et dans les États de l’Église. Ceci n’alla pas sans quelques résistances locales ; la Romagne en particulier fut en insurrection contre l’autorité pontificale pendant presque tout le règne, malgré les sentences d’excommunication et d’interdit qu’on ne ménagea pas aux rebelles. Rome même ne fut jamais entièrement pacifiée, et Martin IV n’y résida jamais ; au lendemain de son élection, abandonnant Viterbe, il s’installa à Orvieto. Des troubles locaux le contraignirent à se transporter à Montefiascone, fin juin 1282, d’où il revint à Orvieto, en décembre ; dix-huit mois plus tard, à la Saint Jean-Baptiste de 1281, il quittait définitivement cette ville pour Pérouse, qui venait de lui faire sa soumission ; il y passa les derniers -mois de sa vie. Ainsi, même dans l’État pontifical, Martin ne pouvait obtenir qu’une obéissance précaire.

Cet état de demi-révolte, contre lequel le pape eut toujours à lutter, tenait en grande partie au mécontentement que suscitait l’attitude de Martin IV à l’endroit de Charles d’Anjou. Cette inféodation aux intérêts angevins devait l’entraîner d’ailleurs à des démarches de bien plus grave conséquence. La première fut la rupture définitive avec Michel Paléologue. Voir ci-dessus, t. ix, col. 1402. L’excommunication solennelle fut lancée contre lui le 18 novembre 1281 (non le 18 octobre, comme il a été dit à l’endroit cité) avec défense à tous les rois et princes de contracter avec lui alliance ou amitié, Potthast, n. 21 815 ; cette excommunication sera renouvelée à diverses reprises. Ibid., n. 21 896 ; 21 948. Elle avait pour but, dans l’esprit du pape, de faciliter la croisade angevine contre Constantinople, croisade qui, depuis l’arrivée de Charles en Italie, hantait les rêves de l’ambitieux souverain ; mais elle se légitimait aussi par des raisons d’ordre religieux.il est très certain, et on l’a montré, t. ix, col. 1391 sq., qu’en signant le pacte de Lyon en 1274, le basileus n’obéissait pas exclusivement à des raisons désintéressées. Il est remarquable néanmoins qu’un partisan aussi chaud de la papauté que Tolomée de Lucques juge fort sévèrement l’acte de Martin IV ; il n’hésite pas à écrire que les malheurs arrivés postérieurement tant à Charles qu’à l’Église

romaine furent une punition infligée par Dieu. Considerandum est hic quantum vidctur Deus reprobasse sententiam contra Paleologum prolatam. Hist. ceci., I. XX Le. vu.

On sait comment les Vêpres siciliennes, 30 mars 1282, vinrent anéantir tous les rêves de conquête de Charles d’Anjou. Dès qu’il eut connaissance de l’horrible massacre qui ensanglanta toute la Sicile, Martin sévit contre les auteurs et fauteurs. Potthast, n. 21 895. Mais bientôt un péril bien plus grave menaçait la domination angevine. Le roi d’Aragon, Pierre III, de connivence sans doute avec le basileus, débarquait à Palerme, faisant valoir les droits qu’il tenait de sa femme Constantia, fille de Manfred ; il était proclamé roi de Sicile, et Charles, qui était venu mettre le siège devant Messine, se voyait obligé d’abandonner l’île. Le 18 no vembre 1282, Martin IV proteste contre la tentative de l’Aragonnais, l’excommunie, lui, ses compagnons, ses ministres et les rebelles de l’île ; faute de revenir à résipiscence dans les trois mois, le roi d’Aragon sera dépossédé de ses biens, et l’on pourra même procéder contre son royaume. Potthast, n. 21947 ; texte complet du Processus dans Registre, n. 276. Cette sommation devait rester sans effet ; Martin le prévoyait bien d’ailleurs, et dès ce moment, sans doute, il caressait l’idée de la « croisade d’Aragon » . En attendant qu’elle pût se réaliser, il contrecarra de tout son pouvoir le chimérique projetformé parCharlesd’Anjou de faire décider de la querelle avec Pierre d’Aragon par un combat singulier, où les deux adversaires à la tête chacun d’une troupe de cent chevaliers se rencontreraient le 1 er juin 1283 à Bordeaux. Soit par des défenses adressées à Charles, soit par une intervention auprès du roi d’Angleterre, Edouard I er, dont Bordeaux dépendait, le pape s’efforça d’empêcher ce duel. Pièces intéressantes pour l’histoire du duel : Potthast n. 21955, 21981 (= Reg., n. 302), 22 006, ces trois lettres à Charles lui-même ; n. 22 005, au roi Edouard. En fait le duel n’eut pas lieu, bien que Charles se fût rendu à Bordeaux pour la date indiquée, au mépris de la défense pontificale. C’est par d’autres moyens, plus efficaces à son sens, que Martin entendait détourner le péril aragonnais. Le 21 mars 1283 il déclare Pierre dépouillé de son royaume : Privantes exponimus eadem regnum et terras occupandas catholicis ; jette l’interdit sur toutes ses terres, défend à tous ses sujets de le reconnaître pour roi, Potthast, n. 21 998 (= Reg., n. 310) ; sentence renouvelée, trois semaines plus tard, le jeudi saint. Potthast, n. 22 013. Le 27 août le cardinal de Sainte-Cécile recevait mandat d’entrer en pourparlers avec le roi de France, Philippe le Hardi, et de lui offrir pour l’un de ses fils le royaume d’Aragon et le comté de Barcelone. Ibid.. n. 22 061( = Reg., n. 455). On lira avec intérêt les conditions mises par Martin au transfert de la couronne d’Aragon à un fils de France et les termes du serment imposé au futur souverain. On remarquera aussi les raisons invoquées par le pape pour justifier son acte ; elles ressortissent moins au droit divin, qu’au droit féodal. C’est surtout parce que Pierre a manqué à ses devoirs de vassal de l’Église romaine (son aïeul avait fait hommage du royaume à Innocent III), qu’il est privé de façon définitive de ses droits souverains. Nous n’avons pas à dire ici comment l’offre de Martin V aboutit à une acceptation de la France, et à la désatreuse expédition d’Aragon de l’été 1285, « grand effort inutile, dit Ch. V. Langlois, qui coûta à la France non seulement de l’argent et du sang, mais quelque chose de la renommée d’équité que saint Louis avait acquise » . Dans E. Lavisse, Histoire de France, t. m b, p. 117. D’ailleurs Martin IV, pas plus que Charles d’Anjou, ne connut ni les premiers succès de la » croisade d’Aragon » , ni son lamentable