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ABROGATION DES LOIS — ABROGATION DE LA LOI MOSAÏQUE

sion tacite ou la direction positive ne sont pas assez évidentes pour supprimer nettement l’obligation des sujets, le recours au supérieur ou du moins à de sages et savants conseillers devient nécessaire, suivant les règles de la morale chrétienne en matière d’obligations précédemment certaines, mais ayant perdu de leur certitude première.

V. Observations canoniques. — Sans abandonner le terrain de la théologie pour celui du droit, nous croyons utile de faire observer que les canonistes gallicans, autrefois si préoccupés de protéger les « libertés de l’Église de France » contre une abrogation possible et finalement nécessaire de la part du Saint-Siège, ont singulièrement exagéré les conditions requises pour qu’il y ait abrogation valide des lois particulières. Cependant il reste vrai que le législateur suprême, quand il supprime des lois générales, n’entend pas toujours supprimer les privilèges qu’il a précédemment accordés, ni les lois diocésaines qu’il a, sinon formellement connues et approuvées, du moins laissé porter ou maintenir en conformité avec les principes généraux du droit ecclésiastique. Mais s’il déclare abroger « même les lois et droits tout spéciaux qui méritent une mention particulière » ; si surtout il les indique en détail comme frappés d’abrogation, nul doute qu’alors ces législations particulières ou privilégiées ne disparaissent effectivement et entièrement. On peut cependant prévoir des conjonctures où des abrogations de ce genre seraient funestes à des diocèses exceptionnels ; et en ce cas l’autorité diocésaine pourrait en différer la notification ou l’exécution, afin d’avoir le temps de consulter le souverain pontife et de recevoir ses instructions pratiques sur le parti à suivre. Est-il besoin de dire que la fonction des patriarches, des métropolitains, des archevêques, n’est pas législative relativement aux diocèses de leurs circonscriptions ? Sauf donc une délégation expresse du Siège apostolique, ils ne pourraient abroger aucune loi de leurs suffragants. Si l’on désire connaître, par un exemple authentique, toute l’efficacité d’une abrogation pontificale, on peut lire au Corpus juris, Clement., l. III, tit. xvii, c. Quoniam, le décret de Clément V et du concile de Vienne, touchant la célèbre constitution Clericis laicos de Boniface VIII. Plusieurs canonistes disent que c’est une abrogatio in radice ; et ils entendent par là, non pas que la rétroactivité de l’abrogation supprime, dans le passé, l’obligation et le devoir alors produits par la loi, ce qui serait absurde ; mais que cette rétroactivité annule, en remontant aussi haut que possible, tous les effets extérieurs, sociaux, juridiques, financiers, produits alors par l’accomplissement de la loi, ce qui est intelligible et quelquefois très convenable.

Cf. Suarez, De legibus, l. VI, c. xxv-xxvii ; Lehmkuhl, Theol. mor., t. i, n. 126, 175 ; Jules Didiot, Morale surnaturelle fondamentale, Théorèmes lxxxi, lxxxiv, lxxxvii.

J. Didiot.

II. ABROGATION DE LA LOI MOSAÏQUE. Objet, temps, théorie théologique. La loi mosaïque était destinée à disparaître devant la loi chrétienne (voir l’article Judaïsme), mais il semble, au premier abord, que cette abrogation n’a été que partielle et ne s’est accomplie que progressivement. Le décalogue du Sinaï est resté la loi des chrétiens et plusieurs prescriptions mosaïques ont passé dans la législation de l’Église ; de plus, on sait les ardentes controverses que suscita, au temps des apôtres, la question des rites judaïques ; il est donc nécessaire de déterminer dans quelle mesure la loi de Moïse a cessé d’être en vigueur, et de fixer la date à laquelle il a été inutile ou même défendu de l’observer. Nous verrons ensuite comment s’est formée la théorie théologique relative à cette question.

I. Objet. — En considérant les trois parties dont se compose la loi mosaïque, on arrive sans peine à cette conclusion que la loi civile ou judiciaire d’Israël et aussi sa loi liturgique ou cérémonielle ont été totalement abrogées par Jésus-Christ ; s’il subsiste quelque doute, ce ne peut être que quant à la loi morale.

Et d’abord, la loi civile des Juifs les constituait à l’état de peuple spécialement choisi par Dieu en vue de préparer la venue du Messie, notamment, en gardant la révélation que Jésus-Christ viendrait parfaire et les prophéties qui devaient trouver en lui leur accomplissement. Dès lors, après la venue de Jésus-Christ, le peuple d’Israël n’avait plus aucune raison d’être ; il ne lui restait plus qu’à se fondre dans ce peuple nouveau promis à Abraham, que toutes les nations étaient appelées à former, peuple ou Église du Christ pasteur unique de ce troupeau universel. Aussi, le jour de son ascension, Jésus-Christ, brisant les barrières étroites de la nationalité d’Israël, envoyait-il ses apôtres recruter dans le monde entier cette société catholique composée non plus de circoncis, mais de baptisés, qui aurait pour loi non plus les commandements de Moïse, mais ceux du Fils de Dieu, et qui serait héritière, jusqu’à la fin des siècles, de cette spéciale assistance divine jusque-là réservée au seul peuple d’Israël. Matth., xxviii, 19, 20.

Le culte, chez les Juifs, incluait comme éléments essentiels l’existence de la tribu de Lévi ; — celle du temple de Jérusalem ; — les victimes qui y étaient offertes ; — enfin, la signification figurative et prophétique inhérente à ces sacrifices comme à tous les autres rites ou cérémonies de ce culte. Or, conformément à la prophétie de Malachie, i, 11, le sacerdoce lévitique a été transféré aux gentils ; d’après celle de Daniel, ix, 24-27, le temple de Jérusalem devait être détruit, et il l’a été en effet ; à la place des victimes sanglantes immolées à Jérusalem, une oblation pure devait être faite à Dieu en tous les lieux du monde, Mal., loc. cit. ; enfin les figures de l’ancienne alliance annonçaient elles-mêmes implicitement le jour où, accomplies en Jésus-Christ et dans son Église, elles ne pourraient plus sans mensonge signifier comme futures les réalités présentes. Toute cette législation cérémonielle devait donc nécessairement céder la place au nouveau culte institué par Jésus-Christ.

Sous le nom de loi morale des Juifs, nous entendons toutes les prescriptions de droit naturel qui y sont contenues, et spécialement le décalogue, sauf le précepte d’observer le sabbat, qui est de droit positif. Ainsi comprise, la matière de cette loi morale était évidemment obligatoire avant Moïse et n’a pas cessé de l’être encore aujourd’hui, même indépendamment de la nouvelle promulgation que Jésus-Christ en a faite. Bien mieux, Jésus-Christ n’a pas seulement conservé le décalogue ; il l’a confirmé et perfectionné soit en l’expliquant, Matth., v, soit par les conseils évangéliques ; de plus, il y a ajouté le poids de son autorité divine, la force de son exemple, ainsi que celle des motifs plus excellents sous lesquels il le propose à notre obéissance et de la grâce plus abondante qu’il nous donne pour l’accomplir. (Voir ci-après l’histoire de la théorie théologique, etc.)

II. Temps. — D’après la doctrine de saint Paul, Hebr., viii, ix, la loi nouvelle est, elle aussi, un testament, testament nouveau, fait par Jésus-Christ et destiné à remplacer celui de l’ancienne loi. Pour que celle-ci fut juridiquement abrogée, il fallait donc d’abord que ce testament nouveau eût été établi et que la mort de Jésus-Christ l’eût rendu irrévocable, Hebr., ix, 16, 17, puis qu’il eût été ouvert, c’est-à-dire promulgué. Or, c’est le jour de la Pentecôte que cette promulgation a eu lieu ; c’est donc seulement à cette date que l’ancienne loi a juridiquement pris fin, et a perdu toute force obligatoire.

Cependant, après la Pentecôte, pendant quelque temps encore, l’observation de certains rites mosaïques est restée licite, sous cette réserve qu’on ne pouvait plus les regarder comme nécessaires au salut. Nous lisons en effet que saint Pierre et saint Paul ont pratiqué quelques-- I. - 5