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ABROGATION DES LOIS

cipes et les faits, il n’y aurait certes jamais de raison suffisante pour motiver une abrogation. Et réellement, parce que certains éléments sont immuables au sein des sociétés les plus mobiles ; parce qu’un législateur d’une science et d’une prudence infinies, Dieu lui-même, a légiféré nécessairement ou librement sur ces immuables bases sociales, il y a des lois placées pour toujours au-dessus de toute abrogation, soit humaine, soit même divine. Ce sont d’abord les lois appartenant au droit naturel : Dieu ne pouvait point ne les pas promulguer, et il ne pourra jamais les supprimer quant à leurs dispositions directes et formelles ; les termes contingents auxquels elles s’appliquent peuvent seulement donner des variations apparentes à leurs dispositions imprécises et indirectes, par exemple à l’indissolubilité du mariage qui peut être entendue et pratiquée d’une façon plus ou moins rigoureuse selon les temps, les personnes, les circonstances. Ce sont ensuite, et en grand nombre, des lois appartenant au droit divin positif. S’il en est quelques-unes, comme la loi mosaïque, qui ont pu et dû être abrogées, beaucoup d’autres et des plus importantes, comme la loi chrétienne, ne le seront jamais, parce que Dieu les a établies et nous les a révélées comme immuables. Dans leurs dispositions générales et abstraites, il y a place pour des contingences et pour des mutations, par exemple en matière de vœux à remplir envers Dieu ; et l’Église pourra, par conséquent, abroger certaines façons de pratiquer la fidélité votale dans l’état religieux. Mais quant aux dispositions précises et catégoriques du droit divin, nulle abrogation n’est possible tant que le genre humain restera dans la situation morale que Dieu lui a faite. Vainement des rêveurs millénaristes ont conjecturé la prochaine arrivée de siècles d’or où la primauté pontificale serait détachée de Rome et rattachée à Jérusalem : la loi constitutive de l’Église romaine est de celles qui ne seront pas abrogées. Quant aux lois humaines, canoniques ou civiles, elles peuvent toujours être abrogées, sauf en ce qu’elles contiennent d’emprunté au droit naturel et au droit divin stable. Les changements historiques, ethnographiques, géographiques même ; les modifications commerciales, industrielles, économiques ; les transformations morales et parfois immorales des peuples ; les variations du degré de civilisation où ils s’élèvent, où ils descendent ; les évolutions et lès révolutions qui les agitent sans cesse, nécessitent aussi la suppression de lois bonnes et sages naguère, maintenant nuisibles ou inefficaces. Si elles tombaient en désuétude (voir Loi), si elles étaient supprimées ou remplacées par la coutume (voir ce mot), l’abrogation par voie d’autorité, l’abrogation rigoureusement dite dont nous parlons, ne serait plus de mise : on n’abroge pas ce qui n’existe plus à l’état de lien et d’obligation ; tout au plus en constate-t-on la cessation. Mais on abroge quand la loi fait du mal et en fera désormais ; quand son observation ne procure et ne procurera plus de bien sérieux ; quand une législation différente est réclamée par les conditions soit intérieures soit extérieures où se trouve la société. Si « la loi suprême est le salut du peuple », toutes les lois en contradiction avec elle doivent être modifiées et souvent même abrogées.

III. L’agent abrogateur. — C’est toujours le pouvoir législatif, monarchique, aristocratique, démocratique, suivant la forme constitutionnelle de la société où l’abrogation doit se faire. Dans l’ordre surnaturel, dont Dieu est l’unique et suprême monarque, lui seul a pu abroger la partie cérémonielle et judiciaire de la législation mosaïque. Dans l’Église catholique, dont le pape est le vrai roi visible, le prince elle pasteur universel, lui seul peut abroger des lois relatives à la chrétienté tout entière. Dans un diocèse particulier, où l’évêque est vraiment législateur, avec restrictions et conditions sans doute, lui seul peut abroger, sous les mêmes réserves, les lois émanées de l’autorité épiscopale et imposées à ses diocésains. Dans les sociétés politiques, l’abrogation se fait d’une manière analogue ; et si, par exemple, les lois d’une république ont été portées par le quadruple pouvoir d’un président, d’un conseil d’État, d’un sénat et d’une chambre des députés, l’abrogation n’en pourra être opérée que par le concours de ces quatre facteurs. Si le referendum national est un cinquième élément essentiel à la législation, il le sera de même à l’abrogation, à moins de stipulations contraires. Quand une délégation du pouvoir législatif est possible, comme dans les monarchies absolues, elle peut suffire à l’abrogation des lois portées par le prince lui-même, mais à la condition pourtant que le délégué agira pour de bonnes raisons, car il n’est jamais censé revêtu d’une autorité imprudente et déraisonnable. Le prince, le législateur, le pouvoir ordinaire, peut au contraire abroger validement, quoique imprudemment, quoique méchamment : s’il supprime l’obligation légale dépendant réellement de lui, elle n’existe plus et ne lie plus. On s’est demandé si un législateur subordonné pourrait abroger ses propres lois ou celles de ses devanciers, quand même elles seraient approuvées par un législateur plus élevé. C’est le cas, par exemple, de l’évêque relativement au pape. Distinguons deux sens dans le mot approuvées. Si cette approbation du supérieur a constitué la valeur législative des mesures prises par l’inférieur, au point qu’elles eussent été sans cela de simples projets de lois et non de vraies lois, évidemment l’inférieur ne peut les abroger qu’en vertu d’une délégation formelle du législateur en chef. Si, au contraire, l’approbation était simplement un visa, un placet, un nihil obstat, ne faisant pas acte législatif et ne créant pas la loi, celle-ci peut être abrogée par l’inférieur qui en était l’auteur véritable, ou par ses successeurs. Bien entendu, des stipulations spéciales pourraient se rencontrer, dans l’Église par exemple, interdisant sous peine de nullité toute abrogation faite par un inférieur, même en ses propres lois, sans l’assentiment du supérieur. Ce sont là choses de fait, à examiner et à décider d’après les documents du droit positif. Le principe général est que l’abrogatio se fait par l’autorité d’où procéda l’irrogatio, ou par une autorité catégoriquement supérieure. Car on n’en peut douter, quand un pouvoir législatif dépend d’un autre pouvoir également législatif et complet comme tel ; quand, par exemple, le pouvoir épiscopal dépend du pouvoir pontifical en matière de législation, au point que celui-ci peut légiférer s’il le veut pour les sujets mêmes de l’évêque, et qu’il peut conséquemment annuler ou modifier les lois épiscopales régulièrement portées, le législateur majeur est en droit d’abroger par lui-même la législation de son inférieur, même sans l’agrément de celui-ci.

IV. Formes de l’abrogation. — Les autorités législatives suprêmes peuvent imposer à leurs délégués ou subordonnés des modes obligatoires à suivre en cas d’abrogation ; et nous n’en parlons pas. Au point de vue de la simple raison philosophique et juridique, le législateur indépendant et pleinement autonome peut choisir, pour abroger une loi, entre les quatre moyens suivants : 1° déclaration explicite de l’annulation complète et définitive de la loi, avec suffisante promulgation pour que la société se sache déliée ; 2° déclaration implicite résultant d’une loi nouvelle et valide, formellement opposée à la précédente, sans qu’une raisonnable conciliation puisse s’établir entre elles ;  ; 3° permission tacite de ne plus observer la loi antérieure, avec suffisante manifestation de l’intention où est le supérieur, de n’en plus réclamer l’exécution désormais, en supprimant par exemple les employés chargés précédemment d’en poursuivre l’application ; 4° direction positive donnée au peuple dans un mus contraire à la loi, naguère encore existante. Quand il n’y a aucune déclaration ni explicite ni implicite de l’autorité ; quand la déclaration implicite laisse place à quelque doute ; quand surtout la permis-