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APOCALYPSE

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l’objet au ni’siècle. Du moins, si Papias atteste son existence, il ne lui attribue pas l’Apocalypse.

Les aloges, antimontanistes déclarés, rejetèrent l’Apocalypse parce qu’ils ne voulaient pas de prophétie dans l’Église. Pour des considérations subjectives et théologiques, ils n’admettaient pas son origine apostolique et prétendaient qu’elle ne pouvait être l’œuvre de l’apôtre saint Jean. Or, au lieu de l’attribuer au prêtre Jean comme ils auraient dû le faire, s’il y avait eu une tradition antécédente, ils la disaient l’œuvre de l’hérétique Cérinthe. S. Philastre, Hæres., lx, P. L., t. xii, col. 1 175. L’opinion de ces critiques peu sagaces manque de base historique ; elle suppose l’attribution générale de l’Apocalypse à l’apôtre et évangéliste saint Jean, puisqu’elle y contredit expressément. Le prêtre romain Caïus, dans son Dialogue contre le montaniste Proclus attribuait aussi l’Apocalypse à Cérinthe, Eusèbe, H. E., ni, 28, P. G., t. xx, col. 273, pour des raisons analogues à celles des aloges, dont il était tributaire. Par réaction anti-montaniste et anti-millénariste et sans appui sur une tradition’contraire à l’authenticité apostolique du livre, il s’écarta maladroitement du courant traditionnel. Lui non plus ne connaissait pas le prêtre Jean, distinct de l’apôtre.

Saint Denys d’Alexandrie apprit, par l’intermédiaire de Caïus, les objections des aloges contre l’Apocalypse et leur attribution de cet ouvrage à Cérinthe. Eusèbe, H. E., iii, 28, P. G., t. xx, col. 276. Sans partager leur erreur, il reprit, sous une forme adoucie, leurs attaques contre un livre qui lui semblait favoriser le millénarisme. Il ne contestait pas que l’auteur de l’Apocalypse se nommât Jean ; mais il n’aurait pas facilement accordé qu’il était l’apôtre de ce nom, le fils de Zébédée et le frère de Jacques, l’auteur du quatrième Évangile et de l’Épitre catholique. La différence de style, de plan et d’esprit de ces écrits était, à ses yeux, un indice de la diversité des auteurs. D’ailleurs, tandis que l’apôtre Jean n’a pas mis son nom en tête de son Évangile, l’auteur de l’Apocalypse se nomme. Saint Denys le croyait sur parole, mais il ne savait quel était ce Jean. Il ne se dit ni le disciple bien-aimé, ni le frère de Jacques, mais seulement le témoin de Jésus. « J’estime, ajoute l’évêque d’Alexandrie, que l’apôtre Jean a eu beaucoup d’homonymes. » Les Actes des apôtres nomment Jean Marc. Il ne paraît pas qu’il soit l’auteur de l’Apocalypse, car il n’est pas allé en Asie avec Paul et Barnabe. L’auteur de l’Apocalypse est un autre Jean, un de ceux qui ont vécu en Asie. Or, on dit qu’il a existé à Éphèse deux tombeaux, élevés à la mémoire d’un Jean. La diversité d’idées et de style, qu’on remarque entre l’Évangile ou l’Épître de l’apôtre Jean et l’Apocalypse, oblige à attribuer ce dernier ouvrage à une autre personne. Eusèbe, H. E., vii, 25, P. G., t. xx, col. 696-701. Saint Denys est amené à émettre cette hypothèse par opposition contre l’évêque égyptien Népos, qui trouvait dans l’Apocalypse l’idée du millénarisme. Eusèbe, H. E., vii, 24, ibid., col. 692-696. L’intérêt de la polémique le pousse à nier l’authenticité apostolique de ce livre. Pour ce faire, il n’invoque pas une tradition ecclésiastique antérieure ; c’est par des arguments critiques qu’il essaie de justifier sa supposition. Il ne connaît pas Jean l’ancien ou le prêtre. Il n’apporte en faveur de son sentiment qu’un on dit sur l’existence de deux monuments commémoratifs, auxquels, à Éphèse, le nom de Jean était rattaché. Argument peu solide, car saint Jérôme, De viris illustribus, 9, P. L., t. xxiil, col. 655, avoue que, de l’avis de quelques-uns, ces deux mausolées rappellent la mémoire du seul Jean l’évangéliste. Eusèbe, II. E., iii, 39, P. G., t. xx, col. 297, cherche enfin à donner une base historique à cette tradition orale des deux sépulcres. Il la rapproche des paroles de Papias, qui distinguent l’apôtre et le prêtre Jean, et il en conclut que si l’Apocalypse n’est pas de l’apôtre saint Jean, elle provient du prêtre Jean. La conclusion d’Eusèbe n’est que le résultat d’une interprétation personnelle, indécise et sujette à caution. Adversaire résolu des millénaristes, il voudrait attribuer l’Apocalypse à un Jean, distinct de l’apôtre ; il n’ose se prononcer catégoriquement, et il croit que Papias parle de deux Jean. Une opinion si hésitante et si faiblement fondée laisse très douteuse l’existence du personnage, nommé le prêtre Jean, et ne peut contre-balancer la tradition ecclésiastique qui, de tout temps, a tenu l’apôtre saint Jean pour l’auteur de l’Apocalypse.

Tiefenthal, Die Apokahjpse des hl. Johannes, Paderborn, 1892, p. 75-79 ; Trenkle, Einleitung in das N. T., Fribourg-en-Brisgau, 1897, p. 156-160 ; A. Camerlynck, De quarti Evangelii auctore dissertatio, Louvain, 1899, passim, et La question johannine, dans la Bévue d’histoire ecclésiastique, Louvain, 1900, p. 201-211, 419-427 ; Zahn, Apostel und Apostelschùler in der Provinz Asiens, dans Forschungen zur GeschiclUe des neutestamentlichen Kaiwns und der nUkirchliclien Literatur, Leipzig, 1900, t. VI, p. 175-217 ; Swete, The Apocalypse of St. John, Londres, 1906.

III. Lieu et époque de la composition.

Saint Jean nous apprend qu’il a vu en esprit les choses qu’il rapporte, un jour de dimanche, lorsqu’il était dans l’île de Patmos. Apoc, I, 9, 10. Il y a tout lieu de penser qu’il a mis aussitôt par écrit ces visions, dans l’île même, voisine d’Éphèse et de ces Églises de l’Asie Mineure auxquelles l’apôtre adressait ses lettres. Le contenu du livre et ce fait que l’Apocalypse a été connue en Asie Mineure tout d’abord confirment le sentiment desanciens. La date a été rapportée par saint Irénée, Cont. hær., v, 30, n. 3, P. G., t. vii, col. 1207, à la fin du règne de Domitien. Saint Victorin de Petlau donne plusieurs fois la même indication dans ses Scholies sur Apoc, x, 11 ; xvii, 10, P. L., t. v, col. 333, 338. Eusèbe, H. E., iii, 18, P. G., t. xx, col. 252 ; Chron., ii, P. G., t. xix, col. 552, la répète après saint Irénée, ainsi que saint Jérôme, Cont. Jovin., I, 26, P. L., t. xxiii, col. 257 ; De viris illust., 9, ibid., col. 625 ; Chronic, P. L., t. xxvii, col. 602. Seul, saint Épiphane, Hier., li, n. 12, 33, P. G., t. xli, col. 909, 919, fait exception et affirme que saint Jean revint de Patmos sous le règne de Claude. Son autorité est trop faible pour contredire les affirmations opposées des autres Pères, plus rapprochés des événements et mieux renseignés. Mais les critiques rationalistes regardent l’exil de saint Jean à Patmos comme une légende, sans fondement historique. Corssen, Monarchianische Prologue zu den vier Evangelien, dans Texteund Untersuchungen, t. xv, fasc. 1, 1896, p. 79-80, 86-88. L’historien Hégésippe, dont Eusèbe, E. H., iii, 20, P. G., t. xx, col. 252 : 256, rapporte un fait relatif à cette persécution, n’en parle pas. Son silence ne contredit pas les autres documents. Or, ceux-ci, ajoutent les adversaires, sont en désaccord entre eux. Tertullien, De prxscript., 36, P. L., t. il, col. 49, ne nomme pas l’empereur qui a relégué saint Jean à Patmos et il ne dit pas, comme on le prétend, que ce fut Néron. Les autres s’accordent sur le temps et le lieu de cet exil. Pour des raisons intrinsèques, les rationalistes datent la composition de l’Apocalypse du règne de Néron. Renan, L’Antéchrist, Paris, 1873, p. xxi et 355, la fixe, à quelques jours près, à la fin de l’année 68. Le temple de Jérusalem était encore debout et le blocus de la capitale juive n’était pas encore commencé. Apoc, xi, 1, 2. Le sixième empereur romain, qui existe maintenant, Apoc, xvii, 10, est Néron, dont le nom a, d’ailleurs, la valeur du chiffre de la Bête. Apoc, xiii, 18. Ces raisons sont discutables et très sujettes à caution. Le temple dont parle saint Jean n’est plus le temple de Jérusalem, mais un temple idéal qui est l’Église ou la Jérusalem céleste. Le chiffre de la Bête reste une énigme malgré les nombreuses et diverses interprétations dont il a été l’objet. Les critiques plus récents, qui reconnaissent dans l’Apocalypse des documents différents, seraient portés à concilier les deux opinions. Un premier document, d’origine