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APHRAATE

que notre auteur ait été victime de la vengeance du tyran, contre lequel il avait écrit à mots couverts sa démonstration v. Toutefois, comme cet Aphraate confesseur est mentionné avec des personnages morts dès la première année de la persécution (340-341), et que notre auteur date sa dernière démonstration de l’année 345, l’identification proposée n’est pour nous qu’une probabilité.

II. Œuvres d’Aphraate. — Les vingt-trois démonstrations embrassent divers sujets théologiques, ascétiques, disciplinaires. Plusieurs sont des traités de controverse. Aphraate a pour adversaires les juifs, qui possédaient en Mésopotamie et en Perse de célèbres écoles et des établissements datant de la captivité. Aphraate prend souvent à parti un « docteur » juif, dont il réfute les grossiers arguments et les prétentions. Démonstration xii, 3, p. 511 ; xv, 8, p. 754 ; xvii, 9, p. 803 ; xxi, 1, p. 931. Ailleurs il s’adresse aux « moqueurs », « race détestable, » v, 25, p. 238 ; vi, 20, p. 311 ; xiv, 48, p. 719 ; xxii, 26, p. 1043. Neuf de ses démonstrations sont dirigées expressément contre les juifs. En voici les titres : xi, sur la circoncision ; xii, sur la Pâque ; xiii, sur le sabbat ; xv, sur les nourritures légales ; xvi, sur la vocation des gentils ; xvii, sur le Christ, fils de Dieu ; xviii, sur la virginité ; xix, contre la restauration de la nation juive ; xxi, sur la persécution. Deux s’adressent aux hérétiques : viii, sur la résurrection ; xxii, sur la mort et les fins dernières. Deux autres sont des traités de circonstance : v, sur les guerres ; xiv, exhortation au clergé et au peuple de Séleucie et Ctésiphon. Le reste des démonstrations est didactique ou parénétique : i, sur la foi ; ii, la charité ; iii, le jeûne ; iv, la prière ; vi, les ascètes ; vii, les pénitents ; ix, l’humilité ; x, les pasteurs ; xx, sur l’entretien des pauvres ; xxiii, sur le grain de raisin.

Dans ces diverses matières, l’autorité de l’auteur est d’autant plus considérable que, vivant loin du monde romain et des disputes doctrinales qui suivirent le concile de Nicée, il ne connaît encore que les plus anciennes hérésies des gnostiques, des manichéens et des judaïsants. Exception faite d’erreurs portant sur des points de doctrine non définis, erreurs qu’il partage du reste en partie avec saint Éphrem et ses contemporains, Aphraate est le défenseur de l’orthodoxie, et la connaissance de ses œuvres ne peut être que d’un grand secours au théologien.

III. Doctrine d’Aphraate. — Nous rattacherons aux subdivisions suivantes les principaux points de doctrine contenus dans ses démonstrations.

1. Dieu et la Trinité. — « Voici, dit Aphraate dans sa première démonstration, quelle est la foi : que l’homme croie en Dieu, le Seigneur de toutes choses, qui a fait le ciel, la terre et la mer avec tout ce qu’ils contiennent : qui a fait honneur à son image, » i, 19, p. 43 ; xxiii, 59 [t. ii, p. 119], 62 [t. ii, p. 127]. Il combat Marcion « qui se refuse à confesser notre bon Créateur », iii, 9, p. 115 ; Valentin qui prêche qu’il y a eu plusieurs créateurs, et dit que Dieu ne peut être nommé par la bouche [de l’homme] ni scruté par la pensée. Ibid. La foi en un seul Dieu, jointe à l’observance des commandements, est le principe des bonnes œuvres, xxiii, 62 [t. ii, p. 127].

Le monde a été créé de rien, par un seul Dieu, i, 19, p. 43 ; xxiii, 61 [t. ii, p. 126] ; et non, comme le dit Valentin, par la multitude des éons, ni, comme Marcion et Manès le répétaient après Zoroastre, par les deux principes du bien et du mal, iii, 9, p. 115.

Dieu est éternel. Aphraate l’appelle Uyâ d-nafseh, l’ « essence » ou la « substance de lui-même », xxiii, 52 [t. ii, p. 99], 58 [t. ii, p. 118J. Dieu est infini, imcompréhensible ; sa majesté est sans comparaison, 59 [t. ii, p. 122]. Cependant, afin de répondre aux hérétiques qui le disaient innommable et inconnaissable, il montre que « nous le connaissons comme le Père qui nous a engendrés, le Roi et le Seigneur qui nous a appelés ». Ibid. Dieu est bon, 56 [t. ii, p. 115]. « Nous devons adorer, révérer et servir le Dieu en notre Père et notre créateur, » xvii, 8, p. 802. Sa volonté soutient toutes les créatures. Tout ce qui existe est maintenu par son commandement. Rien ne se fait sans son ordre. Notre vie et notre mort sont dans ses mains. Les deux mondes, ce qui a existé comme ce qui existera, lui appartiennent. Ibid. [t. ii, p. 111-123]. Dieu habite dans les hommes, iv, 11, 12. p. 159, 166 ; xiv, 35, p. 662. De lui nous tenons la science, la lumière et la vie. Ibid.

Aphraate exprime à diverses reprises le dogme des trois personnes divines. « Nous savons seulement ceci : qu’il y a un seul Dieu, un seul Christ, un seul Esprit, une seule foi, un seul baptême, » xxiii, 60 [t. ii, p. 123]. Il rend « gloire et honneur au Père, à son Fils et à son Esprit vivant et saint », 61 [t. ii, p. 127]. Il dit encore excellemment : « Si ces trois noms illustres et vénérables du Père, du Fils et du Saint-Esprit, qui ont été invoqués sur ta tête lorsque tu as reçu le signe de ta vie [le baptême], si ce baptême est pour toi une réalité, ne jure pas sur ta tête, » 62 [t. ii, p. 130].

2. Jcsus-Christ.

Le Fils est, pour Aphraate, Fils de Dieu et Dieu lui-même, vi, 9, p. 278 ; xvii, 2, 4, p. 787790 ; xiv, 39, p. 682-686 ; le Fils du Roi, vi, 10, p. 279. Néanmoins, il est distinct de la personnalité du Père, iv, 5, 11, p. 146-162. Le Christ est le Verbe et la parole de Dieu, I, 10, p. 22 ; il est de la même essence, îtâtd, que le Père : « Il t’a envoyé vers nous, te séparant de son essence, » xxiii, 52 [t. ii, p. 99] ; égal au Père dès le commencement, i, 8, p. 19. Il partage avec le Père la divinité qu’Aphraate appelle la nature,’kydnd’, de Dieu, vi, 10, p. 278-279 ; et le pouvoir des choses humaines, qui est notre nature. Il convient donc de lui rendre le culte et l’adoration, encore que cette affirmation déplaise aux juifs, viii, p. 799-803.

Sur le dogme de l’incarnation, Aphraate enseigne que le Christ fut envoyé par le Père pour vaincre et livrer à la dérision le méchant et sa force, xxiii, 50 [t. il, p. 98] ; pour guérir les hommes et appeler les pécheurs, x, 4, p. 454 ; pour apporter la paix, nous délivrer et nous rapprocher de Dieu. « Jésus, le Fils de Dieu, notre Sauveur, qui nous a élus pour lui, nous a appelés à lui, par qui nous avons connu [le Père], par qui nous sommes devenus ses adorateurs, le peuple, l’Eglise et la congrégation sainte, » xxiii, 61 [t. ii, p. 127]. Le Verbe a pris non un corps figuré, mais un corps charnel, formé dans le sein de la Vierge Marie, et non apporté du ciel, vi, 10, p. 278-282 ; xxiii, 50 [t. ii, p. 98]. « Gabriel apporta la paix et fit descendre le fruit béni, et le Fils bien-aimé fut semé dans le sein de Marie, » ix, 5, p. 418.

Aphraate confesse implicitement la doctrine de l’unité de la personne du Christ en deux natures, lorsque, dans la vi B démonstration, il commente les textes de saint Paul, II Cor., viii, 9 ; Philip., H, 6, 8, en rapportant à l’unique personne du Christ les propriétés divines et humaines, vi, 9, 10, p. 275-282. Il dit, dans les mêmes termes que les liturgies grecque et latine, que le Christ cache sa nature divine sous les dehors de notre humanité, prenant ce qui nous appartient afin de nous donner ce qui est à lui. xxiii, 49 [t. ii, p. 95-98]. Id quod fuit permansit et quod non erat adsumpsit.

Lorsqu’il affirme que le Père est plus grand que le-Fils, i, 5, p. 146, il n’en faut pas conclure qu’Aphraate ait incliné vers l’hérésie arienne, qui n’avait pas dépassé à cette époque, les frontières de la Perse et de l’Assyrie. Il est, d’autre part, antérieur à Eulychès, et bien que r>ar-Ilébra>us affecte de le tenir pour un jacobite orthodoxe, sous le prétexte que le couvent de Mar Mattaï devint plus tard une possession des jacobites, ou que ses (puvres, comme plus tard celles de saint Ephrem, d’Isaac d’Antioche, Cyrille d’Alexandrie, Grégoire de Nazianze,