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ABRAHAM SEIN (D’)

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phore du sein expliquée, il reste à rendre raison du choix du personnage. Saint Pierre Chrysologue, Serm., cxxi, P.L., t. lii, col. 531-532, Théophylacte, op. cit., col. 976, et Euthymius, Comment, in Luc, 59, P. G., t. cxxix, col. 1040, ont dit qu’Abraham continue à remplir dans l’autre vie les lois de l’hospitalité, qu’il accomplissait si fidèlement ici-bas. Celui qui recevait sous sa tente les étrangers et les pauvres, Dieu lui-même avec ses anges, reçoit les saints dans la gloire. Mais Tertullien, Advenus Marcion., IV, 34, P. L., t. ii, col. 444, saint Augustin, De anima, iv, 16, n. 24, P. L., t. xliv, col. 538, et saint Cyrille d’Alexandrie, In Joannis Evang., i, 10, P. G., t. lxxiii, col. 181-184, ont, avec plus de raison, rattaché ce choix à la paternité d’Abraham. Comme ancêtre de la race juive, surlout comme père de tous les croyants, Rom., iv, 16, 17, ce patriarche reçoit dans son sein et sur ses genoux tous ses enfants fidèles et les admet en participation de son bonheur. Saint Thomas, Sum. theol., Suppl., q. lxix, a. 4, a adopté cette raison qui correspond parfaitement avec la meilleure explication de la locution métaphorique du sein d’Abraham.

Quant à la nature du bonheur goûté dans le sein d’Abraham, les saints Pères et les commentateurs catholiques l’ont déduite de la parabole du mauvais riche et du pauvre Lazare. Ces deux personnages ont, dans l’autre vie, le sort qu’ils ont mérité sur la terre. L’un repose tranquillement sur le sein d’Abraham comme un enfant sur les genoux de son père ; l’autre est malheureux dans l’enfer. Le riche est torluré dans les flammes et expie dans ces tourments sa sensualité passée et son manque de commisération pour le pauvre ; celui-ci a des consolations qu’il n’a pas eues ici-bas. Une soif dévorante brûle le riche et lui fait demander comme une faveur le rafraîchissement que lui procurerait une goutte d’eau déposée sur l’extrémité de sa langue. Luc, xvi, 23-25 ; Tertullien, De anima, 7, 58, P. L., t. ii, col. 657, 750 ; Dejejuniis, 16, col. 976 ; De idololatria, 13, t. i, col. 680 ; S. Cyprien, Epist., _xii, ad Cornelium, n. 3, P. L., t. iii, col. 800 ; S. Irénée, Cent, hær., 11, 34, 11.1, P. G..l. vii, col. 834-835 ; S. Ambroise, £xposit. Ev. sec. Luc, viii, n. 13, 18, P. L., t. xv, col. 1769, 1770 ; S. Augustin, De anima, iv, 16, n. 24, P. L., t. xliv, col. 538 ; Serm., xxiv, n. 2, t. xlvi, col. 922 ; S. Grégoire de Nysse, In Psalmos, 6, P. G., t. xliv, col. 509 ; Priscillien, Tract., ix, ad populum, édit. Schepss dans le Corpus script, eccl. latin., t. xviii. Vienne, 1889, p. 91 ; Pseudo-Jérôme, Expositio quatuor Evangeliorum, P. L., t. xxx, col. 575 ; S. Pierre Chrysologue, Serm., cxxi, P. L., t. lii, col. 530-532 ; Serm., cxxii, col. 534 ; Serm., cxxiv, col. 541, 543. En résumé, Lazare et les âmes justes qui étaient avec lui dans le sein d’Abraham, jouissaient du repos, de la consolation et du rafraîchissement, bonheur imparfait, qui consistait principalement dans l’immunité de la peine et dans l’attente assurée de la gloire du ciel. S. Thomas, Sum. theol., Suppl., q. lxix, a. 4. Ce lieu de repos et de paix n’était pour Abraham, les patriarches, les prophètes et tous les justes qu’un séjour provisoire, où ils attendaient que Jésus-Christ, qui est la voie et la porte du ciel, vint les introduire au sein du bonheur parfait. Origène, lnlib. Reg., homi. ii, P. Gf., t.xil, col. 1028 ; Raoul Ardent, In epist. et evang. Dom., homil. v, P. L., t.ci.v, col. 1963 ; Robert Pullus, Sent., IV, 17, P. L., t. clxxxvi, col. 823. Cf. Mamachi, De animabus juslorum in sinu Abrahee anle Christi mortem, Rome, 1766.

La position de ce lieu de repos et d’attente est indiquée indirectement par certains détails de la parabole évangélique. Jésus dit que le riche, du lieu de ses tourments, élève les yeux, qu’il voit de loin Abraham et Lazare dans son sein et qu’il hausse la voix pour faire entendre sa prière. Lue., xvi, 23, 24. D’autre part, Abraham répond que le pauvre ne peut intervenir en faveur du damné, parce qu’il existe entre eux un grand abîme qui empêche de passer du séjour des bienheureux à l’enfer des réprouvés. Luc, xvi, 26. Ces renseignements dérivent partiellement de la théologie des rabbins. Selon eux, en effet, le scheôl, ou séjour des morts, était divisé en deux parties : le sein d’Abraham pour les justes et la géhenne pour les pécheurs. Quelques-uns les croyaient distantes d’une palme seulement ou séparées par un mur ; la plupart les mettaient de niveau et les disposaient de telle sorte qu’on pouvait voir de l’une ce qui se passait dans l’autre, quoiqu’il y eût entre elles un grand abîme. E. Stapfer, La Palestine au temps de Jésus-Christ, 3e édit., in-8°, Paris, 1885, p. 314. Tertullien, Adversus Marcion., iv, 34, P. L., t. ii, col. 441, distingue les deux séjours, et place la région déterminée, qui est appelée le sein d’Abraham, non au ciel, mais au-dessus des enfers. Saint Augustin, Epist., clxxxvii, de præsentia Dei, 2, n. 6, P. L., t. xxxiii, col. 834, ne sait s’il faut confondre le sein d’Abraham dans lequel Lazare repose, avec le paradis promis au bon larron, ou le mettre dans les enfers. Ce sein semble distinct du paradis et il n’est pas facile de trouver dans l’Ecriture un passage où l’enfer soit pris en bonne part. Par suite, on se demande aussi comment l’âme de Jésus-Christ a pu descendre dans les enfers. Or, s’il faut croire que les deux régions des bienheureux et des malheureux étaient dans les enfers, qui osera dire que Jésus n’est allé que dans la partie où les âmes étaient tourmentées et non auprès de ceux qui reposaient dans le sein d’Abraham’? S’il est venu dans ce sein, il faut l’entendre du paradis promis au bon larron. Cf. De Genesi ad litteram, xii, 33, n. 63, 64, P. L., t. xxxiv, col. 481-482. Saint Grégoire de Nysse, In psalmos, 6, P. G., t. xliv, col. 509, rapprochait le sein d’Abrabarn des chœurs des anges qui y apportaient les âmes et ne pouvait pas le placer en dehors de cette agréable simpbonie angélique. Saint Bruno d’Asti, Comment, in Luc, ii, 38, P. L., t. clxv, col. 423, mettait Abraham, les patriarches et les prophètes en enfer, en ajoutant toutefois qu’ils ne subissaient pas les peines de l’enfer. Haymon d’Halberstadt, Hom. de tempore, homil. ex, P.L., t. cxviii, col. 596, expose la même doctrine. Le cardinal Robert Pullus, Sent., IV, 19-23, P. L., t. clxxxvi, col. 824-827, enseigne que Jésus-Christ est descendu aux enfers, c’est-dire dans le sein d’Abraham, pour en faire sortir les saints qui habitaient la partie la plus élevée de ces lieux inférieurs. Saint Thomas, Sum. theol., Suppl., q. lxxix, a. 7, a adopté lemême sentiment qui, selon Petau, Theol. dogmatic. De incarnat., xiii, 18, n. 5, t. v, p. 372-373, est le sentiment commun des Pères. Il résout les difficultés de saint Augustin. Le sein d’Abraham était, avant l’avènement de Jésus-Christ, le même lieu que les limbes où les âmes des justes goûtaient un repos imparfait et attendaient le bonheur parlait dans la vision de Dieu. Il était distinct de l’enfer des damnés, puisque les âmes n’y soutiraient pas et n’y demeuraient que pour un temps. Quanta la situation, il est probable que l’enfer et les limbes étaient un même lieu, pour ainsi dire continu, mais dont la partie supérieure contenait les âmes justes. Les limbes des patriarches, qui différaient des limbes des enfants morts sans baptême, étaient probablement aussi au-dessus des limbes de ces enfants. Les commentateurs modernes se préoccupent peu de la situation des limbes. Aussi interprètent-ils les images de la parabole, Luc, xvi, 23-26, plutôt de la différence morale que de la distance locale des personnages. Quoique se trouvant en apparence à portée de la voix humaine, ils sont éloignés par un espace infranchissable. Leur séparation sera éternelle et leur sort est irrévocablement fixé’ ; Lazare et Abraham seront toujours heureux, le mauvais riche toujours malheureux ; La volonté de Dieu a établi entre eux un abîme infranchissable, qui rend impossible toute intervention des saints en faveur des damnés et même toute