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ANTINOMISME

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giles des Égyptiens, de Thomas, de Mathias, de Barthé- lémy, des douze apôtres, de Basilide, d’Apelles, donne à entendre qu’il y en avaitd’autres. InMatth., prol., P.L., t. xxvi, col. 17. Rien de plus propre que tous ces apo- cryphes à surprendre la bonne foi des simples, per- vertir les esprits et corrompre les cœurs. Sous le voile de la fiction, le venin était savamment dissimulé. Ce fut une concurrence habile et perfide contre les livres du Nouveau Testament ; elle eut ses conséquences funestes et aurait pu être plus dangereuse encore si l’autorité ecclésiastique ne se fût jetée dans la mêlée et n’eût fait entendre la voix de la vérité.

3° Publication de traités. — Mais les gnostiques, pour réussir dans leurs rêves ou dans leurs ambitions, ne se contentèrent pas de rejeter l’Écriture, de la dénaturer et de lui opposer des apocryphes ; ils écrivirent des traités et eurent une littérature à eux, très abondante, où ils expliquèrent leurs systèmes, qui embrassaient dans un vaste syncrétisme toutes les idées en fermenta- tion : théogonie, cosmologie, anthropologie, sotériologie. Nous ne connaissons que quelques titres d’ouvrages : l"Aitôçac-iç [AEyâXï] et les ’AvTipprjTixot de Simon ; Pseu- do-Denys, Div. nom., vi, 2, P. G., t. m, col. 857 ; les ’ E<jr,YTiTixa de Basilide, Clément d’Alexandrie, Slrom., iv, 12, P. G., t. vm, col. 1289 ; les ’TI6txâ et le LTsp 7rpo<r :p-jcrjç J/u/v d’Isidore, Clément d’Alexandrie, Slrom., n,. 20 ; ni, 1, P. G., t. vin col. 1057, 1101 ; le Ilepi Stxato- c-jvri ; d’Épiphane, Slrom., n, 2, P. G., t. vm, col. 1105, 1109 ; les hymnes, lettres et homélies de Valentin, dont il est question dans Tertullien, Clément d’Alexandrie et les Philosopltumena. Très certainement la liste n’en est pas épuisée. Mais livres apocryphes et traités gnostiques, tout a presque complètement disparu. Les quelques fragments qui en restent ne sauraient nous donner une idée de l’effort intellectuel du gnosticisme. Ce que les Pères nous en ont révélé nous permet cependant d’en- trevoir la place importante qu’occupait dans ces systèmes l’antinomisme. Au fond, la métaphysique, quelque bril- lante et séduisante qu’elle fût, ne paraît avoir été qu’un trompe-l’œil et qu’un appât ; tout, dans la vie, se résol- vant finalement dans une question d’ordre pratique, il est à croire que l’antinomisme a été le vrai but, la véri- table raison d’être de l’assaut livré par la gnose au christianisme.

IV. Antinomisme des marcionites. — Il est un groupe à part dont nous n’avons pas parlé, et qui tranche sur l’ensemble, c’est celui de Marcion. Marcion a nettement répudié les excès du sensualisme : il a recommandé l’ascétisme le plus sévère ; il a même obligé ses parti- sans à ne pas reculer devant le martyre ; peut-on, dès lors, le ranger parmi les antinomistes ? Oui, sans aucun doute. Son austérité ne saurait donner le change. Théo- riquement, il a fait du Nouveau Testament l’antithèse formelle de l’Ancien ; celui-ci, il le rejette ; de celui-là, il n’a conservé que l’Évangile selon saint Luc, bien en- tendu après l’avoir mutilé et arrangé pour les besoins de sa cause ; ce procédé nous est connu. Mais pratique- ment, l’opposition qu’il met entre le Dieu créateur et le Dieu bon qu’est-elle autre chose sinon l’un des principes constitutifs de l’antinomisme ? De plus, ce Dieu créateur, il le déclare mauvais et auteur du mal. C’est contre lui qu’est venu travailler le Christ ; et le Christ ne descend aux enfers que pour y sauver Caïn, les sodomites, tous les pécheurs de l’ancienne loi ; quant à Abel, Noé, Abraham, et les autres justes, ils ont le tort d’avoir obéi aux ordres du créateur, il les délaisse. Enfin, sous les apparences ou même la réalité de la vertu, Marcion n’impose ses prescriptions ascétiques, jeûne, abstinence et continence, qu’en haine du Dieu, créateur de la ma- tière et auteur de la génération : et c’est encore de l’an- tinomisme, quoique moins brutal et plus raffiné que celui des autres gnostiques. Tertullien, Adv. Marc., P. L., t. n.

On en peut dire autant de Tatien. Comme Mar- cion, il fut chrétien avant de devenir hérétique, et comme Marcion, il distinguait la loi de l’évangile et les attribuait à deux auteurs différents ; ce qui était de l’an- tinonisme à la manière de Marcion. On attribue à Tatien la paternité des encratites ; secte d’austères continents, si l’on n’en juge que par l’étiquette, à laquelle se ratta- chent celles des sévériens, des hydroporastates ou aquariens, des apotactites, cathares ou apostoliques, mais dont les orgueilleuses prétentions dissimulaient mal la perversité endémique qui fait le fond de tout le gnosticisme et de tout ce qui en dérive. Irénée, Cont. hser., i, 28, P. G., t. vu, col. 690 ; Pseudo-Terlullien, Prsescr., lu, P. L., t. n, col. 72 ; Épiphane, Hser., xlvi, P. G., t. xli, col. 835.

V. Antinomisme des manichéens. — Gêné un moment et comme barré par l’effort de Justin, d’Irénée, de Ter- tullien, de Clément d’Alexandrie, d’Origène, d’Hippolyte, le courant gnostique n’en continue pas moins sa marche souterraine, canalisant et entraînant avec lui toutes sortes de scories. Son antinomisme flattait trop les instincts de révolte qui gisent dans l’arrière-fond de la perversité humaine pour ne pas reparaître un jour ou l’autre. C’est ainsi qu’à la fin du m e siècle il trouve dans Manès mieux qu’un disciple, un apôtre ; mieux qu’un héritier des grands gnostiques, un émule, qui l’accueille, le renforce, lui imprime un élan puissant et lui assure un succès tout aussi funeste et beaucoup plus durable. Manès est dualiste ; il oppose l’un à l’autre deux prin- cipes coéternels ; au principe du mal il attribue la créa- tion, la loi de Moïse, les prophéties ; au principe du bien, la rédemption et le salut. Il identifie le Dieu de la Bible avec l’un des princes des ténèbres ; il repousse tout l’Ancien Testament et une partie du Nouveau. Chez lui et ses disciples, comme chez les gnostiques, ce sont les mêmes procédés d’exégèse, une exploitation sem- blable des apocryphes, une production littéraire aussi abondante et dans un but identique ; et c’est aussi le même antinomisme révoltant. Car le manichéisme rejette la loi révélée et la loi naturelle, sous prétexte qu’elles sont l’œuvre du prince des ténèbres ; il rend responsable du péché, non l’homme, mais la nature ennemie qui agit en lui ; et s’il condamne les œuvres de la chair, recommande l’abstention du mariage, pratique l’austé- rité en renchérissant sur l’ascétisme chrétien, la réalité des faits est loin de répondre à la sévérité de ces prin- cipes : l’immoralité déborde à un tel point que l’autorité civile dut intervenir à plusieurs reprises pour en répri- mer les excès. Dioclétien, Valentinien I er , Gratien, Théo- dose, Honorius firent des lois contre le manichéisme. Codex Gregorianus, édit. Hoenel ; Codex Tlieod., XVI, V, 3, 7, 9, 18, 35, 40. C’est que le manichéisme était devenu l’égout collecteur de toutes les ignominies. Saint Cyrille de Jérusalem l’appelle le réceptacle de toutes les immondices, le bourbier de toutes les héré- sies, Catech., vi, 20, P. G., t. xxxm, col. 572 ; et saint Au- gustin le qualifie aussi durement. User., xlvi, P. L., t. xlii, col. 42.

Bien que combattu pendant tout le iv e siècle et la première moitié du V e , par Archélaus, Eusèbe de Césa- rée, Apollinaire, Sérapion de Thmuis, saint Athanase, Georges de Laodicée, Eusèbe d’Émèse, Tite de Bostra, que cite Épiphane, User., lxvi, 21, P. G., t. xlii, col. G5, par saint Épiphane et surtout par saint Augustin, dans plusieurs de ses ouvrages, le manichéisme fit des pro- sélytes. Au IV e siècle, il donna naissance au priscillia- nisme, qui ravagea l’Espagne et la Gaule. Le priscillia- nisme, dernier rejeton des impiétés de Simon, comme l’appelle saint Vincent de Lérins, Comm., xxiv, P. L., t. l, col. 671, n’est « qu’une confusion horrible de toutes les iniquités, ramassées là comme dans un cloaque », Augustin, User., lxx, P. L., t. xlii, col. 44, « un com- posé des horreurs les plus grossières, des saletés et des