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ANSELME


c’est justement la nécessité et l’indépendance. Or un être indépendant, nécessaire, possédant dans son essence même et par son essence seule l’existence, est évidemment dans l’ordre réel. Car, s’il n’y est pas, il n’y en a qu’une raison : c’est qu’il est impossible, un être de rêve, une chimère. Or l’Être infini, l’Être le plus parfait est, au contraire, le terme suprême de la pensée, c’est là seulement qu’elle se repose. Il lui apparaît comme le plus possible de tous les êtres, le premier possible, summum cogitabile, summum possibile (pour parler comme Scot). Comment douter de la possibilité intrinsèque d’un Être où il n’y a que de l’Être’? Comment y aura-t-il contradiction, choc de qualités, là où il n’y a qu’une note, l’Être pur ? — Mais s’il est possible, il est. Car ici, et c’est le seul cas, l’existence idéale emporte l’existence réelle ; et si l’existence réelle n’est pas, l’existence idéale ne peut pas être. Il ne resterait donc qu’à douter de la possibilité d’un tel être. Mais à ceux qui sont dans un tel état d’esprit on répondra que, soit par la réflexion, soit par la démonstration, ils arriveront à se mettre en possession de cette idée. « On ne peut donc pas raisonnablement douter de la valeur de l’argument. On peut seulement discuter pour savoir à quelle place il le faut mettre dans la série des preuves de l’existence de Dieu ; ou bien si l’on ne possède pas cette idée par des preuves qui démontrent déjà l’existence de l’Être infini. Mais ceci n’empêche pas que l’argument qui part de l’idée seule, en faisant abstraction du mode par lequel nous y sommes arrivés, soit valable et utile. En résumé : au sommet de nos conceptions, il y a l’Être parfait, l’Être qui a par lui-même son existence. Donc cet Être existe. Car, s’il n’existait pas, il ne serait pas celui qui est au sommet de toutes nos conceptions. Celui-ci ne peut pas ne pas exister ; celui-là n’existerait pas. Donc. » Voir encore De Deo uno (autogr.), cours du P. Auriault à l’Institut catholique de Paris, 1892-1893, p. 32 sq., et Univers, 14 oct. 1887 : Variétés, par le P. Auriault.

IL BAISONS CONTRE LA VALEUR DE i’ARGUMENT. —

Ceux qui nient la valeur de l’argument ne sont pas d’accord sur toute la ligne. Les uns admettent l’idée et la possibilité ou être idéal, et nient qu’on en puisse rien tirer pour l’ordre réel. D’autres vont à nier l’idée même et la vue de la possibilité.

Parmi les premiers, quelques-uns ne mettent aucune différence entre l’idée de l’être nécessaire et toute autre idée. Ainsi semble faire Gaunilon ; ainsi Kant. C’est aller trop loin, et cette différence s’impose. Dieu seul est par essence, et concevoir Dieu, c’est concevoir l’être dont l’essence ne se peut concevoir que comme existante. Gassendi au moins serre de plus près la question en disant que « dans l’idée d’un Pégase parfait, la perfection d’avoir des ailes n’est pas seulement contenue, mais celle aussi de l’existence ». Objections’^contre la cinquième Méditation. Œuvres de Descartes, p. 185. Mais, même dans l’exemple de Gassendi, il n’y a pas parité complète. Il faut donc accorder qu’on ne conçoit vraiment Dieu que si on le conçoit existant, l’existence étant de l’essence même de Dieu. Beaucoup accordent cela. Mais, disent-ils, il ne suit de là qu’une existence idéale non une existence réelle ; Dieu est nécessairement conçu comme existant ; mais rien ne Drouve qu’à ce concept réponde une réalité. Précisément, répliquent les tenants de l’argument, c’est le propre de ce concept d’exiger la réalité de son objet, de sorte qu’il périt luimême si cet objet n’existe pas (voir plus haut).

Plusieurs se rendent à la force de cette raison, et admettent le lien nécessaire entre ce concept et la réalité de son objet. Ils n’admettent pas cependant la valeur de l’argument ; ils nient que nous ayons, à proprement parler, le concept de l’être parfait, de Dieu. Descartes l’accordait d’un concept propre et adéquat. Mais, ajoutait-il, nous en savons assez de cet être pour concevoir

clairement et distinctement que l’Être lui appartient par essence’, que son essence est d’être. Fort bien, mais la question est précisément de savoir s’il y a une telle essence, ou si nous concevons vraiment un tel être ; c’est demander, en autres termes, si un tel être est possible. Possible, il l’est en soi. Mais l’est-il pour nous a priori ?

Quelques-uns croient résoudre la difficulté en disant : « Nous le concevons. Il est donc possible, de possibilité interne (laquelle se définit, comme on sait, la non-implicance des termes) ; mais nous ne savons s’il l’est de possibilité externe (par rapport à la cause productrice, ou plus généralement par rapport à la raison suffisante de son être). » On leur objecte avec raison que cette distinction entre la possibilité interne et la possibilité externe (si tant est qu’elle puisse avoir ailleurs une utilité sérieuse) ne saurait être de mise quand il s’agit de l’être nécessaire, qui, s’il est possible, a en lui-même la raison suffisante de son existence : on ne peut distinguer ici essence possible et essence réelle. Ce qui ramène toute la question à celle de possibilité pure et simple. Concevons-nous vraiment et positivement Dieu comme possible ? En termes équivalents, concevons-nous vraiment Dieu ? C’est là, en effet, qu’il faut en venir. Déjà Gaunilon et Anselme avaient lutté sur ce terrain ; Descartes s’occupa de ce point ; Leibnitz, après Scot, y ramena toute la question ; et c’est là que porte le principal effort du subtil professeur dont j’ai cité l’argumentation.

//L distinctions ET conclusions. — Si c’est là un terrain de lutte, c’est aussi, dans certaines limites, un terrain de conciliation. Il y a une idée de Dieu qui emporte avec elle la réalité de son objet, et il y a une idée de Dieu qui ne l’emporte pas. L’idée propre de Dieu (ou plus exactement l’idée ex propriis) emporterait que Dieu est possible ; car, en ce sens, est possible ce qui est proprement conçu (l’impossible est inconcevable) ; mais si Dieu est possible, il est (si Dieu n’est pas, il est impossible). Si donc nous concevons Dieu, à proprement parler, Dieu est. Mais il est une idée de Dieu, qui n’emporte pas l’existence réelle de son objet, mais seulement l’existence conçue comme réelle ; c’est l’idée analogique que nous nous formons de Dieu, avec les éléments créés, par voie de causalité, de négation, d’éminence : c’est là une idée factice, composite, n’atteignant pas l’essence en elle-même ; et dès lors, je ne saurais dire s’il n’y a pas, sans que je le voie, quelque chose qui rende cette essence impossible — à peu près comme cela se présente pour l’idée d’un carré équivalent à un cercle.

On peut donc accorder que si nous avions l’idée de Dieu, cette idée prouverait son existence, en l’entendant d’une idée propre ; mais nous n’avons pas cette idée propre et dès lors cette existence nécessaire que j’attribue à Dieu peut bien n’être (tant je ne la connaîtrai pas par une autre voie) qu’un jeu de mon esprit, comme cette essence même que je conçois comme ne faisant qu’un avec son existence. Dès lors, Vidée de Dieu périt elle-même, comme argumente le professeur que j’ai cité ; mais Vidée propre, celle à laquelle correspond une essence déterminée, non pas toute idée de Dieu ; dès lors, je ne conçois pas Dieu comme possible, par un concept positif embrassant cette essence même, excluant de cette notion toute impossibilité ; je ne vois pas d’impossibilité, c’est tout ce que je puis constater. A ceux qui disent : Il est possible ; car je puis arriver à le concevoir, à en avoir une idée claire et distincte, Leibnitz faisait déjà remarquer qu’il y a beaucoup d’ambiguïté dans ces mots concevoir, idée, et que souvent nous croyons concevoir une chose et en avoir une idée claire et distincte sans que cependant cette chose soit possible, partant, sans que nous la concevions vraiment, sans que nous en ayons proprement l’idée. Il donne comme