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ANSELME

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tence de Dieu, édité par Foucher de Careil, Nouvelles lettres et opuscules inédits, Paris, 1857, p. 22 sq., par le principe « que toutes les formes simples sont compatibles entre elles », p. 32.

Enfin dans la Monadologic, § 45, il affirme résolument la possibilité : « Et comme rien ne peut empêcher la possibilité de ce qui n’enferme aucunes bornes, aucune négation, et par conséquence aucune contradiction, cela seul suffit pour connaitre l’existence de Dieu a priori. » En somme, Leibnitz donna à l’argument, en groupant les améliorations faites par ses devanciers, sa forme la plus expressive, laquelle revient à ceci : L’être nécessaire, s’il est possible, existe. Or il est possible. Donc il existe. Cf. Nourrisson, La philosophie de Leibnitz, Paris, 1860, 1. IV, c. vi ; 1. II, c. i.

IV. les modernes.

Kant n’a pas seulement critiqué l’argument ontologique ; il fait tous ses efforts pour y ramener les autres preuves, de sorte que, selon lui, s’il y avait un argument probant, ce serait celui-là. Il le soumet donc à une critique qu’on est convenu de regarder comme spécialement pénétrante. En fait, il s’y trouve, à côté de remarques très fines (celle-ci notamment que l’être n’est pas une perfection qu’on puisse mettre en ligne de compte avec les autres, puisqu’elle en est, si je puis dire, l’actualité), d’autres qui rappellent par trop la confusion que faisait Gaunilon de l’idée de Dieu avec toute autre idée ; d’autres aussi qui laisseraient à supposer qu’il n’a contre elle que son relativisme général et les prétendues antinomies qui l’amènent à regarder la contingence et la nécessité comme des formes purement subjectives de notre esprit. Voir Critique de la raison pure. Dialectique transcendantale, l.l, c. iii, sect. m et iv, n. 700 sq., traduction Tissot, 3e édition, Paris, 1864, t. ii, p. 207 sq. ; cf. n. 741, 819 et passim. Beaucoup de textes groupés dans Ragey, loc. cit., c. xxvi et xxvii, p. 184-198.

Hegel ne pouvait évidemment accepter le passage syllogistique de l’idée à l’objet ; mais il est très sympathique à l’argument, et peu s’en faut qu’il n’y voie une première ébauche de sa chère théorie de l’identité entre l’idée et l’objet, entre le fini et l’infini. Logique, l re part., § 51, Remarque, trad. Vera, Paris, 1859, t. I, p. 822 ; cf. III’part., § 193.

Les ontologistes acceptèrent l’argument des cartésiens, mais plusieurs en lui donnant un sens ontologiste (intuition de l’objet dans l’idée). Voir, par exemple, Ubaghs, Monologue et Prosloge, note ee, Louvain, 1854, p. 398 sq. Beaucoup de cartésiens semblent l’admettre, mais presque tous en le ramenant, consciemment ou inconsciemment, à une preuve toute différente, valable ou non. Ainsi Cousin, Leçons sur Kant, leçon 6 ; ainsi Saisset, Descartes, ses précurseurs et ses disciples, 2e édit, Paris, 1862, p. 136 sq. ; ainsi Nourrisson, La philosophie de Leibniz, Paris, 1860, p. 126 ; ainsi Fr. Bouillier, dans le Dictionnaire des sciences philosophiques de Franck, art. Descartes, 2e édit., Paris, 1875, p. 365.

De nos jours, l’argument ontologique, sous quelque forme qu’on le présente, est généralement regardé comme invalide, même en dehors du camp scolastique. Voir, par exemple, J. Simon, La religion naturelle (ci-dessous) ; Ueberweg, Grundriss der Geschichte der Philosophie, Berlin, 1898, t. ii, p. 182-184. Quelquesuns cependant y tiennent encore, même des professeurs de théologie, très doctes et très scolastiques.

III. Sens précis de l’argument. — Qu’entend-on au juste par « l’argument de saint Anselme » ? Quel sens précis lui donnait Anselme, et quel sens lui ont donné Descartes et Leibnitz ? Les diverses formes de l’argument ont-elles une valeur différente ? Autant de questions que nous allons essayer de résoudre.

1. Qu’entend-on, au juste, part l’argument de saint Anselme » ? — Ou donne le noind’ « argument de saint

Anselme » ou argument ontologique (passant de Vidée à l’être), ou argument a simullaneo (parce que l’idée emporte son objet) à l’argument qui essaie de prouver l’existence de Dieu, en argumentant de l’idée de Dieu à l’existence de l’objet représenté par cette idée. Au point de départ, un fait psychologique : J’ai l’idée d’un être qui répond à la définition nominale de Dieu, sous une formule ou sous une autre (être le plus grand qu’on puisse concevoir, être parfait, être nécessaire). Au point d’arrivée, je conclus logiquement l’existence réelle de l’être représenté par cette idée. Comme procédé, l’analyse même de cette idée unique en son genre par la propriété d’avoir pour objet un être nécessairement réel. Voilà l’argument anselmien. En un mot, il conclut, par l’analyse de l’idée constatée, à l’existence de l’objet pensé.

2. Quel sens précis lui donnait Anselme ? — Est-ce bien là le sens de l’argument, tel que nous le trouvons dans Anselme, dans Descartes, dans Leibnitz ? Pour Leibnitz, nul n’en doute. Pour Anselme et pour Descartes, on a souvent essayé d’autres explications. Nous avons mentionné l’explication ontologiste pour Anselme et pour Descartes ; l’explication hégélienne pour Anselme ; il faut signaler encore la confusion faite par quelques-uns de cet argument avec un autre, proposé par Descartes, sur Dieu seule cause possible de l’idée d’infini en nous, ou avec un autre encore (Dieu seule cause possible d’une âme qui conçoit l’infini) ; signaler enfin l’opinion émise par Piccirelli, qu’Anselme ne prétendrait prouver qu’une chose, l’existence nécessaire de Dieu déjà connu par ailleurs ; et celle de dom Adhoch, selon qui l’argument d’Anselme serait purement psychologique et historique. L’examen des textes suffit à montrer que ces opinions ne sont pas fondées. Tout au plus, peut-on admettre que Descartes a passé quelquefois d’un argument à l’autre, et que ses disciples ont fait les mêmes confusions, soit consciemment, comme Matebranche, soit inconsciemment, comme peut-être Fénelon.

3. Ya-t-ildes différences profondes entre les diverses formes de l’argument ? — Le P. Ragey semble l’insinuer çà et là. Mais il faut avouer que ces différences ne sont pas fondamentales. Si Descartes admet que l’argument, tel qu’il est rejeté par saint Thomas, ne prouve pas en effet, c’est pour « vice de forme », parce qu’il y manque la notion d’idée claire et distincte ; si saint Thomas, au lieu de dire l’idée de Dieu, préfère la formule « ce qui est signifié par le mot Dieu », la chose revient au même, et il est évident que saint Thomas avait bien en vue l’argument de saint Anselme. Toute la différence est donc de forme plutôt que de fond. La forme anselmienne est celle qui dissimule le moins cette « apparence sophistique » que Descartes reconnaissait de bonne foi à son propre argument ; celle de Leibnitz est la plus achevée, et circonscrit le débat sur un point précis : « Concevons-nous, a priori, l’être nécessaire’comme possible ? » On peut donc, dans la discussion, négliger les différences accessoires et poser ainsi la question : « En analysant notre idée de Dieu, sommes-nous amenés logiquement à conclure l’existence de Dieu ? »

IV. Critique et discussion.

L raisons pour la valeur de l’argument. — Les voici, telles que me les donne un professeur distingué, partisan convaincu de l’argument, le R. P. Auriault : « De l’idée d’Etre infini on déduit à bon droit l’existence de l’Etre infini. Car si l’objet de cette idée n’est pas dans l’ordre réel, l’idée elle-même périt. Qu’est-ce, en effet, au regard de l’âme, que cet Être infini, sinon l’Être ayant en lui toutes les perfections, et partant l’existence, ou mieux la nécessite d’exister, l’Être dont l’essence est d’être (ou d’exister) ? Il exclut donc toute possibilité île recevoir d’un autre son être, et, s’il y a quelque chose qui lui soit essentiel,