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ANSELME


l’élévation proprement dite. De là vient qu’il n’a guère, pour expliquer l’effet du baptême dans les enfants, que des explications insuffisantes, celles-là mêmes qui, données comme exclusivement justes par Baius, seront un jour condamnées par l’Église. Cf. De conceptu virginali, c. xxix, col. 463.

On l’a donné parfois comme un défenseur de l’Immaculée Conception de la sainte Vierge ; mais les œuvres d’où étaient tirés les textes ne sont pas de lui. Dans le Cur Deus liomo, 1. II, c. xvi, xvii, col. 416 sq., la sainte Vierge est englobée trop manifestement dans la masse pécheresse (in iniquitatibus concepta, c’est Boson qui parle, mais Anselme admet cela, cf. De conceptu virginali t/ c. xviii, xix, col. 451). Il reste qu’Anselme a dit dei Marie un mot admirable qui devint classique, et qui em— i porte l’Immaculée Conception : Decens erat ut ea puritate qua major sub Deo nequit intelligi Virgo illa niteret, etc. De conceptu virgin., c. xviii, col. 451.

La liberté du Christ dans sa passion n’est pas suffisamment expliquée. C’est trop peu, en effet, de dire que la personne du Verbe avait librement choisi et accepté le plan divin de la rédemption. Cela ne donne pas à Notre-Seigneur une liberté humaine. Cur Deus homo, 1. II, c. xvil, col. 419. Enfin Anselme, à la suite d’Augustin, semble croire que les enfants morts sans baptême souffrent une peine positive. De conceptu virginali, c. xxili, col. 457. C’est peut-être une des raisons, sinon la seule, qui l’ont poussé à retarder l’animation de l’enfant au sein de sa mère et à traiter d’absurde l’opinion contraire. De conceptu virginali, c. iiv col. 440.

iv. place et influence. — Anselme a sa place dans l’histoire du dogme catholique, à côté de saint Augustin et de saint Thomas. Il n’a pas eu le rôle d’Augustin comme représentant de la doctrine catholique, et il n’a pas, comme saint Thomas, des disciples sans nombre à se réclamer de lui. Mais, à ne regarder que le développement intime de la théologie’chrétienne, à peine oset-on dire qu’il ait personnellement moins fait. Sa lumière s’unit à celle des deuxautres colonnes lumineuses pour éclairer non seulement l’intervalle qui les sépare, mais encore les sentiers de la théologie future. Il est le premier théologien philosophe ; le premier, il a poussé avec suite et méthode ce que son maître Augustin n’avait qu’esquissé, le traitement rationnel du dogme ; il est donc bien le père de la siolastique. Que si, dans la scolastique, on veut distinguer avec Cousin la période de raison suivant la foi, de maison parallèle à la foi, de raison divergente et s’éthancipant de la foi, il faut mettre Anselme dans la première période ; mais, à vrai dire, cette distinction eit/un peu factice.

Deux traits précis. Anselme dans son œuvre écrite — on peut négliger ici le De grammatico et le De veritate — est par excellence le théologien philosoplie ; saint Thomas l’est aussi, mais il n’est pas que cela : il est, par exemple, philosophe eHhéologien. Ensuite, Anselme est l’homme des monographies. Il prend une question très précise, très délimitée, et il y applique toutes les ressources de sa puissante raison avec une dialectique vigoureuse et admirablement soutenue. On sent, d’ailleurs, dans ces sujets relativement restreints, un homme qui domine sa matière et qui est maître de l’ensemble. Cet ensemble même, peu s’en faut que nous ne l’ayons dans l’ensemble de ses opuscules : essence divine, Trinité, Incarnation, théologie des anges, grâce et providence surnaturelle, libre arbitre et jeu de la volonté humaine en face des tendances nécessaires de sa nature, des poussées de la grâce et des exigences de la prédestination infaillible, chute et rédemption de l’homme, traits épars d’une théologie mariale et d’une théorie de l’Église à laquelle presque rien ne manquerait si ces traits étaient groupés, i ndication s, BUMQhreusga sur [es r apports de la raison et de la Toi, m odèles admirables dé prières à Dieu et de toutes les relations de l’âme

avec lui, ainsi que de l’appel aux saints, d’où se dégage une admirable théorie de la grâce, de la prière, de l’intercession des saints, du mérite appuyé sur les mérites de Jésus-Christ, mainte autre chose encore qu’on pourrait signaler : on voit qu’Anselme touche à toute la théologie catholique.

Il n’y a pas touché en vain. Que d’explications il a mises en avant qui sont passées depuis dans l’enseignement commun ! Tantôt c’est une vue profonde, tantôt une distinction lumineuse, tantôt une formule heureuse qui condense en une phrase un dogme qui attendait encore son expression définitive.

Nul n’a mieux raisonné, si je puis dire, les attributs divins, ni ne les a mieux déduits et groupés (Monologion) et si sa formule de Dieu : ens quo majus cogitari non potest (Proslogion), est moins belle que celle d’acte pur ou d’ipsum esse, il a le mérite d’avoir, le premier, posé pratiquement le problème de ce que l’on devait appeler plus tard l’essence métaphysique de Dieu. Nul n’a poussé avec plus de vigueur, dans toutes ses conséquences, la notion des relations opposées dans la Trinité. N’est-il pas le premier, aussi, qui ait montré clairement ce qu’il y a d’infini dans le péché et comment il fallait un Homme-Bieu pour l’expier dignement ? Sur le péché originel, ses explications sont devenues classiques, il n’y a eu qu’à les compléter ; — et ainsi sur maint autre point. Ses distinctions sur la volonté antécédente et conséquente, sur les diverses sortes de nécessité éclairent notre route eneore aujourd’hui.

Les formules mêmes sont passées dans le langage théologique ou dogmatique. Celle-ci, par exemple, sur la transmission du péché originel : Spoliavitpersona naturam bono justitix in Adam, et natura egens facta omnes personas quas ipsa de se procréât, eadem egestate peccatrices et injustas facit, De conceptu virginali, c. xxiii, col. 457 ; ou celle qui a été citée plus haut sur la pureté de la Mère de Dieu, ou celle-ci, qui exprime si bien le rôle de Marie co-rédemptrice : Qui potuit omnia de nihilo facere, noluit ea violata sine Maria reficere. Deus igitur est Pater rerum creatarum et Maria mater rerum recreatarun. Oral., iil col. 956.

Et n’est-ce pas chez lui que l’on trouve, pour la première fois, ces formules sur l’unité absolue en Dieu, et les oppositions relatives qui, dégagées et tant soit peu condensées, sont devenues des formules dogmatiques ? In Deo omnia sunt unum ubi non obviât relationis oppositio. Denzinger, Enchiridion, n. 598. Cf. De processione Spiritus Sancti, c. ii, col. 288, et passim. Peu d’hommes ont eu, comme Anselme, le don de semer les idées et les formules immortelles ; et là même où il est discutable et discuté, comme dans le fameux argument ontologique, il a le don d’attirer les esprits les plus puissants et de les passionner. Si Anselme n’a pas proprement fait école — car ce qu’on nomme parfois Yécole anselmienne des bénédictins semble être d’origine assez récente, et n’est pas une école au sens strict, et, d’autre part, les réalistes ontologistes ne pouvaient à bon droit se réclamer d’Anselme — peu d’hommes ont fouillé comme lui les idées théologiques, peu d’hommes ont tant éveillé les esprits et semé tant de germes féconds. Enfin, il est parmi les trois ou quatre qui ont noté avec le plus de vie et de sincérité les cris les plus vibrants de l’âme chrétienne vers Dieu et ses conversations intimes avec le ciel. Anselme est donc une des plus grandes et des plus belles figures du christianisme, attrayante comme peu d’autres par je ne sais quoi d’idéal à la fois et de si humain, admirable par le reflet divin qu’ajoute à tous les dons du génie et du cœur le rayonnement du surnaturel.

I. Ouvrages généraux.

1* Tarmi les histoires de la philosophie : RUter, Grschichte der Philosophie, Chriatliche Philosophie, Hambourg, 1844, t. iii, p. 310-354 ; Stockl, Gcschichte dur Philosophie des AhUelulters, Alayouce, 18Ji, t. i, p. lût sq. ;