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ANSELME

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plus haut. De veritate. Anselme a contre le nominalisme grossier de Roscelin des mots durs dont il n’est pas coutumier, De fide Trinit., c. n, col. 265 : il donne une certaine réalité à la nature humaine, identique dans la diversité des individus ; il met une certaine distinction entre cette nature et les individus ; et, comme faisaient déjà les Pères, il tire de là de belles analogies pour l’explication de la Trinité, De fide Trinitatis, c. vi, vu, col. 279 ; mieux peut-être qu’on n’avait fait avant lui, il se sert de ces principes pour expliquer la transmission du péché originel. De conceplu virginali, c. XXIII, col. 456. Mais on ne voit là aucun excès de réalisme. Il reproche à Roscelin de ne pas admettre que la couleur soit quelque chose autre que la substance colorée, et de se rendre par là incapable de comprendre les relations qui dans l’unité de la substance divine constituent la trinité des personnes. De fide Trinitatis, c. il, col. 265. Mais on peut admettre des accidents distincts sans en faire des êtres substantiels. Enfin il met en Dieu les idées exemplaires, sur lesquelles le divin architecte a fait le monde. Monol., c. ix, x, col. 157 sq. (il n’a pas le mot idées). Mais rien en cela qui lui soit propre, rien qui sente un réalisme excessif. En somme, Anselme est réaliste, si par là on veut dire qu’il a combattu le noniinalisme ; mais il n’a pas les excès du réalisme et, en fait, la question des universaux a chez lui fort peu de place.

2. L’ontologisme de saint Anselme ; l’argument des ventés éternelles. — Les ontologistes l’ont souvent cité en leur faveur (comme ils ont fait pour saint Augustin et pour saint Thomas). C’est à tort ; Anselme ne connaît pas d’autre vision en Dieu que la vision béatifique ; l’argument du Proslogion n’est pas non plus un argument ontologiste (voir article suivant). Reste la démonstration de Dieu par les vérités éternelles.

Anselme semble admettre cette démonstration dans le Monologion, c. xvm, col. 165. et dans le De veritate, c. x, col. 479. Quand il l’aurait fait, à la suite d’Augustin et de Boèce, on n’en pourrait pas conclure qu’il est ontologiste. Si Bossuet, Fénelon, d’autres après eux y ont mêlé des éléments ontologistes, ces éléments lui sont ■accidentels, et plus d’un aujourd’hui encore en admet la valeur, qui en ote tout ce qui sentirait l’ontologisme. Mais il n’est pas même bien sûr qu’il ait voulu prouver par là l’existence de Dieu, ou la prouver sans passer par l’argument de contingence. En y recourant, il semble n’avoir en vue que de démontrer l’éternité de Dieu ; et les explications qu’il donne dans le —De veritate semblent tout ramener à une existence et à une vérité hypothétiques. Ainsi l’entendait déjà saint Thomas. Quxst. ^jj/frm De verit., q. I, a. 5.

■ 3. La psychologie de saint Anselme. — Non plus que pour la logique ou l’ontologie, Anselme ne fit jamais de psychologie pour la psychologie même. Il en fit cependant, en vue de la théologie et de l’Écriture sainte. Avec quel soin, par exemple, dans ce que l’on nomme d’un seul mot la volonté, il a distingué la faculté, l’acte, etc. De même, selon Guibert de Nogent, il distinguait soigneusement dans l’âme le sentiment, la volonté, la raison, l’intelligence, « toutes les mystérieuses communications de notre vie intime, » pour en montrer, selon les aspects, soit la distinction, soit l’unité. Tout cela, nous dit Guibert, sans s’expliquer davantage, Anselme l’appliquait à quelque texte choisi de l’Évangile. Ce qu’était cette application, on pourrait, à défaut d’exemples directs, s’en faire une idée en regardant les commentaires moraux ou tropologiques de Guibert luimême. Celui-ci, en effet, nous dit n’avoir fait que suivre la voie que lui montrait Anselme, cœpi et ego ejus sensa commentis, prout poteram, similibus semulari. Guibert de Nogent, De vila sua, 1. I, c. xvi, P. L., t. clvi, col. 874.

4. La raison et la foi ; la démonstration des mystères. — On a semblé parfois faire d’Anselme un ratio DICT. DE TIIÉOL. CATHOL.

naliste qui va où le mène sa raison, sans tenir aucun compte de la foi. C’est entendre étrangement sa méthode si souvent et si nettement expliquée par lui ; c’est lui prêter des idées contre lesquelles protestent et sa vie entière et tous ses écrits. Voir plus haut, iv, 2°, col. 1313. D’autre part, quelques traditionalistes l’ont revendiqué pour eux, parce qu’il met la foi avant la raison : Credo ut intelligam, fides quserens intellectum. Proslog., proœm. et c. i. C’est ne pas distinguer entre l’usage de la raison avant la foi, entendez : avant la foi surnaturelle, et l’usage de la raison après la foi. De la genèse de la foi, Anselme ne s’est pas directement occupé. I l dit se u } er ment qu’il ne fqut pas attendre pour croire q"iie Ton aH co mp ris Ips mY^tp-cas— car on n^Tïïffîpr çnTfrTTâîïïaTs T Ir iaut commencer par croire sur l’autorité de Dieu et par agir selon sa foi. Après cet acte de soumission intellectuelle et morale, dit Anselme, essayez humblement de scruter ce que vous croyez : rvnrip ga’ir a it fai l’p " « pi » ** n oble usag é e dj ^n rniir tn.E t il joint l’exemple au précepte, on sait avec quelle hardiesse et quel succès. Certes, cela n’est pas d’un traditionaliste qui n’attend rien de la raison. Il y a plus. Et le Proslogion et le Cur Deus homo, dirigés au nom de la raison contre les incroyants, supposent évidemment un usage de la raison antérieur à la foi. D’autre part, cette raison qui part de la foi pour scruter humblement les profondeurs de Dieu, n’oublie pas un moment sa dépendance, et quelle est soumise à une autorité plus haute. Cf. De fide Trinit-, c. n, col. 261, 263, 264 ; Cur Deus homo, 1. I, c. il, col. 362, 363. •*• • • * *

Reste un point à examiner. Anselme prétend-il ou non, je ne dis pas trouver, mais retrouver par la raison les mystères de la foi, la Trinité par exemple ou la nécessité de l’Incarnation ? Il parle, en etl’et, sans cesse de démonstration, de preuves convaincantes et nécessaires. Quel sens attache-t-il à ces mots ?

Avant tout, il ne prétend pas imposer ses raisons. « Voilà ce qui me parait, redit-il souvent ; mais toujours sauf meilleures raisons ou autorité supérieure. » Croitil cependant que ces démonstrations rationnelles aient une valeur probante par elles-mêmes ? Oui, sans doute, si on les regarde dans l’ensemble du système catholique, et c’est ainsi qu’il montre fort bien aux Grecs qu’ils ne peuvent logiquement nier que le Saint-Esprit ne procède aussi du Fils. Va-t-il jusqu’à leur attribuer une valeur absolue ? Il faut avouer qu’il en a tout l’air et, dans ce cas, il irait trop loin. Car les mystères intimes de la vie divine, comme la Trinité, restent indémontrables, et aussi les libres dispositions de la providence, comme l’Incarnation. La raison peut répondre aux difficultés, éclairer les mystères par des comparaisons et des analogies prises de l’ordre créé, montrer les convenances du choix divin, lier les vérités ainsi connues et montrer comment elles se tiennent, tirer enfin les conclusions des principes connus par la foi. Là se borne son rôle. Quelques-uns croient que jamais Anselme n’a prétendu faire autre chose. Il faut reconnaître au moins qu’il outre çà et là l’expression ; reconnaître aussi de bonne grâce que, sur la question de la Trinité, sa pensée est confuse, sinon fausse, et que, sur celle de l’Incarnation, il insiste trop sur la nécessité pour Dieu de donner des remplaçants aux anges déchus, et sur l’impossibilité du pardon pur. et simple, accordé non pas sans repentir, comme il semble l’entendre, mais au repentir. L’incarnation, en effet, n’est nécessaire qu’à cette double condition.

Telles sont les principales questions que soulèvent les doctrines d’Anselme. Il suffira de signaler d’un mot les autres points où il a été inexact ou obscur.

5. Divers points de doctrine. — Dans la justice originelle, il ne voit guère que la rectitude morale de la volonté. Il ne dit rien de cette beauté surnaturelle, de cet ornement divin qui est la grâce sanctifiante, rien de

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