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ANSELME


liturgie, il fait la part belle au symbolisme, mais il ne veut pas qu’on raffine trop, ni surtout qu’on soit exclusif.

Liturgiste dans les opuscules à Walram, Anselme est canoniste dans les consultations sur les prêtres concubinaires et sur les mariages entre consanguins. Ce qu’il était dans ses Homélies et ses entreliens spirituels, nous pouvons l’entrevoir par l’homélie ix, par le De beatitudine et par nombre d’entretiens recueillis soit dans sa vie, par Eadmer, soit dans le De similitudinibus ; enfin YAitmonitio morienli, si elle est de lui, nous le montre assistant les mourants, excitant doucement chez eux la foi, le repentir, la confiance aux mérites de Jésus.

14. Correspondance, P. L., t. clviii, col. 1059-1208 ; t. CLix, col. 9-272. — On sait que la correspondance d’Anselme est très intéressante à plus d’un titre. Il faut se borner ici à signaler les points qui touchent de plus près à la théologie ou à l’ascétisme.

Quelques lettres sont de vrais opuscules théologiques ou des consultations, non pas seulement celles qui ont été transférées parmi les opuscules, comme la correspondance avec Walram, mais d’autres encore : ainsi les explications De malo, Epist., ii 8 ; ainsi l’opuscule sur l’eucharistie, Epist., iv, 107. D’autres traitent des questions de morale ou de droit canon : qu’il y a plus de mérite quand on agit par vœu, que l’entrée en religion périme les autres vœux, etc. D’autres sont de petites exhortations ascétiques, portant souvent sur un point particulier, une idée à méditer ; ou ce sont des lettres de direction, sur les tentations et la manière de s’y comporter, sur les pièges du démon et la manière de se garder ; des avis à de jeunes religieux, à des supérieurs, etc.

Beaucoup de ces lettres portent en suscription un souhait d’ordinaire en rapport avec l’idée de la lettre ou la position du destinataire : Sancti Spiritus seniper régi consilio et consolatione gaudere ; — Seniper ad melioraproficere et nunquam deficere ; — Seniper velle et facere qux Deo placent et quæ sibi expediunt, etc. Souvent ces souhaits sont, en une phrase, toute une exhortation spirituelle. On en trouve du même genre chez plusieurs des correspondants. — Les lettres à ses moines se terminent çà et là par une absolution générale. — Enfin, non seulement les mêmes pensées reviennent, mais parfois les mêmes phrases et les mêmes développements dans les mêmes termes. Comparer, par exemple, Epist., i, 2, col. 1065, avec.E^ist., i, 43, col. 1114, et avec Epist., i, 27, col. 1090. De même Epist., iii, 65, avec iv, 13. — Il est regrettable qu’on n’ait pas de table groupant les lettres d’Anselme par ordre de matières.

IV. Traits caractéristiques. —Il reste à caractériser l’homme et l’auteur, la méthode, les doctrines, la place dans le développement de la science théologique.

L l’homme et l’auteur. — Il est peu de figures si belles et si sympathiques. Il avait le don de gagner les cœurs, le don d’attirer. « Tous les gens de bien, écrivait-il lui-même, m’ont aimé qui m’ont connu… ceux-là davantage qui m’ont connu plus intimement. ».Epist., iii, 7, P. L., t. clix, col. 21. C’est pour Anselme surtout que l’on venait au Bec. « Beaucoup d’entre vous, presque tous, leur écrivait-il un jour, vous êtes venus au Bec à cause de moi. » Il n’usait de sa puissance d’attraction que pour mener à Dieu. « Vous êtes venus à cause de moi, mais pas un ne s’est fait moine à cause de moi. » Ibid., col. 23. Sa correspondance montre comment rayonnaient partout cette bonté et ce génie. Son action intellectuelle et morale était donc très puissante.

Cette puissance d’attraction s’exerce encore sur ceux qui l’approchent. Malgré les différences religieuses, philosophiques, morales, Hasse, Church, les auteurs de l’article Anselme dans la Realencyklopàdie, et dans le Diclionary of national biograpliy, ont cédé à ce charme.

Les œuvres mêmes d’Anselme en gardent quelque chose ; non seulement la correspondance qui, malgré la langue un peu factice, est si sincère de ton, si aimable, si humaine, le tout dans une atmosphère d’idéal et de sainteté ; mais aussi ses traités, même les plus austères. A quoi tient ce charme de ses écrits ? La chose vaut la peine d’être dite, même dans un dictionnaire de théologie.

C’est d’abord que, chez Anselme, l’homme apparaît partout dans l’auteur. Il est le protagoniste des dialogues. Il intervient au début de tous ses traités, pour nous dire ce qu’il a voulu faire, ou comment telle idée lui est venue et comment il a été amené à écrire ou à publier tel traité, dans quelle circonstance il l’a composé et quelle disposition il désire dans le lecteur ; il intervient à la fin pour prendre congé par un mot aimable et modeste, tout cela avec cette humilité simple et vraie qui parle de soi comme on ferait d’un autre. Là même où l’auteur n’intervient pas en personne, on le sent partout près de soi, et cette demi-présence, discrète mais attentive, soutient même dans les passages les plus difficiles.

Un second trait. Dans Anselme, il n’y a pas seulement un penseur qui écrit ; il y a un écrivain. Par un exemple trop rare, hélas ! dans le monde des Pères et des théologiens, les opuscules d’Anselme sont des morceaux soignés, on pourrait dire achevés dans leur genre. Non pas qu’Anselme ait des prétentions littéraires. Mais il est artiste et il a l’amour du beau. Il parle quelque part des belles idées que l’on aime et de la joie qu’on sent à comprendre et à regarder les mystères de la foi, Cur Deus homo, 1. I, c. i, col. 361 ; il a partout je ne sais quoi d’esthétique circulant au milieu des méditations les plus abstruses ; il aime les belles choses, et il souffre à voir un vilain tableau de Notre-Seigneur. Ibid., c. u f col. 363. Il ne peut s’accommoder du négligé, de l’a peu près ; il préfère avoir une partie d’un manuscrit bien copiée que le tout émaillé de fautes, Epist., i, 51, et l’on sait que, au Bec, il passait une partie de ses nuits à corriger des textes. On trouve partout dans ses œuvres des traces de ce soin : voyez, par exemple, sa lettre à Hugues de Lyon sur les titres du Monologion et du Proslogion. Epist., ii 17. Il a commencé par remplacer les premiers titres par quelque chose de plus court et de plus délié : Monoloquium et Proslogion. Mais Monoloquium ne lui plaît qu’à moitié — on entrevoit pourquoi — et il le remplace par Monologion, qui n’a plus rien de gauche ni pour la langue ni pour la symétrie. Voyez avec quel soin il recommande de copier ses préfaces, de grouper les en-tête à telle place, de faire suivre les opuscules dans tel ordre. Est-ce minutie ? Non. C’est instinct d’artiste.

De là aussi, c’est lui qui nous le dit, Cur Deus lwmo T 1. I, c. I, col. 362, la forme du dialogue, et jusque dans les sujets les plus arides, dans le De grammatico, par exemple, un mouvement, de petites surprises, un sourire qui égayé et anime la discussion. De là le recours continuel aux exemples. Besoin de clarté sans doute, mais aussi sentiment d’artiste et de poète ; et ainsi, tandis qu’Aristote et saint Thomas mettent leurs comparaisons en un mot, Anselme s’y arrête et les développe. Cf. De fide Trinit., c. iivi col. 280. Il aime à symboliser sa pensée dans une gracieuse image. Et d’autre part, pour lui comme pour tous les méditatifs, les choses les plus simples devenaient symboles et prenaient un sens. Un lièvre qui cherche asile aux pieds de son cheval le fait penser à une pauvre âme au moment de la mort. De similit., c. clxxxix, t. clix, col. 700. Un oiseau qu’un enfant retient par un 11 1 lui représente l’homme captif dans les liens d’une mauvaise habitude. Ibid., c. cxc, col. 701.

Ainsi, dans Anselme, le penseur est doublé d’un écrivain, sinon d’un poète, et certes son œuvre n’y perd pas.