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ABRAHAM (SACRIFICE D’)

fice d’Isaac le mystère du Sauveur et il le développe assez longuement. En résumé, Abraham représente Dieu le Père qui livre son Fils unique ; les deux esclaves qui l’accompagnent, les deux peuples, Israël et Juda le voyage durant trois jours, l’observation de la loi par ces deux peuples jusqu’au temps de Jésus-Christ ; la séparation d’Abraham et de ses serviteurs, la séparation temporaire de Dieu et d’Israël ; Isaac, le Christ. Pour Théodoret, Quæst. in Genes., q. lxxiii, P. G., t. lxxx, col. 181-184, Dieu n’a commandé à Abraham d’immoler son fils qu’en raison du caractère figuratif de l’événement. Dieu le Père a offert son Fils pour le monde. Isaac était le type de la divinité, le bélier celui de l’humanité du Sauveur. Basile de Séleucie, Orat., P. G., t. lxxxv, col. 112, met cette dernière idée dans la bouche de Dieu qui crie à Abraham : « Mon Fils unique livrera à la mort l’agneau dont il aura pris la nature. Que le glaive ne touche pas ton fds unique ; que la croix ne touche pas la divinité de mon fds unique ! Le bélier sera immolé ; la passion atteindra la chair du Verbe incarné. Que le bélier et la chair soient frappés pour que tu ne livres pas à la mort celui qui a la même nature que toi ! Périsse le bélier qui est l’image du Christ suspendu à la croix ! » Pour Théophylacte, Enarrat. in Ev. Joannis, viii, P. G., t. cxxiv, col. 37, comme pour saint Chrysostome, Abraham a vu le jour du Christ, c’est-à-dire sa croix, car il préfigurait lui-même cette croix dans l’offrande d’Isaac et l’immolation du bélier. En Jésus-Christ, la divinité n’a pas souffert, seule la nature humaine a subi la passion. Saint Éphrem, In Genesim, Opera, Rome, 1737, t. i, p. 77, a reconnu dans le bélier, attaché au buisson et substitué à Isaac, une figure de l’agneau, suspendu à la croix et mourant pour le monde entier. Si nous revenons aux écrivains de l’Église latine, nous retrouvons des enseignements analogues à ceux des Pères grecs, et suivant l’auteur du Liber de promissionibus et prædictionibus Dei, i, 17, P. L., t. li, col. 746-747, Abraham a vu la passion du Christ dans le sacrifice d’Isaac. Le patriarche représentait Dieu qui n’a pas épargné son propre Fils et ne s’est pas opposé à sa mort ; Isaac, Jésus portant le bois de son supplice ; le bélier, le Christ couronné d’épines ; Isaac survivant, le Sauveur ressuscité. D’après saint Maxime de Turin, Hom., lv, P. L., t. lvii, col. 356, le Seigneur Jésus a été offert figurativement par Abraham, lorsque ce pieux parricide a substitué à son fils unique qu’il allait immoler, le bélier embarrassé dans les épines. Aux yeux de saint Paulin de Nole, Epist., xxix, P. L., t. lxi, col. 318, la substitution du bélier à Isaac annonçait le mystère qui devait s’accomplir dans le Christ, celui-ci étant l’agneau qui devait être immolé pour le salut du monde. Saint Isidore de Séville, Allegoriæ, n. 20, P. L., t. lxxxiii, col. 104, a reconnu dans Abraham le type de Dieu le Père qui a livre son fils à l’immolation pour sauver les hommes. Raban Maur, Comment. in Genes., iii, P. L., t, cvii, col. 568-569, a développé la même idée. Abraham représente Dieu le Père ; Isaac, Jésus-Christ ; les deux esclaves, les Juifs, dont les sentiments charnels et serviles ne leur permettaient pas de comprendre l’humilité du Christ et qui ne sont pas allés au lieu du sacrifice, parce qu’ils n’entendaient rien à la passion. Ils étaient deux pour figurer les deux fractions du peuple, Israël et Juda. L’âne signifiait la folie insensée des Juifs, qui portaient les mystères sans les comprendre. Leur éloignement du lieu du sacrifice indique leur aveuglement ; ils n’y viendront qu’après que les peuples païens y auront adoré. Les trois jours du voyage représentent les trois âges du monde, avant la loi, sous la loi, sous la grâce. Le sacrifice a été accompli au troisième âge, sous la grâce. Isaac est le Christ. Pourquoi le bélier lui a-t-il été substitué ? Parce que le Christ est une brebis, l’agneau de Dieu, fils par l’origine divine, bélier par l’immolation. Le bélier, retenu par les cornes dans les épines, figurait Jésus crucifié par les Juifs et couronné d’épines. Pour saint Brunon d’Asti, Expositio in Genes., P. L., t. clxiv, col. 199, Abraham représente allégoriquement Dieu le Père ; Isaac, Jésus obéissant à son Père jusqu’à la mort de la croix ; l’autel, la croix ; le bélier, la chair du Christ. Le Christ, qui est à la fois Dieu et homme, est impassible et immortel comme Dieu ; il est passible et mortel comme homme. Sur la croix, seule la chair du Christ est crucifiée. Le bélier, dont les cornes sont embarrassées dans les épines, représente Jésus couronné d’épines. L’abbé Rupert, De Trinitate et operibus ejus, In Genes., vi, 30, 31, P. L., t. clxvii, col. 128-430, expose un peu diversement les mêmes idées. Notons seulement les particularités de l’exposition. Les deux serviteurs qui accompagnent Abraham sont les deux Testaments qui célèbrent d’un commun accord la passion de Jésus. À l’heure de la crucifixion, les Écritures se taisent pour ne pas retarder le supplice de la croix, si utile au genre humain. Le feu, c’est l’Esprit-Saint par qui le Fils de Dieu s’est offert lui-même ; le glaive, c’est non seulement la mort, mais aussi la puissance impériale. Abraham le portait, parce qu’il n’a pas été en la puissance des Juifs de faire mourir Jésus-Christ ; c’est Dieu le Père qui a fixé le lieu, le temps et le genre de mort de son Fils. Dieu a lié son Fils sur l’autel du sacrifice, non par un lien fragile, mais par le précepte de l’amour, pour qu’il n’écarte pas avec dédain le calice de la passion. Cf. Rupert, De glorificatione Trinitatis et processione S. Spiritus, v, 5, P. L., t. clxix, col. 101, et Allegoriæ in Vetus Testamentum, attribué à Hugues de Saint-Victor, ii, 7, P. L., t. clxxv, col. 617.

3o La liturgie romaine a rapproché le sacrifice d’Abraham du sacrifice eucharistique. Dans une préface du Sacramentaire léonien, P. L., t. lv, col. 148, le prêtre chantait : « Abraham a célébré la figure de l’hostie de louange que nous immolons à Dieu tous les jours. » Au canon de la messe, nous supplions le Seigneur d’agréer favorablement le sacrifice que nous lui offrons, comme il a eu pour agréables les sacrifices d’Abel, d’Abraham et de Melchisédech. À la messe du saint-sacrement, dans la prose Lauda Sion, saint Thomas nous fait chanter de l’eucharistie : In figuris præsignatur, cum Isaac immolatur.

4o L’art chrétien vient compléter le témoignage de la liturgie et des Pères et à la suite de la tradition patristique nous pouvons invoquer en faveur du caractère figuratif du sacrifice d’Abraham une tradition monumentale antique et continue. Les peintures des catacombes représentent ce sacrifice comme figure de l’eucharistie. Dans le cubiculum A3 de la première area du cimetière de Calliste, qui a été construit avant la fin du iie siècle, Abraham est peint au moment où il va immoler Isaac (fig. 2).
2. — Abraham offrant Isaac et le bélier.
Peinture du cimetière de Calliste. G. B. de Rossi, La Roma sotterranea cristiana, t. ii, tav. xvi, n. 3.
Le père et le fils sont tous deux en prière, les bras étendus vers le ciel dans l’attitude.