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ANGLICANISME

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chons pas droit, » il se dégage de celte morale anglicane un véritable épicurisme, dans lequel la religion et une bonne conscience occupent une place parmi les moyens de rendre la vie confortable. Tout ce qui mérite le nom de théologie s’était réfugié dans les rangs des non- jureurs, dont le schisme se prolongeait par l’ordination de nouveaux évêques. Leur doctrine se rapprochait de plus en plus de la doctrine catholique, surtout au sujet du sacrifice eucharistique. On peut les regarder comme les ancêtres des ritualistes de nos jours. Comme eux ils prenaient le nom de catholiques, comme eux ils cherchèrent à entrer en relation avec l’Église d’Orient. A la fin du xvni" siècle, l’apathie religieuse la plus com- plète régnait dans ce qu’on peut appeler l’anglicanisme orthodoxe : les évêques étaient pour la plupart des courtisans disposés à tout permettre plutôt que de voir troubler leur quiétude ; plusieurs même d’entre eux ■étaient ariens ; l’Église anglicane marchait à grands pas vers une ruine complète. Un peu de vie lui fut rendu par deux écoles qui s’étaient lentement dévelop- pées dans son sein, et qui, avec des principes diamétra- lement opposés, arrivaient à peu près aux mêmes con- clusions. Nous voulons parler des méthodistes et des évangéliques.

Comme les méthodistes ou wesleyens forment main- tenant une secte séparée, ils auront leur article à part ; disons seulement que méthodistes et évangéliques n’étaient d’abord que des associations religieuses des- tinées à combattre la grande licence de mœurs du xviii 8 siècle, tout en restant fidèles aux principes de l’anglicanisme. Une question de doctrine les sépara. Les métltodistes étaient pour la plupart arminiens, tandis que les évangéliques professaient le plus pur calvi- nisme. Les derniers restèrent dans l’Église anglicane, tandis que les autres s’en séparèrent. Il y avait cepen- dant beaucoup plus de sympathie pour les dissidents (anabaptistes, presbytériens, indépendants) chez les évangéliques que chez leurs rivaux ; ils étaient prêts à entrer en communion avec tous ceux qui comme eux admettaient les principes de Calvin. Leur idée de l’Église était de la sorte assez compréhensive et assez vague. Ils ne pouvaient par conséquent rendre à l’Église anglicane la vie qui lui manquait, et s’ils réussirent pour un temps •à ranimer la religion intérieure et l’amour de l’Écriture sainte, leur succès ne fut pas de très longue durée. Lorsqu’ils n’eurent plus à combattre pour conquérir leur place dans le sein de l’anglicanisme, leur zèle se refroi- dit ; on commença à s’apercevoir que leur religion, qui avait pu répondre à un besoin momentané, ce qui explique son succès, était en somme incompatible avec la nature humaine dont elle ne considérait que certains côtés, et on se lassa de les entendre prêcher l’Évangile, comme si leurs auditeurs n’en avaient jamais entendu parler. Malgré la force d’expansion qu’ils donnèrent à l’anglicanisme par la fondation des sociétés de mission- naires, malgré le service réel qu’ils ont rendu à l’huma- nité en travaillant à l’abolition de l’esclavage, car le célèbre Wilberforce était un des leurs, ils furent impuis- sants à enrayer le mouvement d’indifférence et d’irréli- gion qui menaçait d’emporter l’Église anglicane et qui effrayait même Thomas Arnold, le plus libéral des anglicans.

Vers 1830, l’Église établie subit une crise ; l’esprit démocratique et libéral faisait des progrès, et rempla- çait peu à peu l’ancien esprit de tolérance ; on prévoyait Je moment où l’appui de l’État allait manquer à l’Église, et on se demandait comment cette Église, dont on avait fait une machine politique, allait pouvoir se soutenir. Déjà, à diverses reprises, on avait vu poindre l’idée qu’elle pourrait bien être un corps capable de se soute- nir tout seul ; cependant cette idée n’avait eu aucun suc- cès, sauf chez les dissidents. Mais à l’époque dont nous parlons, le danger imminent la fit germer de nouveau,

et une association fut fondre, dont les membres pre- naient le titre d’Amis de l’Église. Le but de cette asso- ciation était de maintenir intactes les doctrines, la liturgie et la discipline de l’Église d’Angleterre. C’était l’aurore du mouvement important qui allait opérer toute une révolution dans les doctrines et les pratiques d’une par- tie au moins de l’Église anglicane : les promoteurs de l’association n’étaient autres que les chefs du mouve- ment d’Oxford.

VI. Le mouvement d’Oxford. L’anglo-catholicisme. — Le mouvement d’Oxford fut inauguré par le ser- mon de Keble, prononcé à Oxford, le 14 juillet 1833 : c’est Newman qui le dit, et nous pouvons l’en croire. Ce sermon avait pour sujet l’apostasie nationale ; il fut provoqué par la nouvelle législation qui admettait au Parlement des membres de toutes les religions, et con- fiait ainsi le gouvernement suprême de l’Église anglicane à des gens qui n’en faisaient point partie. Il était bien clair que l’Église avait perdu son influence sur la nation, autrement pareille mesure n’eût jamais été votée. Il était urgent de se mettre à l’œuvre pour rendre à l’Église la vie qu’elle avait perdue, afin qu’elle redevint capable de donner au peuple la nourriture spirituelle qu’il lui demandait en vain. Newman, appuyé par Keble et Froude, auxquels se joignit bientôt le célèbre Pusey, commença en 1834 à publier les Tracts for the Unies, qui à l’origine étaient de simples feuilles destinées à répandre la bonne doctrine, et qui bientôt se dévelop- pèrent jusqu’à devenir des brochures parfois assez con- sidérables. Le but précis en est indiqué dans la préface qui les présente au public. Il est un certain nombre de doctrines qui sont essentielles dans l’Église. Les pre- miers anglicans les avaient conservées, et elles for- maient le fonds de l’enseignement des théologiens du xvii e siècle. Malheureusement on avait cessé d’y croire, ou de les enseigner au peuple lorsqu’on y croyait, de sorte que ceux qui ne pouvaient se contenter de la doc- trine sèche prêchée dans les chaires de l’Église établie se tournaient ou vers le méthodisme, fondé sur le sen- timent, sur l’enthousiasme, ou vers le papisme, qui avait conservé ces points de doctrine essentiels. Le seul moyen de retenir ces âmes inquiètes dans le sein de l’Église anglicane était de montrer que ces doctrines indispensables étaient les siennes. On s’attacha donc à prouver que l’Église avait une constitution établie par Jésus-Christ et transmise depuis les npôtres par une continuité non interrompue, que la grâce se trouvait attachée non à la prédication, mais aux sacrements ; on admettait aussi le sacrifice eucharistique dans un cer- tain sens. De plus les pratiques en usage dans l’Église depuis l’origine, comme la célébration des fêtes, le jeûne, tous les exercices de pénitence, étaient recom- mandées, et on mettait entre les mains des lecteurs anglais le bréviaire, « afin de reprendre ce qui avait été volé par les adversaires. »

Un tel enseignement développé à loisir ressemblait considérablement à celui de l’Église romaine, et attira naturellement sur les auteurs des Tracts l’accusation de conduire l’Angleterre vers le papisme. Ils s’en défen- dirent énergiquement, mais ils étaient obligés de recon- naître que le système préconisé dans les Tracts était en fait celui de l’Église romaine ; seulement ils préten- daient ramener ces points essentiels à la pratique de la primitive Église, en les débarrassant des corruptions dont ils avaient été entourés au moyen âge. Évangé- liques et latitudinariens s’unirent pour les attaquer, et pour les appeler idolâtres, parce qu’ils mettaient « l’É- glise du Christ, et les sacrements du Christ, et les ministres du Christ à la place du Christ lui-même ».

Que pensait de tout ceci l’Église anglicane ? Il est difficile de le savoir, cette Église n’ayant pas d’organe officiel qui puisse dire quelle est sa doctrine. La plupart des évêques regardaient ce mouvement avec défiance,