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ANGLICANISME

Henri VIII en mourant avait recommandé d’élever son fils dans la religion catholique. Ses exécuteurs testamentaires avaient juré jusqu’à douze fois de remplir fidèlement les dernières volontés de leur maître ; mais à peine le roi était-il mort, qu’ils s’empressèrent de violer leurs serments. Ils s’entendirent pour mettre à leur tête, avec le titre de protecteur, Édouard Seymour, oncle du jeune roi, qui commença par se créer duc de Somerset, puis se mit en devoir de protestantiser le royaume. Cranmer, qui avait dû se plier à la volonté de Henri VIII, put alors jeter le masque et travailler avec ardeur à la cause qui lui était chère. On s’étonne à première vue de voir un temps si considérable s’écouler entre l’avènement d’Édouard VI et la publication des formulaires anglicans, car le Prayer book ne parut qu’en 1549, et les articles seulement en 1553. Mais il faut se rappeler que Cranmer n’était pas absolument libre de faire tout ce qu’il voulait. D’un côté le parti réactionnaire était très fort, puisque sir William Paget pouvait écrire en 1549, dans une note confidentielle au protecteur, que « l’exercice de l’ancienne religion était défendu par la loi, mais que la nouvelle n’était pas encore fixée dans les estomacs (sic) de onze parties sur douze du royaume ». D’un autre côté l’archevêque craignait, en allant trop loin, de lâcher la bride aux anabaptistes qui se faisaient remarquer par leurs violences et leurs extravagances. Il faut ajouter que la division existait déjà dans le parti même de Cranmer, où des germes de puritanisme se montraient avec Hooper, évêque de Gloucester. Tout ceci nécessitait beaucoup de prudence, mais Cranmer était habile : il savait n’avancer que pas à pas, et il n’avait aucune difficulté à reculer quand il le croyait nécessaire. Dans la cérémonie du couronnement, où il mêla étrangement le catholicisme et le protestantisme, il adjura le jeune roi de supprimer l’idolâtrie, et de renverser la tyrannie de l’évêque de Rome. Ce fut sans doute à son instigation qu’un décret du conseil ordonna aux évêques de recevoir de nouveau leurs commissions comme fonctionnaires ; Cranmer le fit aussitôt et reçut du roi ses nouveaux pouvoirs d’archevêque.

Trois moyens principaux furent employés pour établir le protestantisme en Angleterre : la chaire, la liturgie et la presse. La parole de Dieu était liée à cette époque : ne pouvaient prêcher que ceux qui en avaient reçu licence du pouvoir civil, de sorte que la chaire était purement et simplement l’organe de la volonté du gouvernement. Prêcher en faveur du carême, des images, de la messe, des sacrements, était puni par l’emprisonnement. Quant aux prédicateurs gouvernementaux, leur succès fut assuré par l’interdiction de prêcher que reçut le clergé paroissial. Ils se donnèrent libre carrière pour attaquer et couvrir d’outrages l’ancienne doctrine ; leur audace alla même si loin, que la crainte d’une rébellion en Irlande et d’une guerre avec l’Écosse força le gouvernement à les modérer. On essaya alors des moyens moins irritants. Le roi nomma des commissaires pour visiter l’Église en son nom, afin de bien pénétrer tous ses sujets de leur dépendance et de l’absolue impossibilité où ils étaient de résister aux mesures prises par l’autorité royale. Un certain nombre de cérémonies furent supprimées, et un grand pas fut fait dans la voie du protestantisme par l’introduction de lectures de la Bible en langue vulgaire, matin et soir, et l’importance extraordinaire donnée au sermon au préjudice de l’office divin.

Le 4 novembre, un parlement s’assemblait à Westminster, élu sous la pression du gouvernement. Le jour de l’ouverture, à la messe qui fut célébrée à l’abbaye, le Gloria in excelsis, le Credo et l’Agnus furent chantés en anglais : c’était le prélude des changements considérables qui allaient s’introduire dans la liturgie. Le premier soin de ce parlement fut d’ordonner que le roi aurait l’usage de toutes les terres d’église, et nommerait les évêques sans que les chapitres eussent à faire une élection. Les six articles de Henri VIII furent repoussés, et la communion sous les deux espèces imposée. On peut dire que ce dernier point donna à Cranmer le moyen d’effectuer les réformes qu’il méditait depuis longtemps. On publia d’abord un petit livre intitulé Ordre pour la communion, rendu nécessaire pour le rétablissement de la communion sous les deux espèces. Ce livre laissait intacte la messe latine, célébrée jusqu’alors, et si certaines expressions comme pain et vin, employées pour désigner la sainte eucharistie, laissaient percer l’esprit d’innovation, on peut dire qu’en général il ne contenait rien de bien contraire à l’ancienne doctrine. Mais ce n’était là qu’un rite provisoire, ainsi que la rubrique le disait : le but des novateurs était de supprimer la messe, pour la remplacer par la cène, et s’ils ne le firent pas dès le commencement, c’est qu’ils avaient peur de se heurter contre l’attachement du peuple à l’ancienne religion. Il fallait préparer l’opinion. Les prédicateurs prêchaient contre la messe et la présence réelle ; dans beaucoup d’églises on commençait à célébrer les offices en anglais, et à ne plus dire de messes sans que quelques personnes y reçussent la communion ; en même temps un torrent de brochures se répandit sur l’Angleterre, composées en anglais ou traduites de l’allemand, qui versaient l’injure et l’outrage sur ce que jusque-là on avait regardé comme le rite le plus sacré de la religion. Pendant ce temps Cranmer préludait à la nouvelle liturgie par la traduction d’un catéchisme de Luther, où il trouvait moyen de faire passer la doctrine de Calvin sur l’eucharistie pour celle de l’hérésiarque allemand. Il se montra décidément calviniste dans le débat qui eut lieu sur l’eucharistie au parlement de 1548 ; il y fit ainsi sa profession de foi : « Je crois que le Christ est mangé par le cœur. Les bons seulement peuvent manger le corps du Christ. Quand les méchants mangent le pain et le vin du sacrement, ils ne reçoivent ni ne mangent le corps du Christ. Le Christ donna à ses disciples du pain et du vin, qu’il appela son corps en disant : Hoc est corpus meum. » Dans ce même parlement fut imposé le Book of common prayer, destiné à remplacer tous les anciens livres liturgiques, et à établir l’uniformité de rite dans tout le royaume. Nous n’avons à nous occuper de ce livre qu’au point de vue doctrinal : ce qu’il enseigne sur l’eucharistie, on peut le supposer d’après le Credo de Cranmer donné plus haut ; les évêques à qui il fut soumis afin d’en obtenir un semblant d’approbation, ne consentirent à le signer qu’en faisant leurs réserves sur la doctrine de l’archevêque de Cantorbéry ; et après qu’ils eurent signé, le livre fut encore modifié, on devine facilement dans quel sens. L’office pour la communion qui se trouve dans ce Payer book est à peu près semblable à l’ancienne messe jusqu’au Credo ; mais ensuite il renferme des différences considérables qui le font rentrer dans la même famille que la messe latine de Luther publiée en 1523. Les suppressions surtout sont significatives au point de vue doctrinal ; ainsi, plus d’offertoire, et dans la prière de consécration qui s’inspire de l’ancien canon latin, toute allusion au sacrifice est soigneusement repoussée. A première vue, cet office semble en retard sur les opinions calvinistes professées par Cranmer à cette époque : peut-être craignait-il encore de les afficher trop ouvertement dans un livre destiné à être répandu dans le peuple et à devenir pour ainsi dire le vade mecum de tous les fidèles. On y voit cependant un passage pleinement calviniste, comme Cranmer lui-même le faisait remarquer en 1551, lorque Gardiner cherchait à interpréter le Prayer book dans le sens catholique ; ce passage est celui qui précède immédiatement Qui pridie quam pateretur. Le canon latin porte ces mots : ut nobis corpus et sauguis fiat Domini Nostri Jesu Christi. Cranmer supprima fiat, et il expliquait ainsi cette suppression : « Dans le livre de la sainte communion, nous ne deman-