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ABRAHAM (SACRIFICE D’)

d’Israël les lois de l’évolution naturelle, prétendent que les Israélites étaient primitivement polythéistes et offraient des victimes humaines à Jahvé, leur dieu national, comme leurs contemporains, Sémites ou Chananéens, en offraient à leurs fausses divinités. La plupart des peuples avec lesquels Abraham fut en relations, croyaient en effet honorer leurs dieux et se les rendre propices en leur immolant des hommes faits ou des enfants. Pour la Babylonie et l’Assyrie, le fait est controversé. Cependant des pierres gravées (fig. 1), servant
1. — Sacrifice humain.
Cylindre babylonien. J. Menant, Recherches sur la glyptique orientale, t. i, p. 151.
de cachet ou d’amulette, de date fort ancienne et de provenance babylonienne ou chaldéenne, paraissent représenter des sacrifices humains. Voir G.-J. Ball, Glimpses of Babylonian Religion, I. Human sacrifices, dans les Proceedings of the Society of biblical Archæology, février 1892, t. xiv, p. 119-153. D’autre part, les habitants de Sepharvaim jetaient leurs enfants dans le feu en l’honneur d’Adramelech et d’Anamelech, leurs dieux. IV Reg., xvii, 31. Cf. Lenormant-Babelon, Histoire ancienne de l’Orient, 9e édit., Paris, 1887, t. v, p. 307-308. Chez les tribus chananéennes, le fait est incontestable. Les Phéniciens et les Carthaginois sont renommés pour les horribles sacrifices qu’ils offraient à leurs Baalim. Lenormant-Babelon, op. cit., Paris, 1888, t. vi, p. 577-578, 657-658 ; G. Maspero, Histoire ancienne des peuples de l’Orient, 5e édit., Paris, 1893, p. 341-343. Alésa, roi des Moabites, immola son fils aine sur la muraille afin d’obtenir la victoire. IV Reg., iii, 27. Cf. Sap., xii, 5. Dieu avait défendu aux Israélites d’offrir à Moloch des victimes humaines. Lev., xviii, 21 ; xx, 2-5. Ils n’observèrent pas toujours cette défense et imitèrent les cruels exemples des peuples, leurs voisins. IV Reg., xvi, 3 ; Ps. cv, 37-38 ; 1er., xxxii, 35 ; Ezech., xxiii, 37. Pour démontrer que ces sacrifices humains n’étaient pas en Israël des transgressions isolées et passagères de la loi divine qui n’était pas encore promulguée, mais bien des actes de culte régulièrement pratiqués et autorisés, les rationalistes en appellent au récit du sacrifice d’Abraham, rapporté dans la Genèse, xxii, 1-14. Selon Renan, Histoire du peuple d’Israël, Paris, 1887, t. i, p. 75-76, 92-93, 121, la légende représentait Abraham comme un père pacifique et humain ; elle racontait comment, ayant eu le devoir de sacrifier son fils premier-né, il lui avait substitué un chevreau, et elle montrait ainsi que les Israélites n’avaient pas été plus exempts que leurs congénères du rite odieux des sacrifices humains. Cf. Maspero, Hist. anc. des peuples de l’Orient, p. 345, note 2. Tout en maintenant au récit biblique son caractère historique, on n’y trouve pas une preuve de l’existence des sacrifices humains en l’honneur de Jéhovah. Dieu sans doute, en vertu de son droit souverain de vie et de mort, demande qu’Isaac soit immolé, mais selon l’expression du texte sacré, Gen., xxii, 1, c’est pour tenter Abraham et mettre a l’épreuve son obéissance et sa foi. L’événement, du reste, montre bien que Dieu n’exigeait pas une immolation réelle d’Isaac, puisqu’il s’y opposa Il se contenta de l’obéissance d’Abraham. L’oblation d’Isaac ne fut donc pas un sacrifice humain, mais seulement une épreuve pour Abraham. Glaire, Les Livres saints vengés, Paris, 1845, t. i, p. 163-464 ; Vigouroux, La Bible et les découvertes modernes, 6e édit., Paris, 1896, t. iv, p. 498-499.

2o  Même en commandant d’immoler Isaac, Dieu n’approuve pas la coutume barbare des païens qui sacrifiaient leurs enfants aux fausses divinités, et il ne montre pas que de pareils sacrifices, offerts en son honneur, lui seraient agréables. Si, en effet, un sacrifice humain devait lui être agréable, ce ne pouvait être que celui que lui faisait un homme selon son cœur tel qu’Abraham. Or il intervient miraculeusement pour arrêter la main du sacrificateur, prête à frapper. Gen., xxii, 10-12. S. Ambroise, De virginitate, 2, ii. 6, P. L., t. xvi,, col. 267 ; F. de Hummelauer, Comment, in Genesim, Paris, 1895, p. 434. Sa volonté de ne pas se tenir honoré par l’immolation de victimes humaines, se manifestera plus tard par une loi formelle qui interdira aux descendants d’Abraham d’imiter les nations païennes et de lui offrir de pareils sacrifices. Deut., xii, 31. Cependant Dieu, qui est l’auteur de la vie et de la mort, I Reg., ii, 6, a légitimement permis à Abraham d’immoler Isaac, son fils innocent ; il a usé volontairement de son droit absolu de vie et de mort, Sap., xvi, 13, et l’ordre qu’il a donné n’a pas violé la justice. S. Thomas, Sum, theol., IIa IIæ, q. civ, a. 4, ad 2um. En obéissant au précepte divin, Abraham de son côté, n’a pas commis d’injustice et on ne peut pac dire qu’il a été homicide dans sa volonté. Id., ibid., Ia IIæ, q. xciv, a. 5, ad 2um ; q. c, a. 8, ad 3um. Du commandement donné par Dieu à Abraham d’immoler Isaac, il faut cependant conclure que l’immoralité des sacrifices humains n’est pas une immoralité intrinsèque et absolue, qui ne souffre pas d’exception ni de dispense ; car autrement Dieu qui a ordonné au patriarche l’immolation de son fils l’aurait excité et poussé au péché, ce qui répugne absolument à sa sainteté. F. de llummelauer, Comment, in libros Judicum et Ruth, Paris, 1888, p. 222 ; P. Dornstetter, Abraham, p. 51-67.

II. Raisons providentielles du sacrifice d’Abraham.

1o  Dieu a voulu éprouver la foi et l’obéissance d’Abraham.

Le récit mosaïque, Gen., xxii, 1, nous apprend et saint Paul, Heb., xi, 17, répète que le Seigneur tenta son fidèle serviteur, lorsqu’il lui donna l’ordre en apparence cruel d’immoler son fils. Si le Seigneur le lui imposa, ce n’était pas pour s’assurer de sa fidèlité qui lui était connue, mais c’était pour lui fournir l’occasion de la manifester, d’acquérir les mérites attachés à un acte héroïque d’obéissance et de devenir un modèle accompli de la foi la plus vive et de la soumission la plus parfaite à la volonté divine. Les saints Pères ont admiré et loué, en termes éloquents, la vertu d’Abraham. S. Clément de Rome, I Cor., x, 7 ; Funk, Opera Patrum apostolicorum, 2e édit., Tubingue, 1887, t. i, p. 74 ; Origène, In Gen., homil. viii, P. G., t. xii, col. 203-208 ; S. Ambroise, Epist., lviii, n. 14, P. L., t. xvi, col. 1181 ; De excessu fratris sui Satyri, ii, n. 97, col. 1343 ; De officiis, i, n. 118-119, col. 5859 ; De virginitate, 2, n. 9, col. 268 ; S. Augustin, Serm., ii, P. L., t. xxxviii, col. 26-30 ; S. Pierre Chrysologue, Serm., x, P. L., t. lii, col. 216-217 ; S. Grégoire de Nysse, De deilale Filii et Spiritus Sancti, P. G., t. xlvi, col. 568-573 ; S. Jean Chrysostome, De b. Abraham, P. G., t. l, col. 738-739 ; Hom., xlviii, in Genesim. , P. G., t. liv, col. 429-432 ; S. Cyrille d’Alexandrie, Glaphyr, in Gen., iii, P. G., t. lxix, col. 144-145 ; Théodoret, Quæst. in Gen., q. lxxiii, P. G., t. lxxx, col. 181 ; Basile de Séleucie, Orat., vii, P. G., t. lxxxv, col. 101-111 ; Rupert, De Trinitate et operibus ejus, In Genes., vi, 28, P. L., t. clxvii, col. 426-427 ; Raban Maur, Comment, in Gen., iii, 3, P. L., t.cvii, col. 566-567 ; Adam Scot, Serm., xxxi, n. 9, P. L., t. cxcviii, col. 289. Les rabbins ont admiré