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ANGE PARMI LES AVERROISTES LATINS

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d’ordres subordonnés : les intelligences supérieures éclairent et gouvernent les intelligences inférieures. A leur tête est la première intelligence séparée, qu’Averroès distingue de Dieu ; de cette intelligence émanent des intelligences inférieures, qui président à la marche circulaire des sphères célestes, ou qui sont l’âme des astres ; au dernier degré de cette échelle se trouve l’intellect actif qui s’unit à l’intellect passif de tous les hommes et qui est en même temps le moteur de la lune.

Renan, Averroès et l’averroisme, Paris, 1852, I" part., c. il, n.4, 8, p. 88 sq., 115 sq. ; de Wulff, Histoire de la pliilosophie médiévale, n. 245, Louvain, 1900, p. 232.

II. AnGÉLOLOGIE DES AVERROÏSTES LATINS AU XIIIe SIÈCLE.

— i. Condamnations de l’averroisme au xiiie siècle.

— L’averroisme eut d’assez nombreux partisans à l’université de Paris dans la seconde moitié du xiiie siècle. Il exerçait surtout son influence à la faculté des arts et ses principaux représentants étaient Siger de Brabant et Boèce de Dacie. Albert le Grand et saint Thomas d’Aquin les combattirent et écrivirent contre eux des traités spéciaux. Cependant l’augustinisme, qui avait régné sans conteste à l’université jusqu’à la venue de ces deux illustres maîtres, se montrait défiant vis-à-vis de leur péripatétisme chrétien, comme vis-à-vis du péripatétisme des averroïstes. Aussi lorsque des condamnations durent être portées contre les averroïstes, ne s’inquiéta-t-on point d’examiner si elles ne frappaient pasen même temps certaines propositions de Thomas d’Aquin. Voir Mandonnet, Siger de Brabant et l’averroisme latin au xme siècle, in-4o, Fribourg (Suisse), 1899. Mais il faut reconnaître que, si les thèses du docteur angélique étaient orthodoxes, les doctrines averroïstes professées à cette époque à Paris étaient inconciliables avec la foi chrétienne.

En 1270, l’évêque de Paris, Etienne Tempier, avait eu le projet de porter l’ana thème contre quinze propositions, dont treize exprimaient les doctrines fondamentales de l’averroisme, et dont les deux autres formulaient la doctrine de saint Thomas sur l’identité du corps du Christ dans le tombeau, et aussi, bien que vaguement, sur l’absence de composition dans les anges et dans l’âme. Mandonnet, ibid., p. cxxiv, 35. Mais il ne condamna que les treize propositions averroïstes, parmi lesquelles aucune ne se rapportait aux anges. Du Plessis d’Argentré, Colleclio judiciorum, Paris, 1728, t. i, p. 173, 188 ; Denifle, Charlularium Universitalis parisiensis, Paris, 1889, t. i, p. 487. L’averroisme n’en continua pas moins à être enseigné à Paris. Aussi, quelques années plus tard, le 18 janvier 1277, le pape Jean XXI écrivait à Etienne Tempier de faire une enquête sur ces erreurs et de lui envoyer un rapport à ce sujet. Mandonnet, ibid., p. ccxxvi ; Denifle, Charlularium Universilatis parisiensis, Paris, 1889, t. i, p. 541 ; du Plessis d’Argentré, Colleclio, t. i, p. 175. L’évêque de Paris ne se contenta point de faire une enquête ; le 7 mars 1277, il porta lui-même condamnation contre 219 propositions diverses, que les manuscrits attribuent principalement aux averroïstes Siger de Brabant et Boèce de Dacie, mais dont quelques-unes avaient été enseignées aussi par saint Thomas d’Aquin. On trouvera ces propositions dans du Plessis d’Argentré, Colleclio judiciorum, t.i, p. 177 sq., et, sous une forme meilleure, dans Denifle, Cliartularium Universitatis parisiensis, t. i, p. 543. Cette condamnation outrepassait-elle le droit d’Etienne Tempier, et devait-il s’en abstenir du moment que la cause avait été évoquée par le pape à son tribunal ? Le P. Mandonnet le pense. En tout cas, lorsque saint Thomas fut canonisé, cette condamnation fut rapportée par l’évêque de Paris, le 14 février 1325, en tant qu’elle aurait atteint le nouveau saint. Mandonnet, op. cit., p. Ccliv ; Charlularium Universilatis parisiensis, t. il, p. 280. Ce qui suppose que la condamnation était regardée comme valide

et qu’elle devait garder force de loi pour tout ce qui ne touchait point à la doctrine de saint Thomas d’Aquin. La même année, le dominicain Bobert Kelwardby, archevêque de Cantorbéry, condamna aussi diverses propositions des averroïstes et de saint Thomas d’Aquin ; mais aucune d’elles ne se rapportait aux anges.

2. Ses traits caractéristiques.

Deux traits importants caractérisaient l’averroisme du xiiie siècle. Siger de Brabant affirmait la communauté pour tous les hommes, non pas de l’intellect agent, mais de toute l’âme intellective. Mandonnet, op. cit., p. clxxxv, 92 sq. C’est pourquoi sans doute saint Thomas prête aux averroïstes d’avoir soutenu cette communauté non pour l’intellect agent, mais pour l’intellect possible qu’ils appelaient matériel. Opusc. xv, De unilate intellectus contra averroislas, c. i, dans Opéra, Paris, 1875, t. xxvii, p. 311. Les averroïstes soutenaient encore que ce qui e.U vrai, selon la philosophie, peut n’être point vrai selon la foi catholique. Mandonnet, op. cit., p. clxvii sq. ; Denifle, Charlularium Universilatis parisiensis, t. I, p. 513. Ils n’admettaient donc d’autres preuves que celles que fournissaient les philosophes, et c’est pourquoi saint Thomas n’en invoque point d’autres dans l’opuscule qu’il écrivit contre eux. Cette assertion étrange resta la note caractéristique de l’averroisme durant le moyen âge, avec la doctrine de l’unité de l’entendement.

3. Angélologie des averroïstes du xiiie siècle. — Les ouvrages imprimés de Siger de Brabant professent, à l’occasion, les théories condamnées en 1277 sur les intelligences séparées. Mandonnet, op. cit., p. clxxvii sq. Il en est sans doute de même des écrits encore manuscrits de Boèce de Dacie. Nous trouvons aussi quelques renseignements concordants dans les traités écrits directement contre les averroïstes par Albert le Grand, De unilate intellectus contra Averroem, surtout c. i, H, Opéra, t. ix, p. 437 sq., Paris, 1891, ou par saint Thomas d’Aquin, opusc. xv (al. xvi), De unitate intellectus contra averroïstas, dans Opéra, t. xxvii, p. 311, Paris, 1875. Cf. ibid., opusc. xiv (al. xvi), De substantiis separatis seu de angelorum natura, p. 273, dans lequel cependant la doctrine des averroïstes n’est pas signalée. Mais leurs erreurs sur l’angélologie ne sont nulle part aussi complètement exposées que dans les propositions condamnées en 1277. Comme ces propositions forment d’ailleurs un tout assez homogène, nous pouvons les regarder toutes comme appartenant à leur système, au moins tel qu’il était formulé par les divers représentants de l’averroisme pris ensemble. Il est d’ailleurs possible que quelques-unes de ces erreurs aient été exprimées dans leur enseignement oral sans avoir été formulées dans aucun de leurs écrits ; car saint Thomas leur reproche de ne pas oser écrire leur doctrine, mais de la répandre dans les coins et devant des enfants incapables de juger des choses difficiles, non loquatur in angulis, nec coram pueris qui nesciunt de causis arduis judicare, sed contra hoc scriptum scribat si audet. Ibid., c. vii, in fine, p. 335.

Voici le résumé de cette doctrine. Les intelligences séparées étant sans matière sont par là même éternelles, prop. 71, 72, 80 ; immuables, prop. 69, 71 ; infinies, prop. 86 ; uniques chacune dans son espèce, prop. 81, cꝟ. 96 (cette proposition avait été aussi enseignée par saint Thomas d’Aquin. Sum. theol., I a, q. L, a. 4). Toutes leurs aspirations sont satisfaites, prop. 78 ; leur science est complète de toute éternité, prop. 76, 82 ; elles sont leur propre essence, prop. 79 ; leur science ne diffère pas de leur substance, prop. 85. Elles n’ont pas été produites par une cause efficiente ; mais sont conservées dans l’existence par Dieu et les intelligences supérieures qui sont leur cause finale, prop. 70. Parmi ces intelligences, il y en a de supérieures en effet, et à leur tête une intelligence première, prop. 53, et d’inférieures, prop. 82, 112. Elles mettent les corps en mouvement et à ce titre peuvent être appelées des formes. Mandonnet, op. cit.,