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ABRAHAM (VOCATION D’) — ABRAHAM (SACRIFICE D’)

il choisit pour être la souche fie ce peuple d’élite un homme qui fût fidèle et qui méritât de devenir le père des croyants. Mais il fallait soustraire cet ancêtre de la nation sainte aux funestes influences de l’exemple, aux séductions qu’il aurait rencontrées dans sa patrie et même dans le sein de sa famille. Dieu isola donc Abraham et lui ordonna de quitter la Chaldée et la maison de son père. Saint Ambroise, Epist., l, n.5, P. L., t. xvi, col. 1156, avait bien compris que c’était à cause de la superstition des Chaldéens qu’Abraham était venu au pays de Chanaan. Les anciens documents de la Chaldée, qui ont été en partie déchiffrés de nos jours, nous ont renseignés sur l’état religieux de ce pays à l’époque d’Abraham. La contrée était habitée simultanément par des Chamites et des Sémites, qui étaient polythéistes. Les Chamites étaient les premiers possesseurs du sol. La plupart des textes qui proviennent d’eux et qui sont rédigés en suméroaccadien, sont des textes religieux, des dédicaces ou inscriptions votives à leurs dieux. La lecture des noms divins qu’ils contiennent est encore très incertaine, sinon au point de vue du sens, du moins pour la prononciation. Les dieux des premiers Chaldéens ont été identifiés plus tard avec ceux des Sémites qui occupèrent le pays et soumirent à leur domination les habitants primitifs. Ainsi, Ana est devenu l’Anu assyrien, l’esprit du ciel ; En-lil-a, ou Mul-lil-a, l’esprit du monde, est Bel l’ancien ; En-Ki-a ou Ea est l’esprit des abîmes de la terre. De ces dieux et de leurs épouses sont issus beaucoup d’autres ; les plus célèbres sont En-Zu, fils de En-lil-a, qui devint le Sin des Sémites, ou dieu-lune ; Nina ou Nana, fille d’Ea, identifiée avec Istar-Vénus ; Nin-Girsu, confondu avec Nergal ou avec Adar ; Babar, rapproché du Samas sémitique, le dieu soleil, fils de la lune, etc. Les Chaldéens adoraient donc les astres et les esprits des éléments de l’univers. Chaque ville avait généralement un dieu particulier, dont le culte n’excluait pas celui des autres dieux. Ibr adorait spécialement En-Zu ; Tell-Loh, Nin-Girsu et son épouse Bau ; Arach, la déesse Nana. E. Pannier, Chaldée, dans le Dictionnaire de la Bible de M. Vigouroux, t. ii, col. 508 ; Assyrie, ibid., t. i, col. 1153-1158. Cf. F. Lenormant, Les origines de l’histoire, 2e édit., Paris, 1880, t. i, p. 523-529 ; Histoire ancienne de l’Orient, 9e édit., Paris, 1887, t. v, p. 227-312 ; G. Maspero, Histoire ancienne des peuples de l’Orient, 5e édit., Paris, 1893, p. 135-142. La famille elle-même d’Abraham partageait les erreurs des tribus sémitiques auxquelles elle se rattachait par l’origine, et sans avoir complètement abandonné le culte du vrai Dieu, elle était atteinte par l’idolâtrie. Jéhovah nous l’apprend par la bouche de Josué : « À l’origine, vos ancêtres et, en particulier, Tharé, père d’Abraham et de Nachor, ont habité au delà de l’Euphrate, et ils servaient des dieux étrangers. Alors, je pris votre père Abraham et je le fis passer dans la terre de Chanaan. » Josué, xxiv, 2, 3. On a découvert à Mughéir les ruines d’un temple élevé au dieu Sin et plus ancien qu’Abraham. C’est là sans doute que Tharé et les autres ancêtres des Hébreux ont commis les actes idolâtriques que leur reprochait Josué. F. Vigouroux, La Bible et les découvertes modernes, 6e édit., t. i, p. 431-438. De son côté, Achior fournit à Holoferne les renseignements suivants sur le peuple juif : « Ce peuple est de race chaldéenne. Il habita d’abord en Mésopotamie, parce qu’ils ne voulurent pas honorer les dieux de leurs pères qui étaient au pays des Chaldéens. Abandonnant donc les cérémonies de leurs pères, qui reconnaissaient une multitude de dieux, ils honorèrent l’unique Dieu du ciel, qui leur commanda de partir et d’aller à Haran. » Judith, v, 6-9. Tout en reconnaissant le Dieu d’Abraham, Gen., xxiv, 50, 51 ; xxxi, 29, 42, Laban, fils de Nachor, avait des teraphims que Bachel lui ravit. Gen., xxxi, 19, 30, 35. Jéhovah arracha donc Abraham à la maison paternelle, afin de le préserver de l’idolâtrie qui avait déjà pénétré parmi les siens. Une fable rabbinique, rapportée par les Targums du pseudo-Jonathan et de Jérusalem, prétend même qu’Abraham, pour avoir refusé de rendre les honneurs divins au feu que les Chaldéens adoraient, fut jeté dans une fournaise ardente aux flammes de laquelle il échappa miraculeusement, tandis que son frère Aran y périt. Saint Jérôme, Quæst. hebraic. in Gen., q. xi, xii, P. L., t. xxiii, col. 950, 957, et saint Augustin, De civitate Dei, VI, xv, n. 1, P. L.,t. xii, col. 495, ont connu cette faille. Saint Ephrem, Opéra syr., t.i, p. 146-157, et Jacques d’Edesse, 'Scholia en passage of the old Testament, Londres, 1864, p. 7, racontent qu’Abraham, étant jeune encore, mit le feu au temple où les Chaldéens adoraient l’idole Caïnan ; qu’Aran accourut pour sauver des flammes l’idole, mais fut dévoré lui-même par le feu, que les Chaldéens demandèrent la mort de l’incendiaire et que Tharé dut fuir avec ses enfants. P. Dornstetter,Abraham, Fribourg, 1902, p. 7-14.

2o  Raison politique.

F. Lenormant, Hist. anc. de l’Orient, 9e édit., t. vi, p. 143, pense qu’on pourrait rattacher l’émigration de Tharé et d’Abraham à la conquête élamite qui vint, vers l’an 2250 avant Jésus-Christ, peser sur tout le bassin de l’Euphrate et du Tigre, et dont l’expédition de Chodorlahomor en Palestine ne fut qu’un épisode. Si l’invasion de la Chaldée par une tribu étrangère ne fut pas le motif déterminant du départ d’Abraham, elle put en être au moins la cause occasionnelle. Dieu en profita pour ordonner à Abraham de partir et justifier ainsi, aux yeux des contemporains, une émigration dont les véritables motifs étaient cachés.

3o  Raison mystique.

Plusieurs Pères ont vu dans l’émigration d’Abraham une figure de l’Incarnation ou un sujet d’enseignement moral. Saint Irenée, Cont. hær., IV, iii, n. 3, 4, P. G., t. vii, col. 985-986, assure qu’en abandonnant tous ses parents de la terre, Abraham suivait le Verbe de Dieu, voyageait avec le Verbe pour demeurer avec le Verbe. De même les apôtres, laissant leur barque et leur père, suivaient le Verbe de Dieu. Nous aussi qui avons reçu la même foi qu’Abraham, nous suivons le Verbe, car l’humanité avait appris et s’était accoutumée avec Abraham à suivre le Verbe. Pour saint Augustin, Cont. Faustum, xii, 25, P. L., t. xlii, col. 267, c’est le Christ qui sort avec Abraham de son pays et de la maison paternelle pour s’enrichir chez les étrangers, le Christ qui, ayant abandonné la terre et la famille des Juifs dans laquelle il avait pris naissance, est si grand et si puissant au milieu des gentils. Raban Maur, Comment, in Genes., ii, 12, P. L., t. cvii, col. 533, reproduit textuellement les paroles de saint Augustin. D’après saint Paschase Radbert, Exposit. in Matth., i, 1, P. L., t. cxx, col. 81, Dieu a séparé de ses compatriotes et de ses parents Abraham, le chef du peuple hébreu, pour prophétiser et annoncer d’autant plus clairement que le Christ naîtrait de sa race. Saint Justin, Dialog. cum Tryphone, n. 119, P. G., t. vi, col. 753, pensait qu’en même temps qu’Abraham le Christ nous appelait à changer de genre de vie et à quitter les mœurs du siècle pour mériter l’héritage céleste. L’auteur du Liber de promissionibus et prœdicliotiibus Dei, i, 10, P. G., t. li, col. 742-743, donne la même leçon et dit que, si nous imitons la foi d’Abraham, nous aurons part à son héritage. Le cardinal Meignan, De l’Éden à Moïse, p. 313, a signalé l’analogie saisissante qui existe entre la vocation d’Abraham et celle des âmes appelées à la perfection religieuse.

E.Mangenot.


II. ABRAHAM (Sacrifice d’).

Nous comparerons le sacrifice d’Isaac par Abraham aux sacrifices humains offerts aux fausses divinités dans les religions anciennes ; puis, nous en exposerons les raisons providentielles.

I. Le sacrifice d’Abraham et les sacrifices humains dans les religions anciennes.

1o  Le récit biblique de ce sacrifice ne suppose pas l’existence chez les Juifs de la pratique monstrueuse des sacrifices humains. Les critiques rationalistes qui appliquent à la religion