Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 1.djvu/643

Cette page n’a pas encore été corrigée
1227
1228
ANGE DANS L’ÉGLISE LATINE — D’APRÈS LES SCOLASTIQUES

Thomas se prépare déjà dans les opinions de son maître Albert le Grand, comme celles de Duns Scot s’élaborent dans les écrits des docteurs franciscains Alexandre de Halos et saint Bonaventure.

La question de la nature spirituelle des anges se pose toujours ; mais elle a fait des progrès. Les auteurs du XIIIe siècle délinissent les anges, des esprits qui ne sont pas destinés à être unis à des corps et qui n’ont pas besoin de corps. Cette notion se trouve déjà indiquée dans Guillaume d’Auvergne, mais cet auteur n’aftirme pas encore avec certitude que l’ange n’a point de corps éthéré. Loc. cit., c. i, il, xxvii, xxviii. Alexandre de Halès, saint Bonaventure et Albert le Grand ne doutent plus de ce point, seulement ils se demandent si les anges sont composés de matière et de forme, et si la matière dont ils seraient composés est une matière commune aux esprits et aux corps. Alexandre de Halos, Summa, part. II, q. xx, m. ii, le soutient contre les philosophes, et saint Bonaventure, IV Sent., l. II, dis t. III, part. I, a. 1, incline vers le même sentiment. Voir dans l’édition de saint Bonaventure, Quaracchi, 1885, t. il, p. 92 sq., une dissertationsurcettethéoriedudocteur séraphique. Voir aussi plus haut l’article Ame, col. 1028. —Albert le Grand, / V Sent., l. II, dist. 1 1, a. 2, dit au contraire qu’il n’y a pas de matière commune aux anges et aux corps, que l’ange n’est pas composé de matière, mais seulement de possible et de nécessaire, d’individualité (quod est), et de nature (quo est). Aucun de ces théologiens n’attribue aux anges la connaissance sensible ; mais les docteurs franciscains accordent à l’intelligence angélique le pouvoir de percevoir directement les événements particuliers, à mesure qu’ils arrivent. Alexandre de Halès, ibid., q.xxii ; S. Bonaventure, 1 V Sent., l. II, dist. III, part. II, a. 2, q. I. Le docteur dominicain soutient que l’ange connaît les événements d’ici-bas par des idées reçues dès sa création ; seulement, il ajoute que ces idées ne sent ni universelles ni particulières, qu’elles se prêtent à devenir l’un ou l’autre, suivant le besoin. IV Sent., l. II, dist. III, a. 15, 16. Ce n’est pas encore la ferme doctrine que nous verrons professer par le docteur angélique.

Les enseignements de saint Anselme que le démon n’a pu être créé mauvais, ont prévalu. Le sentiment contraire a même été condamné par Guillaume de Paris. D’Argentré, Collectio judiciorum, t. i, p. 186, Paris, 1728. Tout le monde admet donc qu’il s’est écoulé un intervalle entre la création des anges et l’acte de libre arbitre qui a fixé leur sort. Alexandre de Halès, ibid., q. xxtx ; Albert le Grand, ibid., dist. III, a. li ; S. Bonaventure, IV Sent., 1. IL dist. III, a. 7. Les anges qui allaient être soumis à l’épreuve ont-ils reçu l’état de grâce au moment même de leur création ? Albert le Grand le croit, ibid., dist. III, a. 12. Mais saint Bonaventure incline à penser que ni les bons, ni les mauvais anges n’ont reçu l’état de grâce avant leur épreuve. A son avis, les démons n’ont jamais été élevés à l’état surnaturel ; les bons anges y ont été élevés en même temps qu’ils furent gloriliés. IV Sent., l. II, dist. IV, a. 1, q. H. Telle avait étéaussi l’opinion d’Alexandre de Halès. Sum. theol., l. II, q. xix, m. il, a. 5. Il faut remarquer que ces auteurs ne refusent pas aux anges la grâce actuelle dans leur épreuve, mais seulement la grâce habituelle. Cf. S. Bonaventure, Opéra, Quaracchi, 1885, t. il, p. 134, Scholion.

Mignon, Les origines de la scolastique et Hugues de Saint-Victor, Paris, -1895, c. ix, Les anges (doctrine de saint Anselme, de Rupert, d’Honorius d’Autun et surtout de Hugues de Saint-Victor), 1. 1, p. 339-373 ; dom Cellier, Histoire des auteurs sacrés, ï édition, Paris, 1858 sq. (doctrine d’Ambroise Autpert, t. xii, p. 122 ; de Rathère de Vérone, t. xii, p. 827 ; d’Hildebert du Mans, t. xiv, p. 219 ; d’Honorius d’Autun, t. xiv, p. 300 ; de Robert Pullus, I. XIV, p. 393 sq. ; do saint Bernard, t. XIV, p. 405, 486 ; do Pierre Lombard, t. xiv, p. 355 sq.) ; Petau, De angelis, l. I, c. xiii, n. 816 (doctrine du misiècle sur la localisation des anges) et passim, dans Dogmata theologica, Paris, 1805, t. iii, p. 679 sq.

IV. ANGÉLOLOGIE de saint Thomas d’Aquin et des scolastiques postérieurs.


I. Principes philosophiques qui ont donné naissance aux principales opinions des scolastiques sur les anges.
II. Nature des anges. Leurs rapports avec les corps et l’espace.
III. Connaissance chez les anges.
IV. Volonté des anges.
V. Création, élévation, épreuve et béatitude des anges.
VI. Rapports mutuels des anges : hiérarchie, illumination, langage.
VII. Ministère des bons anges.

Saint Thomas a-t-il été surnommé le docteur angélique à cause de la supériorité de sa doctrine sur les anges ? On l’a dit. Ce qui est sur, c’est qu’avec son puissant génie, il donna à cette doctrine un caractère systématique auquel elle n’avait pu parvenir jusqu’alors. Ses théories furent combattues pour la plupart par Duns Scot, qui fut ainsi amené à formuler à son tour un système opposé. Enfin à la suite de longues luttes entre thomistes et scotistes, il se produisit un système intermédiaire dont Suarez est le principal représentant. A partir de la fin du XIIIe siècle, tous les scolastiques admirent l’un ou l’autre de ces trois systèmes ou s’en rapprochèrent plus ou moins. Aussi, dans l’impossibilité où nous sommes de rappeler les nombreuses opinions qu’ils émirent, nous bornerons-nous à esquisser les grandes lignes de ces trois systèmes et d’en montrer le lien logique.

Depuis le XVIIe siècle, les théologiens scolastiques n’ont plus été seuls à écrire sur les anges ; l’angélologie a pris sa place dans la théologie positive. Le traité des anges de Petau (dans le Cursus complelus theologise de Migne, Paris, 1839, t. vu) montra quelles avaient été les opinions des Pères à leur sujet. On a aussi publié en notre siècle sur l’histoire de l’angélologie divers travaux dont les principaux sont indiqués dans la bibliographie qui termine cet article et les deux articles précédents. Mais ces recherches de l’érudition n’ont point modifié sensiblement les opinions courantes des théologiens. Ceux-ci ont continué à suivre les vues de Suarez et surtout celles de saint Thomas d’Aquin. Il en devait être ainsi, puisque ces grands docteurs n’ont guère fait que synthétiser et développer, à l’aide de la psychologie scolas, tique, les données les plus sûres de l’Écriture sainte et de la tradition.

I. Principes philosophiques qui ont donné naissance AUX’PRINCIPALES OPINIONS DES SCOLASTIQUES SUR les anges. —

Avant d’exposer les vues de saint Thomas d’Aquin, de Duns Scot, de Suarez et de leurs disciples, il sera utile de faire connaître brièvement les principes philosophiques d’où dérivent leurs théories et qui donnent à chacun de leurs systèmes son caractère homogène. Ces principes peuvent être considérés sous des aspects divers. Pour mettre dans cet exposé autant de clarté que possible, nous ramènerons ces principes à quatre : trois principes psychologiques et un principe métaphysique.

I. principes psychologiques.

i. Quel est l’objet de l’intelligence humaine ? —

Saint Thomas d’Aquin répond : c’est l’essence des choses matérielles, c’est-à-dire ce qui est universel et nécessaire dans les choses matérielles. Sum. theol., I a, q. xii, a. Il ; q. lxxxiv, a. 7, 8 ; q. lxxxv, a. 5, 8 ; q. lxxxvi, a. 12 ; q. lxxxvii, a. 2, ad 2um, i !  ; q. lxxxviii, a. 2, 3 ; 1Il Sent., dist. XXIII, q. i ; Opusc. De principioindividuationis ; £)eo » ?/îna, l. III, lect.vm. L’intelligence humaine ne saurait donc avoir pour objet, sinon indirectement, le concret, le singulier, qui est l’objet des sens, non plus que le général non universel, qui est l’objet de la raison particulière ou cogitative. —

Duns Scot répond au contraire : l’objet de l’intelligence humaine, c’est l’être, qu’il soit particulier ou universel. IVSent., LUI, dist. XI V7q m ; IVSent., 1. [V.dist., XLV, q.m ; Quodlibet, q. XIII, n. 9 ; lnmetaph., . Vll, q. xv, et surtout De anima, q. xxii. Knlin

Suarez répond, en prenant une position intermédiaire, plus proche cependant de Duns