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ANGE D’APRES LES PÈRES

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arrêtées, point d’enseignement fixe. A cela rien d’étonnant : l’Écriture et la tradition sont, en effet, presque muettes sur la plupart des points qui sollicitent l’attention et la curiosité ; les définitions font défaut ; le terrain solide manque. Et, dés lors, chacun en est réduit à ses propres ressources, interprète l’Écriture comme il peut et comme il sait, spécule librement sur des données insuffisantes ou suspectes ; et il est facile d’y reconnaître l’influence de certains apocryphes ainsi que de la philosophie néo-platonicienne. Bref, défaut d’unité dans les vues, d’accord dans les conclusions. Cependant plusieurs points resteront acquis, dont le Pseudo-Denys et saint Grégoire le Grand seront les premiers à profiter ; et, sur ces données assez riches quoique incomplètes, les futurs théologiens du moyen âge pourront essayer d’organiser scientifiquement l’angélologie.

Au lieu de suivre pas à pas chacun des Pères, pour savoir ce qu’ils pensent du monde angélique, mieux vaut, semble-t-il, grouper les renseignements sur chacun des points à examiner : c’est le moyen d’éviter des redites et d’avoir une réponse immédiate sur telle ou telle question. Nous traiterons donc : 1° de la création des anges ; 2° de leur nature : spiritualité, intelligence et liberté ; 3° de leur nombre ; 4° de leur organisation ; 5° de leur séjour ; 6° de leurs ministères ; 7° de l’ange gardien ; 8° du culte des anges.

I. Création des anges.

Qu’il y ait des anges et que ces anges aient été créés par Dieu, ce sont là deux vérités que les Pères regardent comme appartenant au domaine de la foi. Car, à leurs yeux, il n’y a qu’un seul être incréé et éternel, Dieu ; par là ils écartaient les théories gnostiques ou manichéennes.

Mais à quel moment ont été créés les anges ? La Genèse ne le dit pas ; elle se contente de raconter la création du monde visible ; et si elle parle des jours et des êtres qui se succèdent, c’est, avait dit Philon, par un simple artifice littéraire ; car, à vrai dire, tout a été créé simultanément. Cette pensée de Philon, dont Clément d’Alexandrie s’est fait l’écho, Stroni., VI, 16, P. G., t. ix, col. 369, n’a pas été acceptée par tous les Pères. Il était entendu que la Genèse n’a fait que rapporter fidèlement l’histoire de la création. Et dès lors, on en conclut que les anges existaient avant l’homme, avant même les astres, puisque, à l’apparition des astres, ils se mettent à louer Dieu. Job, xxxviii, 7. Reste à préciser le moment.

C’est Origène qui, le premier, a posé la question. Il avoue n’en pas trouver la solution « dans l’enseignement ecclésiastique ». Quandoisti (AngoW) creati sunt, vel quelles, aut quomodo sint, non satis designatur. De princ, .l, proœm., 10, P. G., t. xi, col. 120. Il donne en conséquence son opinion personnelle : Dieu n’a pu rester un instant sans faire acte de bonté et de puissance ; de plus le monde actuel n’est que la suite de la déchéance d’un monde antérieur, ibid., l. III, c. v, 3, P. G., t. xi, col. 327 ; par suite les anges, faisant partie du monde antérieur, ont du être créés avant le monde actuel.

A sa suite, la grande majorité des Pères grecs ou latins a accepté cette solution de la création antérieure des anges, tout en réprouvant la théorie origénienne de la déchéance (voir plus haut, col. 996). Saint Basile la donne comme vraisemblable. In Hexæm., homil. I, 5, P. G., t. xxix, col. 14. Saint Grégoire de Nazianze affirme que Dieu a d’abord créé les anges. Orat., xxxviii, 9, 10, P. G., t. xxvi, col. 320, 321. Saint Chrysostome le laisse clairement entendre, In Gènes., homil. ii, 2, P. G., t. un, col. 29 ; homil. viii, 2, col. 71 ; Ad Stag., I, 2, P. G., t. xlvii, col. 427. Saint Ambroise pense comme saint Basile, Hexæm., i, 5, P. L., t. xiv, col. 131 ; saint Hilairc, In Psal. cxxxv, 8, P. L., t. ix, col. 772 ; Cont. Auxent., vi, P. L., t. x, col. 612 ; saint Jérôme, In Tit. i, P. L., t. xxvi, col. 560. L’auteur des Questions à Anliochus, q. iii, P. G., t. xxviii, col. 601, rap pelle les deux opinions : les uns disent que les anges ont été créés le premier jour, les autres avant. Ils ont été créés, voilà tout. Car Moïse, connaissant le penchant des juifs à l’idolâtrie, s’est bien gardé de parler des anges dans la Genèse pour ne pas exposer les juifs à quelque acte idolâtrique. Avec moins de réserve, Cassien, qui a connu et entendu Jérôme et Chrysostome, affirme comme une opinion générale que ante conditioneni hujus visibilis maleriæ spiritales cœlestesque virtutes Deum fecisse… nemo fidelium dubilat. Col. vii, 7, P. L., t. xux, col. 731.

Cassien exagérait. Car déjà existait une opinion contraire, celle de saint Épiphane. Celui-ci, qui était loin d’être un partisan d’Origène, regardait comme un principe absolument certain qu’avant le ciel et la terre il n’y avait pas de créatures. Il accordait volontiers, à cause du texte de Job, que les anges avaient été créés avant les astres, mais non avant le ciel et la terre.

Un autre adversaire d’Origène, Théodore de Mopsueste († 428), repoussait l’antériorité de la création angélique. Son ouvrage sur la création est perdu ; mais nous pouvons en croire Philoponus, fin du ve siècle et commencement du VIe, qui le réfuta sur ce point en particulier pour embrasser le sentiment de saint Basile. P. G., t. ciii, col. 1216. Basile de Séleucie († 458), se rappelant lui aussi le passage de Job, se contente d’affirmer que les anges existaient au moment du Fiat lux. Orat., I, 2, P. G., t. lxxxv, col. 31. Quant à Théodoret de Cyr († 458), il juge superflue la question de savoir si les anges ont été créés avant ou avec le ciel et la terre. Toutefois, voici son opinion, conforme à celle de son maitre, Théodore de Mopsueste, et son étrange raisonnement : tout ce qui a un commencement a une substance circonscrite, même l’ange, malgré sa nature incorporelle ; par suite une telle substance ne peut être que dans un lieu. Or, avant la création du ciel et de la terre, il n’y avait pas de lieu : donc il ne pouvait y avoir des anges. In Gcnesim, q. iii, P. G., t. lxxx, col. 82.

Cette opposition de quelques Pères grecs n’empêcha pas l’Orient de rester fidèle, sur ce point, au sentiment d’Origène. En Occident, seul, saint Augustin aurait pu contre-balancer l’opinion des Pères latins. Il la connaissait, mais n’osa pas la condamner comme contraire à la régula fidei. Ce qu’il demandait à sauvegarder avant tout, et avec raison, c’était le dogme de la création des anges. Il estimait que, dans l’ordre des êtres créés, les anges sont les premiers ; et de bonne heure, il s’était demandé : Utrum in tempore facti sunt, an ante omne tempus, aninexordio teynporis" ? Sans y répondre pleinement, embarrassé qu’il était par la question métaphysique de la nature du temps, il avouait que c’était là un mystère impénétrable. De Gen.l.imp., vii, 8, P. L., t. xxxiv, col. 222. Il y revient plus tard, constate que l’Écriture est muette, à moins de voir les anges dans le mot « ciel » du premier verset de la Genèse, bien qu’il préférât le voir dans le mot « lumière ». De civ. Dei, xi, 9, P. L., t. XLI, col. 325. Mais, sachant que les anges ont loué Dieu au moment de la création des astres, il penche finalement pour la création simultanée de Vin principio creavit Deus cselum et terram, quïbus nominibus universalis est significata creatura, spiritualis et corporalis, quod est credibilius. De civ. Dei, xi, 33, P. L., t. xli, col. 347.

Après lui, Gennade, moins hésitant, précisa que les anges ont été créés après le ciel, la terre et l’eau, pendant que les ténèbres enveloppaient les eaux et que les eaux enveloppaient la terre. De ceci, dog., x, P. L., t. xlii, col. 1215. La raison ? C’était pour ne point laisser oisive et sans emploi la bonté de Dieu ; raison qui rappelle celle d’Origène, mais conclusion différente.

Le Pseudo-Denys met Dieu au-dessus des êtres qui sont dans l’sevum ou dans le temps, c’est-à-dire au-dessus des anges et des hommes. De div. nom., v, 10,