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ABJURATION DANS L’ÉGLISE GRECQUE — ABLUSIIS

thodoxie moderne. Ce serait le moment, si nous faisions de la politique, de dire un mot de l’expansion russe parmi ces populations lointaines des hauts plateaux asiatiques, si profondément ignorées de nos gouvernants. A défaut de politique, l’événement auquel je fais allusion nous fournit du moins un document intéressant pour l’histoire des doctrines. Voici le fait.

A plusieurs reprises, dans ces dernières années, les nestoriens du Kurdistan et de l’Aserbaïdjan ont essayé d’un rapprochement avec les orthodoxes. Un prêtre, nommé Michel, entreprit dans ce but, en 1859, le voyage de Constantinople et de Pétersbourg ; mais les graves difficultés politiques auxquelles la Russie était alors exposée firent échouer cette tentative. Elle fut reprise en 1895, sur l’initiative du saint synode russe, et, cette fois, couronnée de succès. L’évêque de Soupourgan, Mar Jonas, passa à l’orthodoxie avec tout son troupeau. Le 21 mai 1897, en présence des envoyés russes, on donna lecture à la population de Soupourgan d’un projet d’union, que l’évêque Jonas, trois prêtres et un diacre, devaient aller consommer à Saint-Pétersbourg. Arrivés dans la capitale russe au mois de février 1898, Mar Jonas et ses compagnons furent admis solennellement dans l’orthodoxie le 25 mars suivant, fête de l’Annonciation. La veille de cette fête, le saint synode se réunit dans la grande salle des séances : Mar Jonas se présenta devant l’assemblée et lut, à haute voix, une profession de foi signée de sa main. Le prélat nestorien y demandait son admission dans l’Église orthodoxe, dont il embrassait la doctrine et à laquelle il promettait obéissance. Il maudissait toutes ses anciennes erreurs, en particulier l’hérésie de Nestorius et de Théodore « qui ont soutenu, par leur doctrine mensongère, la dualité des personnes dans le Christ notre Dieu et n’ont voulu donner à Marie que le titre de Christotocos ou d’Anlhropotocos ». Pour lui, il voyait dans Jésus-Christ « un seul Christ, un seul Fils, un seul Seigneur, un seul Homme-Dieu, en deux natures, en une seule personne ou en une seule hypostase » ; consubstantiel au Père par sa divinité, consubstantiel aux hommes par son humanité, le Verbe a pris, au sein de Marie, « la nature humaine dans son intégrité, c’est-à-dire une àme raisonnable (Xoyix-îjv) et intellectuelle (voy]tixy]v) et un corps, avec les propriétés humaines, l’activité humaine, la volonté humaine. » En s’unissant l’un à l’autre dans l’incarnation, les deux natures ont gardé chacune leur propriété respective, en sorte qu’il y a en Notre-Seigneur « deux natures, deux propriétés particulières (î31ôty)t£ ; ), deux activités (ivspyetou), deux volontés subsistant en lui sans mélange, sans changement, sans séparation, sans division ». De là encore les appellations diverses données à Notre-Seigneur sans préjudice pour son unité personnelle. Passant du fils à la mère, Mar Jonas proclamait Marie ôeotôxoç, « comme ayant vraiment enfanté le Christ notre Dieu. » Il admettait les conciles œcuméniques, non reconnus jusqu’à ce jour par ses coreligionnaires, savoir les conciles d’Éphèse, de Chalcédoine, les deuxième et troisième de Constantinople, le second de Nicée, et recevait toutes leurs décisions particulières, non moins que les canons généraux des sept premiers conciles œcuméniques et des neuf synodes provinciaux. Il déclarait ne vouloir entretenir de communion « qu’avec ceux qui sont eux-mêmes en communion avec la sainte Église de toute la Russie » ; pour les autres, il les rejetait tous. Il terminait en priant « le grand premier pasteur Notre-Seigneur Jésus-Christ de bénir son entreprise ».

Après la lecture de sa profession de foi, Mar Jonas fut admis dans l’orthodoxie avec sa dignité épiscopale, « en vertu du 95e canon du concile in Trullo. » Restait à le recevoir dans l’Église, avec le cérémonial d’usage. C’est ce qui eut lieu le lendemain, fête de l’Annonciation. Pour la première fois on vit paraître, entre les mains des pieux orthodoxes, une brochure avec ce titre : Rituel d’après

lequel on doit recevoir ceux qui viennent de la confession nestorienne à l’Eglise orthodoxe. Je n’insisterai pas davantage sur ce cérémonial ; on y procède, comme dans les autres, par demandes et réponses, disposées de façon à faire abjurer successivement au récipiendaire toutes ses erreurs. Cette catéchèse officielle terminée, le néophyte prêtesurl’Évangileleserment habituel, assiste à lamesse etcommunie. Voir Vérité ecclésiastique (en grec), Constantinople, t. xviii (1898), p. 141-144 ; A. v. Maltzew, Begriibniss-R’tus und einige specielle und alterthûmliclie Gotlesdienste, in-8°, Berlin, 1898, I re partie, p. 420-444.

XI. Abjuration des ecclésiastiques. — On vient de voir que l’évêque nestorien Mar Jonas fut reçu dans l’orthodoxie avec sa dignité et son rang hiérarchique. L’Église russe, en pareil cas, en agit toujours de même : à ses yeux, les ordinations des hétérodoxes sont parfaitement valides, encore que les raisons qu’en fournissent ses théologiens les plus autorisés soient absolument dépourvues de valeur. Cf. Apostolos Christodoulou, Essai de droit ecclésiastique, p. 408. La conduite de l’Église de Constantinople vis-à-vis des néophytes déjà revêtus des ordres sacrés n’est point aussi constante. Sans remonter aux anciens canons, que tout le monde peut consulter, je me borne à quelques exemples tout récents. Lorsque, en 1846, l’évêque Macaire demanda d’être admis dans l’orthodoxie, on examina longtemps, au Phanar, quelle attitude il convenait d’adopter à l’endroit de ses ordinations. Un ex-patriarche, Grégoire VI, se prononça résolument pour la réordination et développa sa thèse dans un mémoire fort curieux dont on a publié seulement la seconde partie. M. Gédéon, Constitutions canoniques, t. II, p. 373-377. C’est son avis qui l’emporta, et Macaire fut reçu comme un simple laïque. Au contraire, en 1860, d’autres prêtres et évêques melchites furent admis sur la simple présentation d’une profession de foi, suivie de l’onction du chrême. Si étrange qu’il nous paraisse de voir donner la confirmation à des évêques et à des prêtres, il faut bien convenir que cet usage est absolument commun dans l’Église orthodoxe : c’est, je l’ai dit déjà, une des plus grosses difficultés de son rituel traditionnel. Ce n’est pas tout : en vertu d’une double décision synodale du 15 février 1868 et du 2 août 1869, un prêtre bulgare catholique dut recevoir ànouveau tous les ordres pour devenir orthodoxe authentique. Même décision le 28 septembre 1872, le 30 mai 1885, le Il mai 1889. Cf. Théotocas, Législation du patriarcat, p. 373-374.

Pour mettre fin aux divergences existant à cet égard entre les diverses fractions de l’orthodoxie, le saint synode de Constantinople provoqua, en 1880, une sorte de consultation générale : toutes les Églises autocéphales furent invitées à envoyer leur avis sur cette grave question. Des diverses réponses lues en séance synodale, le 19 novembre de la même année, il résulte que toutes les Eglises orthodoxes, sauf celle de Grèce, reconnaissaient la validité des ordinations hétérodoxes. En dépit de cette presque unanimité, la grande Église n’osa se prononcer, sans doute pour n’avoir pas à se déjuger ; les décisions mentionnées ci-dessus disent assez quelle est, aujourd’hui, sa conduite habituelle. Une note insérée dans son journal officiel, lors de l’abjuration de Mar Jonas, laisse bien entendre que certaines de ses traditions ne sont plus en harmonie avec les circonstances actuelles. Cf. Vérité ecclésiastique, 1898, t. xviii, p. 144. Mais le jour où l’Église de Constantinople reconnaîtra ses errements trop souvent contradictoires, elle ne sera plus l’Église orthodoxe. L. Petit.

ABLE Thomas. Voir Abel 2, col. 35-36. ABLUSIIS ou ABLUVIIS (de) Geoffroy, né à Abluies ou Abluis, diocèse de Chartres, aujourd’hui Ablis ; de là son nom. Il entra dans l’ordre de saint Dominique, à Chartres. Envoyé comme inquisiteur général à Carcas-