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ANARCHIE


mune peut être considérée comme une gigantesque propagande par le fait destinée à attirer l’attention du monde sur le sort du quatrième Etat.

5° L’anarchie en France à partir de 1880. — Vers la fin de 1879, l’anarchie reçoit une nouvelle vigueur sous la direction et l’impulsion du célèbre géographe Elisée Reclus et du prince russe Pierre Kropotkine. Ce dernier, dans de nombreux écrits et de fréquentes conférences, donna à l’anarchie un système définitif qui fut aussitôt admis par un nombre considérable de groupes. Le parti anarchiste français se forma à la suite du congrès régional de l’Est en 1880, où le parti ouvrier s’était divisé en deux fractions : les suffragistes et les abstentionistes. Il comptait au début peu d’adhérents. La légion anarchiste ne renfermait en 1882 qu’une centaine de personnes. En peu de temps grâce à une propagande active le parti fit des progrès considérables et ne tarda pas à montrer sa vitalité sauvage par des attentats et des essais de révolte. C’est l’incendie par la dynamite de l’église de Bois-du-Verne (1882), l’explosion du café du théâtre de Bellecour par le compagnon Cyvoct (21 octobre 1882), l’assassinat de Watrin à Decazeville (26 janvier 1886), l’explosion dans le palais de justice de Lyon (1887). Les hauts faits de Ravachol terrorisent Paris pendant plusieurs mois (de mars à mai 1892). Puis c’est la série rouge de 1894 : la bombe de Henry au café Terminus à Paris, le plébicide de Vaillant à la Chambre des députés, enfin l’assassinat du président Carnot, à Lyon, par Casério (21 juin 1894). A ce moment Kropotkine et Elisée Reclus trouvèrent bon de protester contre ces exécutions inutiles ; il était trop tard. Des mesures de répression énergique écrasèrent le parti anarchiste. Il se réveillait à l’occasion de l’affaire Dreyfus. Sébastien Faure dans le Journal du Peuple, Urbain Gohier dans l’Aurore menaient une violente campagne contre l’armée, la religion et le clergé. Le camarade Étiévant assomme deux gardiens de la paix (18 janvier 1898), un millier de libertaires excités par Sébastien Faure livrent au pillage et à la profanation l’église de Saint-Joseph à Paris (20 août 1899). C’est encore la propagande par le fait.

IV. Constitution du parti anarchiste.

Les anarchistes forment un parti indépendant des socialistes. Au congrès international de Zurich (août 1893), ils ont été exclus à une grande majorité. Le congrès des socialistes allemands de Hambourg (1897) et le congrès international des socialistes de Londres (1897) ont maintenu et ratifié cette décision. Secte peu centralisée, l’anarchie laisse libre chaque organisme local de mener à son gré la propagande et l’agitation. Les compagnons se rencontrent dans leurs petits groupes d’études sociales auxquels ils aiment à donner des noms de mélodrames : La Torche de Belleville, La l’anthère des Bat i gnôles, Les Gonzes poilus du Point-du-Jour, Le Drapeau noir (Charonne), Les amis de Ravachol (Saint-Chamont), Les Sangliers de la Marne (Chàlons). Les camarades libertaires se réunissent chez le marchand de vin en soirées familiales où l’on chante et déclame des poésies révolutionnaires contre le patriotisme, la religion, les bourgeois, les propriétaires. Ravachol est l’objet d’un culte laïque. A côté de la propagande sédentaire, il y a les trimardeurs (de trimard, grande route) qui vont de ville en ville semer la bonne parole. Ces groupes correspondent entre eux par l’intermédiaire de la presse anarchiste. La première feuille anarchiste, La Révolte, se publia d’abord à Lyon en 1880, mais fut bientôt transportée en Suisse. C’était une feuille hebdomadaire rédigée par les deux grands chefs Kropotkine et Reclus. En 1885, à la suite de l’attentat anarchiste de Berne contre le palais fédéral, elle revint en France et eut comme rédacteur principal Jean Grave, un des publicistes les plus féconds de la littérature anarchiste. La Révolte est un journal philosophique, ayant des allures littéraires et qui s’a dresse à la classe cultivée. Le Père Peinard est écrit pour les ouvriers et les gens du peuple. Rédigé par Emile Pouget, ancien commis d’un grand magasin de Paris, cette feuille grossière parle au peuple la langue du peuple, l’argot des ateliers, souffle la haine contre la religion, la famille, l’armée, la société, et excite d’une manière cynique au crime et à la révolte. Elle publie aussi des caricatures, images hallucinantes — parfois non dénuées de talent — qui gravent dans l’imagination populaire les leçons de morale libertaire.

A l’anarchie se rattache une troisième feuille L’Endehors, revue hebdomadaire fondée en 1891 par Zo d’Axa (pseudonyme de Galland). L’Endehors réunit une pléiade d’ « arnarchistes de lettres » ou de « décadents », tels que 0. Mirbeau, Lazare, Hamon, qui exercent leur plume à défendre les doctrines les plus subversives. Ces écrivains grisés d’individualisme regardent la société comme un théâtre dont ils sont les spectateurs désintéressés et reçoivent des impressions. Faisant profession de se placer en dehors de toute règle, de toute convention sociale, de toute théorie — même anarchiste — ils ne connaissent que le moi. « Qu’importent les victimes, disait Jean Tailhade, si le geste est beau ! » Les anarchistes de lettres se rattachent à la théorie égotiste de Stirner et surtout à Nietzsche, l’anarchiste aristocratique qui réserve au seul homme supérieur, au surhomme, Uebermensch, le privilège de s’affranchir de toute règle et de toute loi. M. Maurice Barrés, Sous l’œil des barbares, Paris, 1890, a décrit très minutieusement cette psychologie de l’anarchiste de lettres. Son homme libre, son « ennemi des lois » prétendent faire du monde leur proie, non plus matérielle, mais idéale, et jouir des exploits anarchistes comme d’un spectacle néronien. C’est une nouvelle forme du dilettantisme.

La presse anarchiste compte quatorze journaux de langue française (mais tous ne paraissent pas en France), deux journaux de langue anglaise (un à Londres et un à New— York), trois de langue allemande, dix de langue italienne, quatre en espagnol, un en hébreu, deux en portugais, un en tchèque, un en hollandais.

V. Critique.

1° Au regard de la religion, l’anarchie est la destruction de toute idée religieuse ; pour elle, Dieu, l’âme, la providence, la vie future, ne sont que des chimères. Les principaux articles du credo anarchiste : la suppression de toute autorité divine et humaine, l’anéantissement de la famille monogame et stable, du droit de propriété privée, la réhabilitation du vol et de l’assassinat, sont autant d’erreurs condamnées à plusieurs reprises par les souverains pontifes et en particulier par Pie IX et Léon XIII.

2° La morale anarchiste qui en dernière analyse se réduit à cette formule : « Fais ce que veux, » est en contradiction manifeste avec les données de la conscience. Dominant le tumulte des passions et la lutte des intérêts égoïstes, la loi du devoir retentit au plus intime de notre être. Il y a des actions que nous devons éviter, d’autres que nous devons poser, c’est un fait de conscience.

En dépit des théories libertaires, les mauvais instincts, la violence, la haine, la convoitise, l’amour du mal sont en l’homme des réalités, constatées par une observation de chaque jour. Le trésor des connaissances humaines s’accroît sans cesse, le champ de la science s’élargit, la civilisation matérielle est en progrès continu et cependant la moralité ou plutôt l’immoralité de l’homme reste stationnaire. Ce ne sont pas les déclamations creuses des compagnons de l’anarchie qui changeront cotte loi historique.

La théorie sociale.

La théorie sociale des anarchistes doctrinaires philosophiques ou révolutionnaires militants est basée sur le dogme fondamental de la bonté naturelle de l’homme, altérée seulement par l’organisation sociale.