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ANARCHIE

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arriver à substituer à l’Etat capitaliste la « société socialisée » le collectivisme prétend employer les moyens que l’État actuel lui fournit, entre autres le suffrage universel. L’anarchisme veut faire vite, combat la société par tous les moyens sans exception et fait appel à la violence. Ses principaux alliés sont la bombe et la dynamite, il a pour l’action politique et le suffrage universel le plus profond mépris. Le collectivisme attend, l’anarchisme provoque l’explosion de la révolution sociale.

III. Histoire du parti anarchiste en France.


Les origines.

Proudhon est à juste titre considéré comme le père de l’anarchie ; c’est lui, en effet, qui le premier a employé le mot anarchie ou suivant son orthographe « an — archie » pour désigner une organisation sociale sans autorité publique. Dans la société capitaliste moderne, ainsi raisonne Proudhon, l’ouvrier ne reçoit pas le produit intégral de son travail, il est exploité par le patron qui s’enrichit à ses dépens en lui imposant un sur-travail, non payé. L’ouvrier devrait pouvoir racheter les produits de son travail, et cela lui est impossible. Et donc pour que les échanges puissent se faire sur le pied d’égalité, comme le demande la justice, il est absolument nécessaire que l’ouvrier puisse travailler et échanger ses produits en toute liberté et qu’il soit par conséquent affranchi du joug intolérable de l’État. C’est-à-dire qu’il faut proclamer l’anarchie et supprimer le gouvernement. L’ordre résultera spontanément du libre mouvement des individus débarrassés des entraves que leur impose le système social existant. Ennemi de la propriété privée qu’il appelle « l’exploitation du faible par le fort », Proudhon la remplace par la possession assez mal définie des instruments de production. Dans les écrits de Proudhon, obscurs, diffus, remplis de paradoxes et de contradictions, d’une lecture difficile pour les ouvriers, la doctrine anarchiste est noyée dans les nuages de la métaphysique hégélienne. C’est en Allemagne que l’idée devait se dégager et devenir populaire. Dans les deux ouvrages de Hess publiés en 1843, Philosophie der That et Sozialismus, l’anarchie se précise en un corps de doctrine distincte. L’anarchie, dit-il, est la négation de toute autorité dans la vie spirituelle et sociale, dans l’Église et dans l’État. A la même époque, Karl Grùn déclare qu’à l’avenir chacun travaillera à sa guise. La production et la consommation ne seront plus réglées que par le bon plaisir des individus. Un grand nombre de journaux, de revues et de brochures répandent la nouvelle doctrine et lui suscitent de nombreux adhérents dans le peuple et dans la classe supérieure. Vers le même temps encore un professeur de Berlin, Marx Stirner, dans un livre violent et cynique, Das Einzige und sein Eigenthum, Leipzig, s. d., enseigne que la devise de l’homme libre n’est pas seulement « ni Dieu ni Maître », mais « ni Foi ni Loi ». Tout ce que nous pouvons obtenir par tous les moyens, vol, meurtre, rapine, considérons-le comme notre légitime propriété.

Mais nous serions trop faibles pour atteindre par nous-mêmes les buts uniquement personnels que nous poursuivons, unissons-nous donc en associations, sans rien abdiquer pour cela de notre égoïsme, et quittonsles aussitôt que nous ne pourrons plus en profiter. Les théories anarchistes ne contribuèrent pas peu à la révolution de 1848 ; aussi la réaction victorieuse engloba dans une même répression le socialisme et l’anarchisme. 2° La fondation du parti.

Vers 1860, 1e mouvement socialiste se réveilla dans toutes les parties de l’Europe et acquit bientôt une grande intensité. C’est alors que le Russe Bakounine ressuscite la propagande anarchiste. Il pousse jusqu’au délire la haine de la société. Pour émanciper la classe des travailleurs, le bulletin de vote ne suffit plus, il faut désormais employer la force, déchaîner tout ce qu’on appelle aujourd’hui mauvaises passions, instincts pervers, détruire tout ce qui, jusqu’à

présent, s’est appelé ordre social. Après la révolution, la société s’organisera d’elle-même, à condition de n’accepter aucune dictature, pas même celle des révolutionnaires socialistes. Bakounine se fit l’apôtre infatigable de ces doctrines subversives, et en 1868 il fondait l’Alliance internationale de la démocratie socialiste, dans laquelle son programme devait être adopté intégralement et sans condition. L’Alliance était une fédération d’associations publiques rattachées par un lien secret à la direction de Bakounine ; elle obtint, en peu de temps, un développement énorme, principalement en Italie et en Espagne. 3° La propagande par le fait.

A partir de 1869 régnait en Russie une grande agitation, Bakounine avait envoyé en ce pays un émissaire anarchiste, Serge Netschaïeff, assassin et escroc. Dans son Catéchisme révolutionnaire, il expose les principes et la méthode de l’anarchie. « Le révolutionnaire, dit-il, a rompu absolument, au plus profond de son être, avec tout l’ordre civil actuel, avec tout le monde civilisé, avec les lois, les usages et la morale. Il en est l’adversaire impitoyable. Il ne connaît qu’une seule science : la destruction. Il étudie la mécanique, la physique, la chimie et peut-être la médecine, mais ce n’est que dans le but de détruire… Son désir sera toujours d’arriver le plus promptement et le plus sûrement possible à la destruction des ignobles conditions sociales. Pour lui, tout ce qui favorise le triomphe de la révolution est légitime et tout ce qui l’entrave est immoral et criminel. » Depuis longtemps les révolutionnaires prônaient l’assassinat comme un moyen de défense, de représailles, pour supprimer l’obstacle. Netschaïeff se sert de l’attentat pour exciter l’attention du peuple, effrayer le bourgeois, avertir le gouvernement. Il tue pour tuer. Que les victimes soient innocentes et inoffensives, peu importe. Le premier il a introduit dans l’action anarchiste la propagande par le fait qui a rempli d’horreur le monde civilisé. *

L’anarchie et l’Internationale.

En 1864, Karl Marx avait créé Y Association internationale des travailleurs dont le but était d’unir les prolétaires de tous les pays pour réformer la société d’après les principes socialistes. L’Alliance de Bakounine demanda à entrer dans l’Internationale en 1869, et ainsi le collectivisme et l’anarchisme, en tant que partis, eurent un point d’attache commun. Tout divisait les deux chefs, Marx et Bakounine : le caractère, la tactique, les doctrines ; aussi l’union n’eut-elle qu’une durée éphémère. Les forces des deux partis entrèrent en lutte au congrès de La Haye (1872) où la rupture se fit. Après la dislocation, les délégués, espagnols, belges, du Jura, à la suite d’un congrès tenu à Saint-Imier dans le canton de Berne (1872), constituèrent une alliance des socialistes antiautoritaires qui se développa sous le nom de « fédération romane », puis « jurassienne », sans direction centrale.

En 1873, à Genève, se tint le sixième congrès général de l’Internationale séparée des marxistes ; c’est alors que pour la première fois le nom d’anarchie fut donné à un parti autonome. En France, l’anarchie se groupe autour de deux centres, Paris et Lyon. La guerre entre la France et l’Allemagne avait réveillé les haines antigermaniques du Slave Bakounine et aussi ses instincts révolutionnaires. Il accourait à Lyon pour y fonder le comité central de l’anarchie et assurer par là le salut de la France.

Richard et Cluseret l’accueillirent à bras ouverts. Le 28 septembre 1870, ce comité abolissait l’État, la justice, la municipalité et ses bandes tentaient de s’emparer de l’hôtel de ville. Quelques jours plus tard, on priait Bakounine de repasser la frontière. L’insurrection parisienne du 18 mars 1871, dont Bakounine, dans sa Lettre à un Français (Œuvres, Paris, 1895), avait d’avance esquissé le programme, a été revendiquée à la fois par les marxistes et les anarchistes comme la première ébauche de la société future, la première incarnation du rêve humanitaire. Au point de vue anarchiste, la Com-