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ANARCHIE

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trine fondamentale de l’anarchie consiste donc à donner à 1 individu une liberté sans entraves, en l’affranchissant de tous les liens sociaux et à régénérer ainsi la société par le triomphe du bon plaisir de l’individu. Voilà pourquoi le système anarchiste s’appelle « libertaire » et ses partisans « libertaires ».

Doctrine sociale.

Le despotisme, disent les anarchistes, n’est pas une forme de l’État ; il en est l’essence, car il est la personnification de l’injustice, de l’oppression, du monopole. Par conséquent, autorité dynastique ou temporaire, élue ou non élue, pouvoir obéi, juges, policiers, lois respectées, tout cela doit disparaître. Après ces destructions nécessaires la société future s’organisera spontanément, non plus de haut en bas eornme dans 1 État centralisé et capitaliste mais de bas en haut. On verra les individus, suivant la pente de leur nature, s’associer librement en communes indépendantes, cellesci se grouperont en fédérations de communes et de régions et enfin en une grande fédération internationale. C’est ainsi que l’anarchie sera organisatrice de sa nature, car suivant une formule paradoxale familière à Proudhon : L’anarchie c’est l’ordre. Dans la nouvelle société la sécurité régnera sans qu’il soit besoin de recourir à la force publique. D’abord l’anarchie rendra les hommes meilleurs, ensuite on formera, s’il le faut, des associations libres d’assurance pour la protection des personnes comme il existe actuellement des sociétés d’assurance contre l’incendie, la grêle ou les accidents du travail. Quant à la sécurité extérieure, s’il se produit des agressions du dehors, la population tout entière se lèvera et mieux que les armées permanentes asservies sous le joug de l’autorité, la nation armée refoulera l’invasion.

Doctrine économique.

La production et l’échange des richesses s’effectueront par la libre initiative des individus. On formera des associations de métiers indépendantes de la commune qui n’auront d’autres pouvoirs que ceux librement consentis par les membres et pour le temps qui plaira à chacun. Comme ils le font aujourd’hui les individus se grouperont en sociétés littéraires, scientifiques, industrielles, agricoles, commerciales, sans faire appel à la contrainte de l’État ou à l’oppression de la loi. Pour maintenir dans ces groupes la cohésion nécessaire, la nature sociale de l’homme suffira pleinement.

Doctrine morale.

L’appui mutuel, tel est le fondement moral de la société transformée par l’anarchie. D’après l’enseignement de J.-J. Rousseau, l’homme est naturellement bon, c’est la société qui le déprave ; pour se conduire moralement, il lui suffit de s’abandonner à ses instincts innés. Aussi bien la morale anarchiste n’a pour principe ni la volonté de Dieu, ni l’obligation de conscience, ni l’impératif catégorique, ni l’utilitarisme ; c’est une morale sans obligation ni sanction. Que l’anarchiste laisse donc s’épanouir en lui la vie sous toutes ses formes, et il fera le bien d’instinct sans pouvoir faire autrement. Quant à la sanction elle disparaîtra comme une institution inutile et surannée. En effet, la plupart des crimes sont commis contre la propriété ; en détruisant la cause on supprime l’effet. D’autre part l’anarchie amènera une diminution notable dans la criminalité. Le nivellement des inégalités sociales, l’appui mutuel, la solidarité exerceront sur les caractères une influence profonde et bienfaisante. Sans doute, il y aura toujours des hommes cruels, grossiers, dominateurs, vindicatifs, mais la contrainte pénale est impuissante à réprimer le crime. Au lieu de coopérer an relèvement du coupable, les prisons corrompent et dépravent. Toute idée de vindicte et de préservation sociale (tant écartée, on traitera les criminels comme des fous et parce qu’il est mauvais d’enfermer les fous, on les laissera en liberté connue dans certains villages de Jielgiquo. On pourra cependant leur appliquer un traitement fraternel..

IL Anarchie et collectivisme. — Parce qu’ils veulent détruire les antiques et traditionnels fondements de la société et la reconstruire sur de nouvelles bases, le collectivisme et l’anarchie appartiennent l’un et l’autre à la doctrine et au parti socialistes. Néanmoins le s.ocialisme anarchiste et le socialisme collectiviste offrent des différences profondes.

Au point de vue social.

Pour celui-ci l’État ou la « société socialisée » est la providence sociale bienfaisante ; pour celui-là, au contraire, l’État c’est le mal qu’il faut supprimer au plus tôt. Le but du collectivisme, c’est d’anéantir l’Etat capitaliste au profit de la société qu’il ne faut pas confondre avec lui. La société collectiviste serait seule propriétaire, seule patronne, seule entrepreneur de commerce et d’industrie ; toute entreprise privée deviendrait un service public, tout revenu particulier une sorte de traitement, la société devrait non seulement pourvoir à tous les besoins sociaux économiques, mais à toutes les dépenses, à l’éducation des enfants, à l’entretien des vieillards. L’effet de ce régime autoritaire et centralisateur serait d’absorber l’individu dans la collectivité. Les théoriciens anarchistes sont tout aussi mécontents de l’État tel qu’il fonctionne aujourd’hui, mais pour le réformer ils se placent aux antipodes des collectivistes : ils s’appuient sur l’individu affranchi et non sur la communauté toute-puissante.

Au point de vue économique.

Exproprier les capitalistes, supprimer les rentes, profits, intérêts, mettre en commun les instruments de production, tout cela rentre dans le plan des collectivistes et des anarchistes, mais lorsqu’il s’agit d’organiser le travail et la répartition des produits dans la société de demain, les deux partis ne s’entendent plus. Le régime collectiviste est un communisme autoritaire où chacun a sa place marquée, travaille sous une règle fortifiée par la contrainte pénale et reçoit une part proportionnelle de nourriture, de vêtement et d’abri. Sa formule serait : « A chacun selon son travail. »

L’anarchie affecte la forme de communisme libertaire où chacun travaille sans contrainte, jouit à sa convenance et prend dans le tas h sa guise suivant ses besoins. La formule serait : « A chacun selon ses besoins. » Voici, tel que le conçoit Kropotkine, le régime du travail dans la société anarchiste.

D’abord, afin de ne pas effrayer le paysan, on lui laissera provisoirement le lopin de terre qu’il cultive. Plus tard, quand l’anarchie aura relevé sa mentalité, il comprendra les avantages du communisme. Partout ailleurs, de libres groupements de production s’organisent spontanément, font face à toutes les nécessités, satisfont à tous les besoins. Plus de monnaie, car on revient à la forme primitive d’échange en nature entre groupes, entre villes et campagnes. On produit non en vue de rapporter des bénéfices à qui que ce soit, mais pour faire vivre la société. Comme on prend pour point de départ les besoins de l’individu, il n’y aura ni surproduction, ni crises. Au reste, la société future ne contiendra pas de fainéants. C’est le travail du salarié qui est un labeur d’esclave ; désormais on aura le stimulant du bien-être et le travail, loin d’être une tache abrutissante, deviendra attrayant pour tous. Chacun choisira son occupation : l’auteur composera ses livres, l’artiste ses tableaux. Quant aux travaux répugnants : cirer les bottes, curer les égouts, etc., eh bien, ils seront accomplis par des machines, comme aux États-Unis. Peut-être se rencontrera-t-il quelque paresseux ; alors le groupe le priera d’aller ailleurs. Il y aura bien aussi quelques injustices, Kropotkine nous fait cette concession, mais elles seront limitées et puis par l’anarchie l’homme deviendra non seulement libre mais intelligent, juste et bon.

Au point de vue de la tactique.

La question de tactique ne sépare pas moins le socialisme anarchiste du socialisme collectiviste que la question de principe. Pour