Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 1.djvu/595

Cette page n’a pas encore été corrigée
1131
1132
ANABAPTISTE


sait s’il ne les a pas écoutés dans sa miséricorde, et si le jour du massacre ne va pas luire pour les bestiaux engraissés qui ont noyé leur cœur dans la volupté au temps même de la détresse du peuple ? »

La furie avec laquelle les révoltés se déchaînèrent contre les monuments et les symboles de l’antique fui. leurs horribles profanations, prouvent surabondamment que la guerre sociale fut, au plus haut degré, une guerre de religion.

Thomas Mûnzer avait prêché « le divin massacre », le « règne de Dieu », le « retour à l’état primitif », la communauté des biens, comme unique moyen de plaire à Dieu, à Mùlhausen, en Thuringe, puis sur la frontière suisse, notamment à Waldshut. Des exaltés parmi les disciples de Zwingle étaient venus à lui et avaient adopté à leur tour l’anabaptisme comme signe de ralliement.

Dès septembre 1524, à Mùlhausen, Mûnzer et Pfeiffer avaient soulevé l’émeute populaire et formé des bandes armées qui portaient la terreur dans tous les environs. Ce fut encore Mûnzer qui recruta en grande partie et anima d’un sombre fanatisme l’armée que Philippe de Hesse, Georges de Saxe, Henri de Brunswick taillèrent en pièces à Frankenhausen, le 15 mai 1525. Après la bataille, Mûnzer fut trouvé caché sous un lit, à Frankenhausen. Amené en présence des princes, il leur reprocha leur responsabilité dans la formation des doctrines qui l’avaient perdu, lui, et une si grande foule de pauvres gens. Il lit d’ailleurs des aveux complets et exposa sans réticences ce qu’il avait voulu faire ; il exprima en termes touchants son repentir, lit une soumission pleine et entière à l’Église catholique, se confessa et communia pieusement sous une seule espèce. Son compagnon Henri Pfeiffer, fait prisonnier à Eisenach, mourut aussi de la main du bourreau, mais sans repentir.

III. Troisième période ; le second mouvement révolutionnaire ; Matthys et Jean de Leyde ; fondation et ruine du royaume théocratique de Munster, 1533-1535. — L’atroce répression et les effroyables cruautés des princes après la bataille de Frankenhausen, en étouffant la révolution sociale, portèrent un coup décisif à l’anabaptisme en Allemagne et en Suisse. Sans doute, en Allemagne, l’anabaptisme ne fut pas anéanti : mais, également odieux aux catholiques, aux luthériens, aux sacramentaires, surveillé et puni partout, il cessa de former un parti redoutable. De même en Suisse, la vigilance et l’autorité des magistrats le paralysèrent ; les anabaptistes furent traités avec une telle rigueur qu’ils ne se perpétuèrent que dans le secret. Dans plusieurs cantons, on avait porté contre eux la peine de mort.

Aux Pays-lias, ils étaient traités aussi sévèrement ; mais ni la prison, ni les supplices ne vinrent à bout de leur résistance. De temps en temps, s’élevait parmi eux un apôtre qui remontait leurs courages en leur promettant des temps plus heureux. Tel fut Melchior Hoffmann, disciple de Mûnzer, qui, après une tentative faite à Strasbourg en 1530, se fixa à Emden et gagna des prosélytes à Amsterdam, à Harlem et à Leyde. L’un d’eux. le boulanger Jean Matthys (ou Matthiesen), de Harlem, qui se prétendait Enoch revenu sur la terre, se lia d’amitié avec un jeune tailleur de Leyde, Jean Beukelszoon (ou Bockelson, ou Becold), qui joignait à une grande beauté— physique une éloquence naturelle fort remarquable. En 1533, tous deux, fuyant les édits rendus contre les novateurs, se rendirent à Munster, en Westphalie.

Là le terrain avait été préparé par un disciple de Luther, le chapelain Bernard Kothinan, qui, après avoir été l’adversaire des anabaptistes, inclinait, depuis 1532, vers leurs doctrines, ainsi que par un certain Bernard Knipperdolling, bourgeois notable qui avait adopte à l’étranger les idées anabaptistes et avail déjà soulevé les classes inférieures. Ils se joignirent aux « melchiu ristes » des Pays-Bas : ceux-ci prétendaient savoir par révélation que le Seigneur avait rejeté Strasbourg à cause de son incrédulité et qu’à sa place Munster était destinée à devenir la nouvelle Jérusalem.

Knipperdolling fut élu bourgmestre et dès lors Munster appartint aux nouveaux prophètes. Tandis que beaucoup d’habitants s’enfuyaient, des fanatiques, des exaltés, des misérables de tous les pays circonvoisins accouraient en foule, sous prétexte d’ériger le royaume de Dieu et de faire pénitence. Pratiquement, cela voulait dire démolir les églises, raser les monastères, briser les images, piller les riches, mettre en commun les biens et les femmes, obliger les habitants à recevoir an nouveau baptême ou à s’expatrier. Le prophète Jean Matthys était plus obéi que le bourgmestre (1534).

Cependant le comte François de Waldeck, indigne évêque de Munster, avait commencé à cerner la ville : mais les assiégeants manquaient de tout ; aussi la confiance des rebelles croissait de jour en jour. Le 5 avril 1531, Jean Matthys fut tué dans une sortie follement audacieuse dont il avait pris l’initiative.

Sa mort consterna les anabaptistes. Alors Jean Beukelszoon (Jean de Leyde) se mit à courir nu dans les rues, criant : « Le roi de Sion vient. » Après quoi, il rentra chez lui, reprit ses habits et ne sortit plus ; le peuple vint en foule savoir la cause de cette action. Jean ne répondit rien, et il écrivit que Dieu lui avait lié la langue pour trois jours. On ne douta pas que le miracle opéré dans Zacharie ne se fût renouvelé en Jean de Leyde et on attendit avec impatience la fin de son mutisme. Lorsque les trois jours furent écoulés, Jean se présenta au peuple et déclara que Dieu lui avait demandé l’abolition de la vieille constitution de Munster. Sur sa proposition, douze « juges » furent élus, avec droit de vie et de mort sur leurs sujets. « Tout ce que la sainte Ecriture ordonne, disaient les « nouvelles « tables de la loi », les membres du nouvel Israël devront s’y conformer sans aucune hésitation. » Au nombre de ces commandements, le prophète mettait la pluralité des femmes : Jean de Leyde en prit seize pour son compte. Les crimes les plus effroyables ne tardèrent pas à se produire. « L’exaltation religieuse, la volupté, la férocité se donnaient la main. » On eût dit un peuple de possédés.

Après un brillant succès remporté sur les assiégeants, un nouveau prophète, l’orfèvre Dusentschur, déclara au peuple que Dieu élisait Jean de Leyde comme roi de toute la terre. Jean fut reconnu et sacré : il réunit toute autorité spirituelle et temporelle, signant ses édits : « Jean le Juste, roi du Temple nouveau, serviteur du Dieu très saint. » Malgré d’abominables exécutions et les scènes honteuses de son harem à l’oriental, il jouit d’une autorité incontestée et put préparer la conquête des pays voisins, prélude, disait-il, de la conquête du inonde entier.

Tant que subsista le royaume de Munster, les communautés anabaptistes se multiplièrent dans toute la Westphalie et la région du bas Rhin. On put même croire un moment que de très grandes villes entreraient dans le mouvement. Au commencement d’octobre 1531, vingt-huit apôtres partirent de Munster pour aller annoncer à tout l’univers l’arrivée du roi de Sion. Mais ces malheureux, à une ou deux exceptions près, furent au bout de peu île temps arrêtés et exécutés.

On se décida enfin à prendre contre la secte les mesures les plus énergiques. On resserra le blocus de Munster de telle sorte que la ville fut en proie à la plus horrible famine ; Jean de Leyde se maintint par la terreur ; il avait donné l’ordre de mettre le feu à la ville lorsque, dans la nuit du 21 au 25 juin 1535, Pévêque y entra par surprise. Les anabaptistes vaincus furent, Comme les paysans, traités avec la dernière barbarie. Après une réclusion longue et douloureuse, les trois chefs, Jean de Leyde, son ministre Knipperdolling ot