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ANABAPTISTE

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Cette doctrine, déjà par elle-même très propre à troubler et à fanatiser les esprits, se compliqua très vite de théories sociales et politiques qui s’y rattachaient par un lien logique assez étroit. Du moment que chacun pouvait agir sous l’inspiration de l’Esprit-Saint, il n’était plus besoin de loi extérieure ; donc plus de législation ecclésiastique, plus de culte, puisque la religion était tout intérieure, plus d’autorité séculière ; et même plus d’inégalité entre les hommes, tous étant disciples immédiats de l’Esprit-Saint et, suivant l’expression de la sainte Ecriture, « prêtres et rois. » La conséquence était facile à tirer : aux autorités existantes il fallait substituer « le règne du Christ », royaume analogue à la primitive Église et présidé comme elle par douze apôtres et soixante-douze disciples.

De la théorie, on passa à la pratique ; Munzer fut mis à la tête des douze apôtres ; une sédition était imminente lorsque le conseil de ville prit des mesures pour la prévenir. Cinquante-cinq ouvriers drapiers furent jetés en prison ; mais les chefs et, parmi eux, Munzer et Storch, parvinrent à s’échapper. Storch et deux de ses compagnons se rendirent à Wittenberg, et commencèrent à y prêcher le 27 décembre 1521, annonçant qu’un terrible bouleversement surviendrait dans le monde avant sept ans au plus. Les prophètes firent une profonde impression sur l’esprit de Mélanchthon, à qui ils expliquèrent la manière « singulière, certaine, manifeste, dont Dieu se communiquait à eux ». Mélanchthon ne paraissait pas douter que des esprits agissent en eux, mais il eût voulu que Luther décidât quels étaient ces esprits. Or les prophètes contestaient déjà l’autorité de Luther et annonçaient qu’un prophète plus grand que lui allait s’élever. Alors Mélanchthon se tourna vers Frédéric de Saxe et le pria de donner son avis sur le baptême des enfants. « Cette question trouble ma conscience, disait-il, elle me jette dans une grande perplexité. »

Cependant, après quelques hésitations, Carlstadt avait fait alliance avec les prophètes ; à la tête d’une bande d’émeutiers fanatisés, il commençait son œuvre d’iconoclaste. D’accord avec les prophètes, il déclarait la guerre aux études scientifiques et appelait à prêcher laïques et ouvriers. Bientôt le parti révolutionnaire triomphait à Wittenberg. C’est alors que Luther sortit de sa retraite de la Wartbourg et vint à Wittenberg (mars 1522) prêcher avec une violence extrême, mais au nom de sa propre autorité, contre les novateurs. Storch et Carlstadtdurent quitter la ville. Ils allaient désormais répandre leurs doctrines dans d’autres parties de l’Allemagne, prêchant à la fois contre le pape et contre Luther.

II. Deuxième période : la propagande révolutionnaire ; Thomas Munzer ; les anabaptistes et la guerre des paysans, 1522-1525. — Munzer, après avoir quitté Zwickau, s’était rendu en Bohème. « Là, disait-il, serait fondée la véritable Église et le peuple de Bohême était destiné à devenir la lumière des nations. » Il se donnait lui-même pour l’envoyé du ciel. Chassé, il finit par s’établir à Alstadt, petite ville isolée de l’électorat de Saxe, où il devint pasteur et épousa une religieuse. Uni à d’autres prédicants, il formula sa doctrine avec plus de rigueur et plus de violence qu’à Zwickau, et il organisa sa nouvelle église.

Ses invectives contre l’Eglise catholique étaient véhémentes ; mais il s’en prenait encore davantage à Luther qu’il qualifiait d’archipaïen, d’archicoquin, et à qui il écrivait : « Tu n’es qu’un grossier archidiable. »

Pour Storch et pour lui, la réforme luthérienne était une réforme manquée qui n’avait produit que des résultats désastreux. Tous deux répudiaient la doctrine de la justification par la foi seule, « parce qu’elle avait introduit en Allemagne une dissolution semblable à celle du mahométisme. » Tous deux niaient absolument que la révélation pût venir du dehors pas plus par la parole

morte de la Bible que par l’autorité d’une Église. Ils affirmaient que chacun reçoit la vérité de l’Esprit-Saint qui parle directement à tous, comme Dieu parlait jadis à Abraham ou à Jacob.

Les pauvres gens aflluaient aux sermons de Munzer et s’enivraient à l’idée de ce commerce personnel avec Dieu qui les rendait « plus saints et plus instruits que les plus savants ». Ils s’organisaient en une ligue, dont les membres s’engageaient par serment à soutenir et à favoriser l’établissement du royaume de Dieu. Dans ce royaume, tous les hommes seraient égaux, tous les biens seraient communs. Des pays voisins, on accourait en foule à Alstadt pour entendre le nouvel évangile. On conçoit quel instrument cette foule fanatisée pouvait être entre les mains d’un chef audacieux. Or Munzer enseignait déjà que la vraie doctrine devait être répandue par la force et par le glaive. Il faisait appel aux princes : « Ceux qui s’opposent à la révélation divine seront massacrés sans miséricorde… Sans cette extermination nécessaire, l’Église chrétienne ne pourra jamais être ramenée à sa pureté primitive… Les impies n’ont pas le droit de vivre. » Mais, si les princes ne voulaient pas le suivre, il faisait appel au peuple contre eux et leur annonçait qu’ils auraient la tête tranchée ou seraient pendus.

Contraint de quitter Alstadt, Munzer se rendit à Mùlhausen, où il trouva « le champ richement préparé » par l’ancien cistercien Henri Pfeiffer, et recommença à soulever les masses.

Comme enThuringe et en Saxe, la doctrine de l’avènement du règne de Dieu fondée sur la révélation personnelle trouvait en Suisse d’innombrables adhérents. Sans doute les sectes anabaptistes différaient entre elles sur plusieurs points : mais toutes se trouvaient d’accord sur celui-là comme sur la question du baptême des enfants. A Saint-Gall, les prédicants anabaptistes étaient aussi entourés que Munzer à Alstadt ou à Miilhausen. Trop souvent les élus, « éclairés sur le sens de l’évangile par des visions et des ravissements, » se livraient aux actes les plus effroyables. Le chroniqueur de Berne, Anshelm, raconte qu’à Saint-Gall, en 1525, pour accomplir la volonté du Père céleste, un frère trancha la tête de son frère. « Je ne commets point de péché, disait un prédicant, c’est Dieu le Père qui les commet par moi ; Dieu est venu en personne dans mon âme. » D’autres prenaient la Bible au pied de la lettre. Douze cents anabaptistes se réunissaient un jour à Appenzel et là attendaient patiemment que les aliments leur fussent envoyés par Celui qui a dit : « Ne vous inquiétez point de ce que vous mangerez, etc. » D’autres prêchaient sur le toit des maisons en vertu de la parole : Prœdicate super tecta. Cet état d’anarchie religieuse, cette exaltation des esprits, ces conséquences sociales tirées des principes Ihéologiques étaient singulièrement propres à favoriser la révolution si elle éclatait en Allemagne : or, pour bien des motifs, elle était imminente. On a dit que les anabaptistes ne furent pas cause de l’effroyable guerre des paysans, puisque depuis la fin du XV e siècle il y avait eu déjà parmi ceux-ci de terribles révoltes. C’est vrai, mais d’une part les anabaptistes étaient des recrues toutes prêtes pour le parti révolutionnaire : et d’autre part leurs doctrines répandues parmi les paysans avaient doublé du fanatisme religieux la force de leurs revendications.

C’est au nom « de la sainte parole de Dieu » qu’on prêche le massacre. Telle l’adresse des frères de l’Obertand à l’assemblée générale des paysans allemands : « Allons, Dieu le veut ! sonnons le tocsin ! Précipiter de leur siège les Moab, les Achab, les Agag, les Phalaris, les Néron, c’est la joie suprême de Dieu. Ceux-là, l’Écriture ne les appelle pas serviteurs de Dieu, mais loups, serpents, dragons ! Qui sait si le pitoyable cri des moissonneurs, la supplication des pauvres ne sont pas arrivés jusqu’aux oreilles du Dieu des armées ? Qui