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ABJURATION DANS L’EGLISE GRECQUE

toute autre, c’est parce qu’elle constitue le plus ancien document que l’Église de Byzance ait mis à contribution pour la confection de son rituel. On la retrouve, en termes presque identiques, dans bon nombre d’anciens euchologes, par exemple dans le Cryptoferratensis M, publié par J. Goar, Euchologion sive Rituale Grœcorum, in-fol., Paris, 1647, p. 883, et réédité par Migne, dans les œuvres de saint Méthode. P. G., t. C, col. 1317. Les hérétiques mentionnés nommément dans cette pièce sont les ariens, les macédoniens, les sabbatéens, les quartodécimans et les apollinaristes. Après avoir présenté une rétractation « écrite » de leurs propres erreurs et de toute croyance contraire à la saine doctrine, ils devaient confesser expressément le mystère de la Trinité en répondant, par une triple affirmation, à cette triple interrogation du prêtre : « Croyez-vous en la sainte et consubstantielle Trinité ? » Ensuite le prêtre récitait sur eux de longues prières, trop vagues pour arrêter l’attention, et leur donnait, comme à de nouveaux baptisés, le double sacrement de confirmation et d’eucharistie. Des dispositions analogues réglaient l’admission des nestoriens et des eutychéens ; par malheur, il est impossible, faute d’autres documents, de mieux préciser le caractère propre de chacune de ces abjurations. Une chose leur était commune : aucune d’elles n’était accompagnée du baptême, preuve évidente que l’Eglise de Constantinople tenait pour valide le sacrement reçu antérieurement dans l’hérésie. Pourquoi, dès lors, donnait-on à ces convertis la confirmation qu’ils avaient du recevoir déjà aussi bien que le baptême, les deux sacrements étant administrés en même temps ? La question, pour être rarement soulevée par les historiens, n’est nullement oiseuse. Les canonistes orthodoxes y répondent par une distinction spécieuse. Chez ces hérétiques, disent-ils, la hiérarchie n’existait pas, non plus que le sacerdoce, indispensable canal pour communiquer aux fidèles les dons de l’Esprit-Saint. Cf. Apostolos Christodoulou, Essai de droit ecclésiastique (en grec), in-8°, Constantinople, 1896, p. 406. Cette affirmation hardie mériterait d’être contrôlée par l’histoire.

Tout autre était la pratique de l’Église orientale à l’égard d’une seconde catégorie d’hérétiques : eunoméens, montanistes, sabelliens, manichéens, marcelliens, photiniens, etc. Ceux-là étaient traités purement et simplement en païens ; on devait donc commencer par leur donner le baptême. Ainsi l’ordonnent le canon déjà mentionné du I er concile de Constantinople, le 95e du concile in Trtillo, et, après eux, le rituel patriarcal publié par Goar, loc. cit. Pourquoi cette différence, d’autant plus frappante que le 1 er concile de Nicée (can. 19) avait proclame valide le baptême de plusieurs de ces sectes ? Mattes, suivi par Ilefele, estime que ces hérétiques avaient perd ii, depuis 325, la véritable formule du baptême. Hefele, Histoire des conciles, trad. Leclercq, in-S°, Paris, 1908, t. i, p. 615. Les écrivains orthodoxes résolvent le problème d’une manière analogue : pour eux aussi une erreur de doctrine ou d’administration chez le ministre entraîne la nullité du sacrement conféré par lui. Apost. Christodoulou, op. cit., p. 406 ; voir aussi les commentateurs du Pidalion, in-4°, Athènes, 1886, p. 139, 219.

De toutes les hérésies qui viennent d’être citées, nulle n’exerça en Orient une inlluence plus générale et plus pernicieuse que le manichéisme. Au moyen âge, on voit presque tous les théologiens de Byzance, les empereurs même, s’employer avec zèle à la destruction de cette redoutable secte ; aussi les formules d’abjuration imposées à ses anciens partisans sont-elles nombreuses et très explicites. On en trouve surtout quatre rédactions principales : deux ont été publiées par Goar, op. cit., p. 885, 890, P. G., t. c, col. 1321 ; la troisième, extraite par Cotelier du Parisinus 1818, fut publiée par lui en appendice à son édition dus Recoynilionum Clementis,

P. G., t. i, col. 1461 sq. ; la dernière enfin fut éditée par. T. Tollius, Insignia itinerariiitalici, in-4°, Utrecht, 1C96, p. 126 sq. En combinant ensemble ces divers textes, on arriverait à dresser un bilan suffisamment complet des doctrines manichéennes. Sans entrer ici dans aucune discussion, je vais signaler les divers points de doctrine contenus dans ces formulaires, en prenant pour base le plus complet de tous, celui de Cotelier.

Après un jeûne de deux semaines, le néophyte, muni de sa profession de foi écrite, se présentait au baptistère afin d’anathématiser ses anciennes croyances. Anathème d’abord aux personnes : à Manès lui-même et à ses faux dieux, Zaradès, le Père de la grandeur, le Premier Homme, le Porte-couronne, la Vierge de la lumière, les cinq flambeaux intellectuels, le Démiurge, le Juste Juge, 1 Porte-terre, et tous les Éons pères et fils. — Anathème à tous les sectateurs passés, présents et futurs de la doctrine des deux principes, Marcion, Valentinien, Basilide, à tous les blasphémateurs de l’un ou l’autre Testament, aux contempteurs des patriarches et des prophètes, aux adversaires d’un seul Dieu, créateur de toutes choses, et identique dans les deux Testaments, à tous ceux qui tiennent le corps pour essentiellement mauvais, comme le principe d’où ils le font dériver, qui donnent à Adam une nature différente de la nôtre et une origine ignominieuse, qui nient l’existence historique de Jésus-Christ, la réalité de sa personne, de sa double nature, des grands mystères de sa vie, et le dédoublent en autant de personnages différents qu’il y a de scènes diverses rapportées par l’Évangile. — Anathème à ceux qui transforment "le soleil, la lune, les étoiles en autant de dieux et règlent leurs attitudes dans la prière sur les évolutions successives du soleil, identifient en un seul Dieu Zaradès, Bouddas, le Christ, Manichée et le Soleil, attribuent à Manès la mission du divin Paraclet. — Anathème à ceux qui donnent aux âmes la même nature qu’à Dieu, professent la métempsycose, accordent la vie aux êtres inanimés, nient la résurrection de la chair et le libre arbitre, proscrivent certains aliments, rejettent le mariage tandis qu’ils commettent toutes sortes de crimes contre nature. — Anathème enfin à toutes les pratiques des manichéens, à leur Béma surtout ; anathème aux écrits de Manès, ses Lettres, son Evangile vivant, son Trésor de vie, et à tous les ouvrages de ses disciples, YHeptalogos d’Agapius, la Théosopliie d’Aristocrite. — Anathème à tous ses sectateurs, maîtres ou disciples, évêques ou prêtres, élus ou auditeurs, à son père Patécius, à sa mère Carossa, aux commentateurs de ses livres, Hiérax, Héraclide et Aphtonius.

Inutile de reproduire tous les noms propres, dont le lecteur trouvera la liste dans Migne, P. G., 1. 1, col. 1467. L’anathématisme se poursuit sans rien offrir de bien important pour les doctrines : on y revient, encore une fois, sur l’existence d’un seul Dieu créateur. La théorie des deux principes est condamnée de nouveau, l’existence de la Vierge Marie reconnue, le culte de la croix, des images, de l’eucharistie solennellement proclamé. L’anathéme enfin est lancé contre des pratiques infâmes, des orgies, que le lecteur voudra bien me permettre de ne pas désigner autrement. Les anathématismes terminés, le néophyte était reçu au nombre des catéchumènes. Quelques jours après, on lui donnait le baptême suivant le rituel ordinaire.

L’examen doctrinal de ces divers anathèmes présenterait, je le répète, un réel intérêt, mais il nous entraînerait trop loin. Au reste, une partie du travail a été faite, et fort bien, par J. Tollius dans son édition, citée plus haut, de la Formula receptionis manichseorum ; dom Ceillierenadonné un résumé assez substantiel dans son Histoire générale des auteurs sacrés et ecclésiastiques, 2e édit., in-8°, Paris, 1862, t. xi, p. 341. Quant aux auteurs manichéens etàleurs ouvrages bienoubliés, on trouvera sur euxdes notices suffisantes dans J. A. Fa-