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AME. SA SPIRITUALITE. DEMONSTR. RATIONNELLE

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proportion de nature, et l’on peut conclure de la spiritualité de l’objet à celle de la faculté.

L’intelligence abstrait. Elle jouit aussi du privilège de penser sa pensée, c’est-à-dire, après avoir conçu une cbose, de penser la conception elle-même. Dans ce second moment, l’intelligence pose son concept comme objet de connaissance, l’étudié ensuite et le soumet à l’analyse. C’est la réflexion de l’intelligence sur elle-même. Grâce à ce merveilleux pouvoir, elle vérifie son concept, le rectifie et l’élève jusqu’à la vérité scientifique. Elle corrige les données des sens externes, elle redresse l’imagination et la mémoire. Elle est la maîtresse et la norme de toutes les facultés. Or la réflexion exige que le principe qui se prend pour terme de son action ne dépende pas intrinsèquement de la matière. S’il était dans cette dépendance, il devrait faire coopérer la matière étendue à son acte de réflexion : ce qui est inintelligible. Une partie étendue peut bien se replier sur une autre partie, mais jamais sur elle-même. La réflexion suppose l’indépendance intrinsèque de la matière, et par conséquent la spiritualité.

Enfin, parce que l’intelligence se meut dans l’abstrait et dans l’immatériel, l’excellence de son objet la perfectionne, tandis que l’excellence de l’objet sensible altère les sens. Comme tout ce qui est matériel, les organes s’usent par l’exercice, sans que la réparation égale l’usure ; les sens s’émoussent, la sensibilité diminue. L’intelligence, au contraire, se perfectionne constamment par l’exercice. Sans doute, en raison d’une certaine dépendance extrinsèque du cerveau, elle subit très souvent les vicissitudes de l’organisme, mais par elle-même, par nature, elle ne peut que se perfectionner. L’intelligence n’est jamais altérée par la contemplation de l’absolu ; elle sent au contraire augmenter son besoin de connaître, et elle tend à tout connaître pour tout s’assimiler : intellectus cognoscendo fit omnia.

Voici, sous sa forme classique, un argument fondamental de saint Thomas. L’intelligence est apte, par nature, à embrasser dans sa connaissance tous les êtres corporels quels qu’ils soient. Or un principe de connaissance qui est apte, par nature, à connaître tous les corps, ne peut avoir en lui-même réellement et physiquement une nature corporelle quelconque, ni se servir intrinsèquement d’une nature corporelle pour connaître les corps. Le sens de la vue, par exemple, est apte à connaître toutes les couleurs, parce qu’il n’est constitué intérieurement par aucune couleur. Vienne la jaunisse, il deviendra incapable de percevoir d’autres couleurs que le jaune. De même, si l’intelligence avait une organisation corporelle, cette détermination l’empêcherait de connaître tous les corps qui seraient différents de sa propre constitution. Pour la même raison, il est impossible que l’intelligence dépende intrinsèquement d’un organe ; car cet organe serait limité, comme tout ce qui est matériel, à la connaissance de certains objets. L’intelligence n’est donc pas corporelle et de plus, elle ne dépend pas intrinsèquement d’un organe. Elle est spirituelle. S. Thomas, De anima, l. III, lect. vu ; Sum. theol., I a, q. lxxv, a. 2 ; Lorenzelli, Pliilosophiee theoreticx instilutiones, 2e édit., 1896, t. ii, p. 274-288 ; Peillaube, Tliéurie des concepts, Paris, 1895, p. 113-152 ; Coconnier, Ame humaine, Paris, 1890.

Aux objections des matérialistes, il faut répondre que l’intelligence n’ayant pas d’idées innées, ne faisant que travailler sur les données de l’imagination, a besoin, dans l’état normal, pour le travail de la pensée, que le cerveau — substrat ri organe des facultés sensibles — soit dans les meilleures condilions. Il faut reconnaître le parallélisme du travail intellectuel et du travail cérébral ; reste à déterminer la nature de ce rapport : en étudiant l’objet formel de l’intelligence, on a vu que ce rapport est extérieur et que le cerveau ne peut pas être lorgane de l’abstraction.

II. spiritualité de la YOLOyTÉ. —

L’immatériel abstrait est l’objet de la volonté. Donc la volonté est une fonction spirituelle. Qu’est-ce que la volonté ? C’est d’abord une tendance, une inclination. Tout être a une fin et une tendance à sa fin. Cette tendance dépend de la nature même de l’être. Un être qui n’est pas doué de connaissance se trouve limité à sa nature physique, déterminé ad unum. Un être doué de connaissance, en outre de sa détermination naturelle, possède des tendances qui correspondent à ce qu’il connaît, aux choses matérielles et sensibles si la connaissance est sensible, aux choses immatérielles et intelligibles si la connaissance est intellectuelle. La tendance est donc ou naturelle ou psychologique, et cette dernière se divise en tendance sensitive et en tendance intellectuelle. La volonté est une tendance intellectuelle. Toute tendance a un terme, le terme de la volonté est le bien. Le bien est d’ailleurs la fin de toute activité’.finis est illud bonuin, cujus gratia aliquid est. Le bien de la volonté doit être un bien connu. Sous ce rapport, la volonté se distingue de Vappetilus naturalis et coïncide avec l’appétit sensitif. Enfin, le bien de la volonté est connu par l’intelligence : c’est ce qui fait de cette inclination un appétit intellectuel ou rationnel. Mais il ne suffit pas que le bien soit connu par la raison, il faut encore qu’il présente un rapport de convenance : la volonté tend à l’être, non en tant qu’être, mais en tant que perfection, ut perficiens.

Malgré ses rapports très étroits avec l’intelligence, la volonté a son existence propre, son autonomie. Les intellectualistes, comme Descartes et surtout Herbart, se trompent lorsqu’ils ramènent la vie affective à n’être que de l’intelligence confuse. Mais on est bien forcé de reconnaître que la volonté n’a d’autre objet que celui qui lui est présenté par l’intelligence, de telle sorte que la spécificité de la vie affective découle de la nature des états représentatifs. D’où l’on doit conclure que l’objet de l’intelligence étant spirituel, celui de la volonté doit être spirituel.

L’homme se plaît dans la contemplation de la vérité et dans la vérité elle-même ; dans la beauté des choses, dans l’aspect et l’art merveilleux qui se révèle en tout être ; dans les disciplines scientifiques, dans les actes de religion, de piété, de justice et autres vertus ; dans la renommée, l’honneur, la louange, la gloire et le commandement. Or tous ces biens sont les biens propres de l’esprit, et l’homme leur attache un tel prix qu’il méprise pour eux les commodités du corps. Il est dune (’vident que la volonté est spirituelle comme ces biens.

— Pour préciser, on peut distinguer deux catégories de biens : les biens de la volonté et ceux des autres facultés. La volonté veut le bien propre de l’intelligence, elle le veut pour l’intelligence ; elle recherche le bien propre de toutes les facultés, elle le recherche pour ces facultés. Car le bien de l’homme résulte de l’ensemble des biens qui correspondent à ses facultés. Or une fonction qui poursuit le bien des autres fonctions ne peut être intrinsèquement composée de matière, vu que la matière est toujours déterminée ; d’ailleurs parmi les fonctions dont la volonté poursuit le bien se trouve l’intelligence, faculté spirituelle. Le bien moral et religieux est le bien essentiel de la volonté. Les perfections de l’intelligence ou habitudes intellectuelles, sapientia, scienlia, intellectus, ne sont pas des perfections de tout l’homme ; aussi n’est-ce que très imparfaitement qu’elles vérifient le nom de vertu. Mais les habitudes de la volonté perfectionnent l’homme tout entier et s’appellent des vertus. L’organisation des vérins dans la volonté, qui peut se compléter indéfiniment, n’est autre chose qu’une incessante transformation de cette faculté. Plus les vertus morales augmentent en nombre et en intensité, plus la volonté se perfectionne et s’idéalise. Or les vertus morales se ramènent à la notion de bien moral, qui