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AME. SA SPIRITUALITÉ. DÉMONSTR. RATIONNELLE

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La thèse sensationniste est fausse sur plusieurs points. Il y a un abîme entre l’abstraction des sens et l’abstraction de l’intelligence. Ces deux procédés sont irréductibles. L’abstrait des sens n’est pas réellement un abstrait, mais un concret. Dans le complexus abedef qui désigne les qualités d’une rose, vous avez beau porter votre attention sur a, vous ne faites que l’isoler des autres images, mais a reste très individuel : c’est, par exemple, la couleur ; or cette couleur est concrète, après comme avant l’acte d’attention. On peut la représenter sur une toile et la photographier. Au contraire, l’abstrait de l’intelligence ne peut être figuré : il est dépouillé de ses notes concrètes, individuelles et matérielles. On peut bien tracer au tableau noir un triangle scalène ou isocèle, mais il n’est pas possible d’y tracer le triangle abstrait, celui qui n’est ni scalène ou isocèle, ni aucun autre triangle particulier, que je connais bien cependant, et que je définis une figure plane, limitée par trois lignes qui se coupent, abstraction faite de la façon dont les lignes se coupent. Aussi l’abstrait conceptuel est-il susceptible d’être généralisé, tandis que l’abstrait sensible ne l’est pas. Ce dernier est, en effet, individuel. Or, il y a une antinomie irréductible entre l’individuel et l’universel. Il est impossible que ce qui est individuel soit généralisé, sans avoir été dépouillé par l’abstraction de toutes déterminations particulières et concrètes. L’image générique n’est pas universelle : c’est une moyenne. On a obtenu par la photographie, d’après des médailles, un portrait composite de Cléopâtre. Or, tandis que la beauté de la reine d’Egypte était méconnaissable sur chacune de ces médailles frustes et grossières, la photographie a composé une figure plus agréable et a retrouvé en quelque sorte la beauté de Cléopâtre. Le portrait composite apparaît comme la moyenne optique des médailles composantes. Or une moyenne n’a rien d’universel. C’est une quantité particulière comprise entre d’autres quantités avec lesquelles elle a certaines relations déterminées ; elle est, par conséquent, de même nature que les autres quantités. L’image générique, si elle est une moyenne entre des images semblables, devra être aussi quelque chose de singulier, d’individuel et de concret, dont les degrés de singularité, d’individualité et de concrétion tiendront le milieu entre les différents degrés des images particulières, individuelles et concrètes. Elle n’embrasse donc ni en fait, ni en droit, tous les cas particuliers d’une série. L’image générique d’homme représente des traits qui ne sont pas communs à tous les hommes : tous les hommes n’ont pas un âge moyen, une taille moyenne. Les enfants et les vieillards, les grands et les petits des deux sexes sont des hommes, et la représentation qui les embrasse tous peut seule être appelée universelle. Enfin, l’image générique est vague. Le concept est, au contraire, bien défini. On imagine très mal un myriagone, on le conçoit très bien. — Si l’abstrait des sens est individuel et concret, si, par conséquent, il ne peut être généralisé, il s’en suit que la logique sensationniste n’est pas possible. On a vu que tous les processus logiques sont suspendus à la généralisation ; celle-ci étant impossible, la logique des images ne peut pas exisler, à moins d’entendre par ce mot les processus de perception au moyen desquels les animaux recherchent l’utile et fuient le nuisible. Mais cette logique n’est que la contrefaçon de la logique intellectuelle proprement dite. D’elle-même elle n’invente rien. Ce n’est que lorsqu’il est poussé par les besoins et les circonstances que l’animal cherche à s’adapter ; il y réussit ou n’y réussit pas. L’éducation n’obtient aucun résultat, en comparaison de ce qu’elle produit chez l’enfant, le sourd-muet. Ceux-ci apprennent les sciences, le langage analytique. L’animal ne dépasse ni l’empirisme, ni son langage synthétique. Il se dresse, il ne s’instruira pas. Le perroquet répète les mots, il ne les comprend pas. —

Conclusion. L’abstrait de l’intelligence est irréductible à l’abstrait des sens, il creuse un abîme entre l’homme et l’animal. E. Peillaube, Théorie des concepts, Paris, 1896, I re partie.

3° L’abstraction est une opération intrinsèquement indépendante de la matière nerveuse : elle est spirituelle.

D’abord, l’abstraction est une opération simple : elle appartient à l’ordre de l’activité, de l’immanence et de la connaissance. Cette triple cause de simplicité, qu’elle possède en commun avec les sens, l’intelligence la possède à un degré supérieur. Il y a plus d’activité dans l’abstraction intellectuelle que dans l’abstraction sensible, plus d’activité aussi dans la conception, la réflexion, le jugement et la raison, que dans l’intuition empirique et les associations Imaginatives. L’immanence de la pensée est bien supérieure â l’immanence des sensations et des perceptions : tandis que dans ce dernier cas le progrès se borne à quelques adaptations, dans le premier il est illimité. Sous le rapport de la connaissance, il n’y a pas de comparaison possible à établir entre l’intelligence et les sens : l’intelligence a pour objet l’abstrait, la raison des choses ; les sens ont pour domaine le concret et le relatif. Or si un principe doué d’activité, d’immanence et de connaissance doit être simple, à plus forte raison l’intelligence. On ne conçoit pas qu’une fonction, qui serait intrinsèquement composée de parties quantitatives et étendues, pût opérer une division comme celle qui consiste à dissocier l’essence de ses notes individuelles, à se représenter par conséquent l’étendu sous la forme de l’inétendu. L’abslraction est donc une fonction simple : sa simplicité dépasse même celle des opérations de la vie sensitive.

Ensuite, l’abstraction est une fonction spirituelle : la simplicité est chez elle de telle nature qu’elle devient intrinsèquement indépendante de la matière dans son existence et son action. Si les actes sont spécifiés par leur objet formel, l’abstraction est spirituelle. Quel est, en effet, son objet ? L’abstrait, l’universel, l’éternel, le nécessaire. Mais nous savons que l’essence, pour revêtir ces formes intelligibles, a dû se dépouiller des formes sensibles, concrètes, particulières, périssables et contingentes. Elle est, par conséquent, dégagée de 1 espace et du temps et de ses éléments matériels. Quoique les concepts qui regardent le monde des corps portent sur l’étendue, cette étendue est pensée sous forme inétendue et par conséquent sous forme simple et immatérielle. Le concept de triangle ne fait sans doute pas abstraction de toute quantité. Que serait-il ? Mais il représente la quantité indépendamment de ses modes individuels et concrets, et par conséquent sous forme simple. L’abstrait, le vrai abstrait que nous avons distingué de l’abstrait sensible, est donc inétendu, simple, immatériel. Il y a aussi une hiérarchie de l’immatériel correspondant â la hiérarchie de l’abstrait. Les concepts des mathématiques sont plus immatériels que ceux de la physique et les concepts de la métaphysique sont plus immatériels que ceux des mathématiques : être, substance, cause, effet, vrai, bien, ordre, devoir, vertu, justice, voilà des objets qui sont immatériels sous la forme où ils sont pensés. Mais, si Yimmalériel abstrait des choses sensibles est l’objet formel et proportionné de l’intelligence, il n’en est pas l’objet adéquat. Par le raisonnement et l’analogie, nous atteignons des concepts qui, par essence et non par abstraction, sont immatériels. La raison peut prouver avec certitude l’existence de Dieu. L’intelligence a donc aussi pour objet l’immatériel par essence. Il faut, par conséquent, qu’elle soit immatérielle et spirituelle. Car l’objet et la pensée sont idéalement identiques, dans l’acte de la connaissance intellectuelle bien mieux encore que dans l’acte de la connaissance sensible. Aussi bien, la fonction est faite pour son objet ; si elle est la cause finale de l’organe, elle a dans l’objet sa propre cause finale, sa raison d’être. Il y a donc entre la faculté et son objet une