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AME. SA SPIRITUALITÉ. DÉMONSTR. RATIONNELLE
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intellective qui est aussi le plan supérieur de la conscience. Au premier plan, le moi vit tout entier en lui-même, bornant son action à conserver l’existence et à propager l’espèce. Au deuxième plan, il prend de l’extension et communie, dans le temps et l’espace, au monde qui l’entoure. Au troisième plan, il se détache de la partie matérielle de son être pour entrer en communion et entretenir des échanges continuels avec l’éternel et l’absolu : il accuse sa spiritualité dans les faits intellectuels et les faits volontaires. — Après avoir établi la spiritualité de l’intelligence et de la volonté de l’homme, nous démontrerons la spiritualité de la substance de lame humaine.
I. SPIRITUALITÉ DE L’INTELLIGENCE. —
1° L’abstraction est la racine de l’intelligence ;
2° elle est irréductible
aux formes sensibles de la connaissance ;
3° elle est
intrinsèquement indépendante de la matière nerveuse ;
elle est spirituelle.
1° L’abstraction est la racine de l’intelligence. —
De même que la nutrition est la racine de la vie organique et la sensation la racine de la vie sensitive, l’abstraction est la racine de la vie intellective.
D’abord, tous les caractères du concept, universalité, nécessité, éternité, ne sont que des corollaires de l’abstrait. L’abstraction consiste à dissocier, dans un objet donné par l’expérience des sens, les caractères individuels des caractères essentiels. Au premier degré de dissociation, elle dépouille les qualités physiques de leurs notes particulières et constitue les sciences physiques et naturelles ; au deuxième degré, elle met la quantité à part de ses déterminations individuelles et donne naissance aux sciences mathématiques ; enfin, au troisième degré, elle fournit à la métaphysique son objet, la substance. Mais, à tous ses degrés, l’abstrait est un caractère essentiel. Dans la science naturelle, le concept de vertébré représente un caractère commun à un certain nombre d’animaux : poissons, batraciens, reptiles, oiseaux et mammifères se ressemblent sous ce rapport ; or ce n’est pas une vertèbre déterminée par ses notes individuelles qui constitue leur similitude essentielle, mais la vertèbre considérée indépendamment de ses particularités et qu’on définit une pièce osseuse articulée, derrière laquelle s’abritent les centres nerveux. La définition du polygone s’applique aussi bien au myriagone qu’au triangle, parce qu’elle fait abstraction du nombre des cotés ; tous les polygones sont essentiellement des figures planes limitées par des lignes droites. La notion d’homme exprime ce en quoi tous les hommes se ressemblent, petits et grands, jeunes et vieux, riches et pauvres. L’abstrait est donc une essence mise à nu de ses propriétés individuelles, par un certain travail de l’esprit. Lorsque ce travail est accompli, l’essence revêt aussitôt les caractères d’universalité, de nécessité et d’éternité. L’universel n’est autre chose que l’essence regardée comme susceptible d’être réalisée dans des cas particuliers ; et c’est parce que l’essence a été envisagée en elle-même, à part de tout sujet, qu’elle peut convenir à une série indéfinie de sujets. Le nécessaire est aussi une conséquence de l’abstraction : considérez une essence indépendamment de son état concret, vous la dépouillez de son existence contingenterons en faites une « raison divine ». De plus, cette essence se trouve non seulement en dehors de l’espace, mais encore en dehors du temps ; donc, elle est éternelle, d’une éternité négative.
Ensuite, l’abstraction est aussi le principe de toutes les opérations intellectuelles, soit psychologiques, soit logiques. Le jugement résulte de la comparaison de deux concepts et de l’affirmation que l’un es ! ou n’est pas contenu dans l’autre. Le raisonnement n’est qu’une certaine combinaison de jugements. Et, de même que le jugement se trouve en quelque sorte à l’état d’involution dans le concept, ainsi la conclusion syllogistique se trouve à l’état d’involution dans le jugement. Quand on dit que le concept est le jugement encore à l’état d’involution, on ne veut pas dire que le jugement en découle nécessairement et qu’on l’en fait sortir par 1 analyse métaphysique ; il peut n’être contenu dans le concept que d’une manière contingente et n’y être rattaché que par l’expérience. Mais, dans tous les cas, au point de vue psychologique, concept et jugement, jugement et raisonnement s’impliquent et s’enveloppent. Au point de vue logique, le jugement et le raisonnement représentent de purs agencements de concepts : prédicat et sujet, propositions, prémisses et conclusions consistent en des êtres de raison, créés par l’esprit pour mettre de l’ordre dans la pensée ; ces opérations logiques supposent accompli le travail de l’abstraction. Il est, en effet, impossible de mettre les singuliers sous le concept, sans les avoir préalablement abstraits ; le rapport possible de l’essence aux singuliers n’existe, au regard de l’esprit, qu’après l’abstraction. Ce rapport crée la logique avec les termes de prédicat et de sujet : les propositions ne sont que des concepts ordonnés en prédicat et en sujet, le syllogisme résulte d’un ensemble de propositions disposées en majeure, mineure et conclusion. L’abstraction est donc le point de départ des démarches de l’intelligence. En connaître la nature revient à connaître la nature de l’entendement.
2° L’abstraction est irréductible aux formes sensibles de la connaissance. —
La thèse sensationniste qui ramène
les formes supérieures de la connaissance, comme
l’abstraction, à ses formes inférieures, est très homogène et
très schématique. On la trouve identique, quant au fond,
chez Hume, Stuart Mill, Taine et Ribot.
1. L’abstraction
est essentielle à l’esprit, dont toute l’activité se réduit à
associer et à dissocier les états de conscience. Or l’abstraction
est une dissociation. C’est donc une opération
essentielle qui ne peut manquer de s’exercer partout où
il y a des états de conscience, dans le domaine des sens
aussi bien que dans le domaine de l’intelligence. —
2. L’abstraction garde toujours la même nature, à travers
des formes infiniment variées. Entre l’abstrait des
sens et l’abstrait de l’intelligence, il ne saurait être
question que de degrés. —
3. L’abstraction consiste à
dissocier une qualité qui fait partie d’un groupe et à
fixer sur elle l’attention. L’abstrait est donc un état de
conscience isolé par l’attention. Dans ce complexus
d’images, a b c de f, isolez une image, a par exemple,
vous aurez un abstrait. —
4. Les abstraits ainsi obtenus
deviennent la matière de la généralisation. Celle-ci repose
sur une association par ressemblance et suppose
un acte synthétique de fusion : elle est une condensation.
L’esprit est une sorte de creuset, au fond duquel
se dépose un résidu de ressemblances communes. La
comparaison, tirée des portraits composites, sert à illustrer
cette théorie. Si une personne, au lieu de poser
devant un appareil photographique, durant le temps requis
pour que l’image soit fixée, ne pose qu’un sixième
du temps nécessaire ; si on fait cela pour six personnes
qui se succèdent, quel sera le résultat ? On obtient le
portrait générique des six personnes : tous les points de
ressemblance sont mis en relief, tandis que les points
divergents restent vagues et flous. A la plaque photographique,
substituez le cerveau, où les impressions
semblables se gravent et ressortent avec force sur le fond
de la diversité, vous aurez une image générique et, pour
parler comme Huxley, une idée générique. —
5. L’abstraction
et la généralisation ont une infinité de degrés.
L’idéal de l’abstrait tend vers la qualité la plus pauvre,
la plus simplifiée, la plus schématisée. L’idéal de la généralisation,
c’est de saisir des rapports entre les analogies
les plus lointaines. Dans les deux cas, la perfection de
l’opération dépend du degré d’activité de l’esprit.—
6. Les
images génériques s’organisent entre elles et constituent
la logique. Le raisonnement va d’un fait à un autre fait.