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AME. SA SPIRITUALITE. DEMONSTR. RATIONNELLE

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Il est donc nécessaire qu’elle ne soit pas composée de parties juxtaposées et qu’elle soit simple.

D’ailleurs toute activité n’est-elle pas simple par nature ? On la définit par opposition à ce qui est étendu. Ses degrés de simplicité se mesurent à son indépendance plus ou moins grande par rapport à la matière. Les activités inorganiques sont simples, c’est le degré le plus infime de la simplicité. Plus simples sont les fonctions vitales : immanentes, leurs actions les développent et les perfectionnent. Mais c’est surtout avec la vie sensitive que les fonctions augmentent en simplicité. La sensation introduit la connaissance. Marthe Obrecht, la jeune fille sourde-muette et aveugle, à qui on apprit à lire et à écrire par l’intermédiaire des sensations tactiles, racontant, son état antérieur, lorsqu’elle n’était qu’une masse inerte sans communication avec ses semblables, a dit cette parole profonde et révélatrice : « J’étais seule ! » C’est que les sensations, étant des connaissances, nous font sortir de nous et étendent notre être au delà des bornes de notre propre individualité. Sans doute, la connaissance sensible est très inférieure, mais elle suffit pour nous agrandir de tout ce qu’il y a d’être dans les formes sensibles des objets extérieurs. La plante ne se développe que par la nutrition. L’animal possède un genre de nutrition supérieure à la transformation de l’aliment en sa propre substance : il s’assimile aux objets qu’il connaît et devient dans une certaine mesure leur rellet idéal, leur signe intérieur, leur substitut. La mémoire retient ces connaissances élémentaires et les organise en expérience. Cette expérience, venant en tout ou en partie au-devant des sensations actuelles, permet de les interpréter, de mieux connaître un objet et de savoir s’en servir. L’imagination travaille sur les matériaux fournis par les sens, forme des groupements nouveaux de représentations et devient un pouvoir merveilleux d’invention et de création, tant au point de vue esthétique et scientifique qu’au point de vue pratique, industriel ou commercial.

Le caractère original des sensations, des images et des souvenirs, c’est d’être des connaissances. Ce fait les place bien au-dessus des phénomènes de la vie organique. Car la connaissance suppose un degré de simplicité et d’immanence qui entraîne une certaine émancipation de la matière. Elle est une conquête sur le néant, une extension de l’individualité. Une activité qui entre en contact et entretient des échanges avec les objets extérieurs, qui revêt les formes idéales de ces objets, qui devient en quelque sorte ces objets mêmes, n’est pas aussi limitée par les conditions de la matière que les activités qui sont incapables de donner à leur être cette extension. S’il faut accorder la simplicité au principe qui réunit les parties à l’intérieur de la masse protoplasmique et qui relie ensuite les cellules entre elles pour les organiser en une réelle et vivante unité, combien plus doit-on l’attribuer à celui qui fait converger dans l’unité d’une perception les mille impressions éparses que nous subissons à chaque instant et dont chacune résulte d’un nombre incalculable de vibrations nerveuses !

Les émotions qui correspondent à des états représentatifs, sensations, perceptions, images et les souvenirs, accusent une tendance de même ordre et de même nature que ces états. Ce que nous cherchons ou ce que nous fuyons, ce qui nous réjouit ou ce qui nous attriste, n’est autre chose que l’objet perçu, représenté. L’activité affective, malgré son autonomie, est liée très étroitement à la connaissance ; l’une et l’autre, ayant le même objet, appartiennent au même degré de simplicité. Si les modifications du système nerveux vaso-moteur, qui accompagnent les émotions sensibles, renferment des milliards de chocs et de mouvements, l’émotion que rélléchit la conscience est simple et indécomposable.

Enfin la conscience enveloppe la vie représentative et la vie affective des sens. Elle jouit du pouvoir d’unifier les états qui sont en elle et d’accorder à l’un d’eux une attention privilégiée. Les degrés d’attention, dont elle est capable, ne sont-ils pas des degrés d’activité et de simplicité supérieurs ? En résumé, de même que la matière brute et la vie organique se scindent en deux parties, étendue et activité, la vie sensitive se scinde aussi en étendue et activité. Seulement l’activité est ici d’un ordre plus élevé. Tandis qu’elle se borne à unir les parties quantitatives dans la matière brute, qu’elle fait coexister dans la vie organique un nombre extraordinaire de cellules qui sont des proliférations de la cellulemère ; tandis que dans ces deux cas elle sert à la fois de ciment et d’architecte, elle a pour rôle dans la vie sensitive de fondre les impressions reçues par le système nerveux et de leur donner, au regard de la conscience, ce genre supérieur d’unité qui constitue la connaissance et le sentiment. Voici donc la hiérarchie des activités : 1. l’activité de la matière brute, clouée de simplicité ; 2. l’activité de la matière organisée, douée d’immanence et par conséquent d’un degré plus élevé de simplicité ; 3. l’activité de la vie sensitive, caractérisée par le degré d’immanence qui convient à la connaissance et aux émotions des sens.

De ce que les fonctions de la vie végétative et sensitive sont des principes simples, il ne suit pas qu’elles soient absolument indépendantes de la matière. Ces activités, comme celles des forces physico-chimiques, n’existent et ne s’exercent que dans l’étendue. Il ne faudrait pas croire que l’organe et la fonction sont deux entités séparées, extérieures l’une à l’autre, comme le pensait Descartes. Le monisme péripatéticien a raison de voir dans l’organe et la fonction des éléments distincts, mais corrélatifs et inséparables. Au lieu d’être deux entités logées l’une dans l’autre, chacun d’eux ne représente qu’une partie d’essence. C’est une même réalité à deux faces. Comme la matière minérale et la matière vivante, la sensibilité n’a que des activités circonscrites par l’étendue. On ne trouve rien dans la nature de la connaissance sensible qui soit incompatible avec une dépendance intrinsèque de la matière, secunduni esse et operari. Son objet est matériel et l’action de cet objet est matérielle. Aussi bien, si l’un regarde le système nerveux comme une condition extérieure de la connaissance sensible, il devient impossible d’expliquer l’intervention du corps. Pourquoi telle vibration nerveuse est-elle plutôt l’antécédent d’une sensation kinesthésique que d’une sensation olfactive ? Comment se fait-il qu’une lésion localisée entraîne l’atrophie de l’imagination visuelle, de préférence à l’atrophie de l’imagination auditive ? Les partisans du dualisme ne justifieront jamais le déterminisme spécial qui rattache des états de conscience à de certains états corporels, ni la loi générale, d’après laquelle toute sensation doit être préparée dans l’organisme par des modifications physiques, chimiques, physiologiques.

L’àme, étudiée dans la vie organique et sensitive, est un principe simple, dont l’activité dépend intrinsèquement de la matière. Jusque-là, les deux parties qui constituent le moi, quoique distinctes, sont inséparables. Aussi l’àme, malgré sa simplicité, peut-elle être appelée matérielle. Il ne suffit donc pas, pour démontrer la spiritualité, d’invoquer, comme on le fait trop souvent, des arguments qui ne prouvent que la simplicité. Il reste à établir que l’àme humaine, dans la vie intellective, est indépendante intrinsèquement de la matière, secundum esse et operari.

V. L’ame humaine EST spirituelle. —

Le moi présente trois plans superposés : le plan inférieur ou plan de la vie organique, situé sous la conscience et à la base même du moi ; le plan moyen ou plan de la vie sensitive, qui constitue le plan inférieur de la conscience ou cénesthésie ; enfin, le plan supérieur ou le plan de la vie