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AME. SA. SPIRITUALITE. DEMONSTR. RATIONNELLE

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fut d’établir la valeur de la raison humaine contre les traditionalistes et les iidéistes. Pour bien comprendre la portée de leurs définitions, il faut se rappeler qu’ils considèrent la raison humaine en elle-même, indépendamment des états individuels où elle peut se trouver ; il s’agit beaucoup moins de ses résultats pratiques que de son pouvoir logique. En d’autres termes, le concile n’a pas dit que, de fait, certaines vérités, qui servent de fondement à la foi, nous sont d’abord connues par la raison et non par la révélation ; il déclare seulement qu’en droit la raison humaine est capable de les démontrer avec certitude. La démonstration rationnelle de ces vérités est possible et, dans l’ordre abstrait et logique, elle précède la lumière de la révélation. Le concile s’est préoccupé, d’une manière spéciale, de la preuve de l’existence de Dieu. Si quis dixerit Deum unum et verum, creatorem et Dominum nostrum, per ea quse facta sunt, naturali rationis humanse lumine certo cognosci non posse ; anathema sit. Const. Dei Filius, can. 1, De revelatione. Dans le chapitre iv de la constitution dogmatique Dei Filins, à propos des rapports de la raison et de la foi, les Pères déclarent explicitement que la raison peut démontrer les fondements de la foi : Cum recta ratio fidei fundamenta demonstret. Sans doute, la spiritualité de l’âme n’est pas désignée en termes explicites. Mais qui oserait nier que cette vérité ne soit au nombre des fundamenta fidei ?

Aussi bien, Bonnetty, fondateur des Annales de philosophie chrétienne, suspect de fidéisme, fut obligé, en vertu d’un décret de la Congrégation de l’Index approuvé par Pie IX, de souscrire la proposition suivante : Raliocinatio Dei existentiam, animée spiritualitatem, hominis Uberlalem cum certiludine probare potest. Fides posterior est revelatione, proindeque ad probanduni Dei existentiam contra atheum, ad probandum animas rationalis spiritualitatem ac liberlatem contra naturalismi ac fatalismi sectatorem allegari convenienter nequit. Denzinger, Enchiridion, n. 1506.

Prouver par la philosophie la possibilité d’une démonstration rationnelle de la spiritualité de l’âme humaine, reviendrait à démontrer la possibilité de la métaphysique et à légitimer sa méthode et ses principes. Outre que ce problème entraînerait trop loin, il vaut mieux entreprendre la démonstration elle-même.

II. Indication de preuves diverses. —

On peut ramener les différentes formes de démonstration, qu’on a données de la spiritualité de l’âme, aux dix preuves suivantes :

1. La matière est essentiellement composée ; et la pensée, essentiellement simple. Il en résulte que la pensée ne peut pas être l’effet de la matière.

2. La pensée ne peut être ni un attribut essentiel, ni une modification accidentelle de la matière. Donc elle est spirituelle.

3. La matière est inerte et passive ; la substance pensante est active. La matière n’est donc pas la substance qui pense.

4. La sensation ne s’explique pas par un ébranlement nerveux : elle est perception et, à ce titre, simple et indivisible.

5. Nous comparons les sensations entre elles. Cette comparaison suppose que les sensations aboutissent à un être indubitablement simple qui est comparateur et juge.

6. Outre les idées des choses sensibles, nous avons des idées d’objets absolument incorporels. Or ces idées ne peuvent pas venir des sens, elles ne peuvent prendre leur origine que dans une substance spirituelle.

7. L’idée la plus intime est celle du moi. Or cette idée n’est que le sentiment de ma pensée et de mon existence. Je suis donc un moi pensant et sentant : je suis un moi immatériel.

8. L’homme réfléchit et raisonne ; or ces opérations ne peuvent être que les œuvres d’une substance spirituelle.

9. La matière n’agit que dans le présent. Mais la substance pensante se transporte dans le passé par la mémoire, dans l’avenir par la prévision. Elle est donc immatérielle.

10. L’homme est non seulement un être intelligent, mais aussi un être voulant : or la volonté n’est pas matérielle. — Consulter sur toutes ces preuves le cardinal de la Luzerne : Dissertations sur la spiritualité de l’âme, in-12, Paris, 1823.

Ces preuves ne paraissent pas toutes convaincantes. Ce qui été leur force à plusieurs d’entre elles, c’est qu’on y confond le concept de la simplicité et celui de la spiritualité. La démonstration thomiste, qui est la grande démonstration traditionnelle, fera ressortir ce qu’il y a de vrai et ce qu’il y a de faux dans les démonstrations précédentes. Nous allons exposer cette démonstration, en établissant successivement : 1° la substantialité du moi et de l’âme ; — 2° la simplicité de l’âme ; — 3° sa spiritualité.

III. Le moi est un et identique : l’ame est une partie substantielle du moi.—

La vie psychologique tend à une unité réelle. De tous les états de conscience, il n’en est pas un seul qui ne s’oriente vers un centre virtuel commun : le moi. A la base de la personnalité humaine, se trouvent les sensations qui émanent soit de la périphérie interne du corps, sensations organiques, viscérales, intra-craniennes, musculaires, osseuses, articulaires, tendineuses, etc., soit de la périphérie externe visible et tangible. La disparition ou l’altération de l’un de ces groupes de sensations rétrécit la base ou modifie la nature de la personne physique. Et la plupart des troubles de la vie intérieure ou scissions du moi s’expliquent par des troubles ou scissions de la sensibilité corporelle et de la motricité. — Les autres sensations et, d’une manière générale, tous les états psychologiques qui sont dans le plan actuel de la conscience, revêtent lu forme personnelle et convergent de leur nature vers un même point central. Tout désordre, subi par eux, introduit un désordre correspondant dans le sentiment du moi. — Le passé obéit, comme le présent, à la loi de la convergence. Nous jouissons du pouvoir d’évoquer un grand nombre de souvenirs. La conscience de cette faculté n’est pas étrangère à la constitution de la personne. Celle-ci est diminuée de tout ce que la mémoire ne peut reproduire ou reproduit mal : les souvenirs hallucinatoires occasionnent des transpositions du moi ; les associations irrégulières et anormales désorientent le cours de notre vie. — Enfin, si le moi comprend, tout ce que nous avons été et tout ce que nous sommes, il comprend aussi tout ce que nous voudrions être. La représentation de l’avenir et de l’idéal se mêle à la conscience du moi réel et vécu. La perfection rêvée est en rapport avec notre vie affective et intellectuelle : il 2n fait même partie.

Le moi est donc le point de convergence de nos états intérieurs. L’unité et la pluralité nous sont données simultanément dans l’intuition. Nous ne pouvons penser l’unité sans l’éparpiller en multiplicité, ni nous représenter la multiplicité sans trouver en elle une cohésion, une interpénétration qui la réduit à l’unité : le moi est une pluralité une et une unité multiple.

De plus, le moi est identique. Sensations, images-, souvenirs, idées, jugements, raisonnements, émotions, sentiments, désirs, volitions se succèdent au dedans de nous par une sorte de flux et de reflux, sans jamais disparaître complètement. Au cours de leur succession dans le temps, le principe qui leur a donné naissance ne change pas. Son identité se remarque surtout dans le fait de la mémoire. Se souvenir, c’est reconnaître, identifier. Or, si l’on suppose que le moi varie à mesure que les phénomènes se remplacent, que celui qui se