Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 1.djvu/53

Cette page n’a pas encore été corrigée
70
72
ABGAR

La letlre du Christ était conservée à Édesse. Cf. Sylvie, p. 02, note 5, ibid., et p. 08. Cet autographe, écrit en syriaque et sur parchemin, aurait été porté, l’an 422 de l’hégire, à Constantinople et placé dans le trésor. On en fit des traductions grecques et arabes. Biblioth. orientait », t. ii, p. 393-394. Ces lettres se lisaient dans les églises ; pour ce motif on les trouve dans les lectionnaires. Bibliothèque Nationale, fonds syriaque, n. 56. Elles furent reçues aussi dans certaines églises latines, mais le décret de Gélase les relégua parmi les apocryphes. -P. L., t. LIX, col. 164. Une lettre authentique du Christ, disait-on, aurait été placée au premier rang parmi les Écritures canoniques, et serait de plus d’autorité que les Évangiles eux-mêmes. Danko, Hisloria revelationis divinse N. T., Vienne, 1867, p. 306 ; Libri carolini, iv, 10, P. L., t. xcviii, col. 1202, 1203.

Dans les écrivains postérieurs, Cedrenus, Nicèphore Calliste, Ordéric Vital, Jésus a non seulement écrit, mais scellé sa lettre, voir Tixeront, op. cit., p. 49, 50 ; tandis que les Arméniens font d’Abgar le Noir un de leurs nationaux, afin de ramener jusqu’à lui l’origine de leur Église. R. Duval, Hist. d’Édesse, p. 29.

A l’histoire des lettres s’ajouta la légende du portrait de Jésus, légende qui trouva plus de crédit encore chez les Grecs que chez les Orientaux. Selon la Doctrine, l’envoyé royal est peintre, et il veut rapporter au roi les traits du Sauveur. Comme, par suite de circonstances miraculeuses, il ne parvient pas à les fixer, le Seigneur prend la toile, et, se l’appliquant sur le visage, il y laisse sa divine empreinte. Eusèbe, ni Procope, ni Sylvie ne parlent du portrait ; mais cette partie de la légende est préparée dans cette indication des versions grecques, que le roi Abgar, désireux de voir Jésus, recommande à son envoyé de le bien examiner et de le lui décrire, et l’imagination des écrivains se donne libre carrière dans les âges suivants. Abgar, qui, dans la tradition syriaque, est guéri par les mains de l’apôtre, ou, suivant Procope, parla lettre, ou encore lorsqu’il a reçu le baptême, d’après Cedrenus, trouve la santé, selon le récit d’Évagre, à la vue de l’image du Sauveur. Après avoir partagé, avec la lettre du Christ, le privilège de protéger la ville d’Édesse, le miraculeux portrait finit, comme la lettre elle-même, par être amené à Constantinople dans des circonstances diversement racontées. D’après Cedrenus, il aurait été acheté par l’empereur Romain I er (944). Des copies s’en trouvent en divers lieux. L’une d’elles parvient à Constantinople, sous Phocas (163-176). Les Géorgiens, voisins des Ryzantins, en montrent une à Tillis. Chordin, Voyage en Perse, Amsterdam, 1711, t. ii, p. 117. On en signale aussi à Gênes au {{rom-maj|XIV)e siècle, Hier. Xavier, loc. cit. ; Dobschûtz, p. 193, et à Rome, avant cette date. Vincent de Reauvais, Spéculum histor., viii, 29 ; S. Thomas, Sum. theol., III a, q. xxv, a. 3, 4.

Telles sont les données principales de la légende. Dans tous les documents contenus entre la sobre rédaction du texte syriaque primitif dont témoigne Eusèbe, ou les textes plus courts encore de la traduction persane, jusqu’aux magnifiques amplifications de la version arabe des lettres, et des récits de Cedrenus et Nicèphore Calliste, la légende a le même fonds. Mais, tandis que, suivant la conception qu’a revêtue cette histoire chez les historiens grecs, le portrait joue le principal rôle, la tradition orientale conserve la prépondérance aux lettres. C’est de même la toile miraculeuse, to âytov |j.av8-j), t.ov, que la liturgie grecque célèbre. Menées, 16 août. Les liturgies syriennes rappellent le fait de la correspondance. Office du carême (lias 1), ms. non paginé.

IV. Valeur historique de la légende. — Admise sans conteste, semble-t-il, par les Orientaux, la légende d’Abgar a trouvé’de bonne heure des contradicteurs en Occident. L’authenticité des lettres attribuées à Jésus-Chris ! est rejetée par saint Jérôme, In Ezech., XI. v. 30, P. L., t. xxv, col. 443, avant la condamnation expresse

portée dans le catalogue gélasien. Procope, au siècle suivant, exprime un doute sur ce même point : Kat ii.ot 7tot£ k’vvota yÉYovev d> ; e ! i : r tocûtoc, âirep èppT|6r), ô Xpittôç ëypa’I/sv. Corpus, loc. cit. Néanmoins, des catholiques et des protestants l’ont admis, et, de ceux qui rejetaient les lettres comme inauthentiques, beaucoup ont maintenu le fait de la députation des envoyés syriens. On l’a même rapportée à ce passage où l’Évangile nous représente des gentils voulant voir Jésus. Joa., xii, 20-22 ; Fouard, La Vie de Nolre-Si’igneur Jésus-Christ, 1888, t. ii, p. 198. Voir Noël Alexandre, Hist. eccles., iii, 81, 6 ; Baronius, Annal., 31, 57-61 ; Tillemont, Mémoires, t. i, p. 399-404, 659-662. Cave, i, 2, 3 ; il, iv, 16, est combattu par Frauendorf, Eœercitatio de epistola Christi ad Abgarum, Leipzig, 1693. Voir la nomenclature dans U. Chevalier, Répertoire des sources historiques, et Danko, op. cit., p. 307-308, note. De nos jours, presque tous les critiques s’accordent à dire que la légende d’Abgar, telle que nous la présentent Eusèbe et la Doctri ne, n’est pas acceptable. Les lettres rapportées sont composées de passages des Évangiles, mais surtout la lettre d’Abgar reproduit un texte en analogie avec le Diatessaron, où Tatien combine ces deux versets : Matth., xi, 5, et Luc, vii, 21. Dans son ensemble, ce récit fait partie d’un corps de traditions légendaires, dont les anachronismes forment partie intégrante, loin d’être le résultat, comme on l’avait cru d’abord, d’interpolations postérieures. Telle est la mention de Palout, un des personnages de la légende, que l’on fait contemporain d’Addée en même temps que de Sérapion d’Antioche et de Zéphyrin de Rome (198-217), ou celle de Tibère comme souverain du pays, tandis que l’Osrhoène fut indépendante de l’an 136 avant notre ère à l’an 216 après Jésus-Christ. Il est évident que de telles erreurs ne peuvent se commettre que lorsqu’il s’est écoulé un laps de temps considérable depuis l’époque où l’on prétend placer les événements, et c’est sans doute assez longtemps après Abgar IX (179214), le premier roi chrétien de l’Osrhoène, qu’on pensa à rapporter sa conversion à son homonyme Abgar V, contemporain du Christ. Il est vrai que le christianisme fut implanté à Édesse antérieurement à la conversion officielle du royaume. Biblioth. Orientalis, t. i, p. 393. Avant l’an 170, la communauté chrétienne était assez importante pour que l’on composât à Edesse même ht version syriaque de la Peshita, et peut-être aussi le Diatessaron. Au même temps les marcionites, les valentiniens et autres sectes gnostiques, y eurent des adeptes. Ce ne fut toutefois que cent soixante-dix ans après l’époque marquée par la légende, que les rois d’Édesse abjurèrent le paganisme. Abgar IX le Grand eut la confiance de Sévère, et fut reçu honoriliquement par cet empereur à Rome, vers 202. C’est sans doute à la suite de ce voyage en Occident et de son passage à travers la Syrie extérieure, qu’il embrassa le christianisme. Il eut comme hôte Jules Africain, Ksorot, xxix, Thévenot, Mathemalici veteres, p. 300 ; il aima les lettres et les sciences, encouragea Bardesane et les premiers écrivains syriens ; il établit des lois salutaires, releva Édesse de ses ruines, et perpétua sa mémoire par d’importantes constructions, dont les vestiges subsistèrent longtemps.

Dans la conception orientale, la légende d’Abgar convenait à Édesse, la ville aux origines fabuleuses, qui occupa durant tant de siècles, par son importance politique, puis par son activité littéraire, la première place dans les annales de la Syrie. Devenue le grand centre chrétien de la région de l’Euphrate, elle voulut ajouter au patrimoine de ses gloires antiques l’honneur d’avoir reçu du Sauveur vivant une bénédiction singulière, et d’avoir été désignée par lui-même pour que l’Evangile lui fût porté directement par l’un de ses apôtres ; enfin elle transmit cette tradition aux âges futurs au moyen de l’une des légendes qui obtinrent le plus de célébrité dans toute la chrétienté.

Voir, en outre des ouvrages cités, G. Bonnet-Maury, La légende :